186 000 Palestiniens tués dans l’agression d’Israël à Gaza. 1 habitant sur 12!
La CIJ imposait à Israël début 2024 de “prendre des mesures efficaces pour prévenir la destruction & préserver les preuves liés aux allégations d'actes relevant de la Convention sur le génocide”.
Le 19 juin 2024, on recensait 37 396 morts dans la bande de Gaza depuis l’attaque du Hamas et l’invasion israélienne d’octobre 2023, selon le ministère de la Santé de Gaza, comme le rapporte le Bureau de la coordination des Affaires humanitaires de l’ONU[1]. Les chiffres du ministère ont été contestés par les autorités israéliennes, bien qu’ils aient été reconnus comme étant exacts par les services de renseignement israéliens, [2] l’ONU et l’OMS. Ces données sont étayées par des analyses indépendantes, qui comparent l’évolution du nombre de morts du personnel de l‘Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) avec les chiffres communiqués par le ministère [3] , et qui jugent peu plausibles les allégations de fabrication de données [4].
La collecte de données devient de plus en plus complexe pour le ministère de la Santé de Gaza en raison de la destruction d’une grande partie des infrastructures [5] . Le ministère a dû compléter ses rapports réguliers, basés sur les décès dans ses hôpitaux ou sur les victimes amenées à l’hôpital, par des informations provenant de sources médiatiques fiables et de premiers intervenants. Ce changement a inévitablement affecté les données détaillées enregistrées précédemment. Par conséquent, le ministère de la Santé de Gaza rapporte désormais séparément le nombre de corps non identifiés parmi le nombre total de morts. Au 10 mai 2024, 30 % des 35 091 morts n’avaient pas été identifiés.[1]
Certains fonctionnaires et agences de presse ont exploité ce développement, destiné à améliorer la qualité des données, pour remettre en cause la véracité de ces dernières. Toutefois, le nombre de décès signalés est largement sous-estimé. L’organisation non gouvernementale Airwars procède à des évaluations détaillées des faits survenus dans la bande de Gaza, et constate souvent que les noms des victimes identifiables ne figurent pas tous sur la liste du ministère [6]. En outre, l’ONU estime qu’au 29 février 2024, 35 % des constructions dans la bande de Gaza avaient été détruites [5], de sorte que le nombre de corps encore enfouis dans les décombres est probablement considérable, puisqu’on l’estime à plus de 10 000. [7]
Les conflits armés ont des répercussions indirectes sur la santé, au-delà des préjudices directs dus aux actes de violence. Même si le conflit devait prendre fin sur-le-champ, de nombreux décès indirects se produiraient dans les mois et les années à venir pour des causes telles que les maladies liées à la procréation, les maladies transmissibles et les maladies non transmissibles. Le nombre total de décès devrait être extrêmement élevé compte tenu de l’intensité du conflit, de la destruction des infrastructures de soins de santé, des graves pénuries de nourriture, d’eau et d’abris, de l’incapacité de la population à fuir vers des lieux sûrs et du tarissement du financement de l’UNRWA, l’une des très rares organisations humanitaires encore actives dans la bande de Gaza [8].
Dans les conflits récents, ces décès indirects sont de trois à quinze fois plus nombreux que les décès directs. En appliquant une estimation prudente de quatre décès indirects pour un décès direct [9] aux 37 396 décès signalés, il n’est pas irréaliste d’estimer que jusqu’à 186 000 décès, voire plus, pourraient être attribués au conflit actuel dans la bande de Gaza. Si l’on se base sur l’estimation de la population de la bande de Gaza en 2022 (2 375 259 habitants), cela représenterait 7 à 9 % de la population totale de la bande de Gaza. Un rapport datant du 7 février 2024 estimait, alors que le nombre de décès directs était de 28 000, que sans cessez-le-feu, les décès se chiffreraient entre 58 260 (sans épidémie ni aggravation) et 85 750 (si les deux se produisaient) d’ici le 6 août 2024 [10].
Un cessez-le-feu immédiat et urgent dans la bande de Gaza est impératif, accompagné de mesures permettant la distribution de fournitures médicales, de nourriture, d’eau potable et d’autres ressources répondant aux besoins humains fondamentaux. Dans le même temps, il est indispensable de chiffrer l’ampleur et la nature des souffrances causées par ce conflit. Documenter l’ampleur réelle est crucial pour assurer la responsabilité historique et reconnaître le coût total de la guerre. Il s’agit également d’une obligation légale. Les mesures provisoires définies par la Cour internationale de justice en janvier 2024 imposaient à Israël de
“prendre des mesures efficaces pour prévenir la destruction et assurer la préservation des éléments de preuve liés aux allégations d’actes relevant … de la Convention sur le génocide »[11].
Le ministère de la santé de Gaza est la seule organisation à comptabiliser les morts. En outre, ces données seront déterminantes pour la reconstruction d’après-guerre, la remise en état des infrastructures et la planification de l’aide humanitaire.
Traduction : Spirit of Free Speech
Image : par Mr Fish
Références:
1.Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations uniesReported impact snapshot. Gaza Strip. [Aperçu de l’impact rapporté. Bande de Gaza].https://www.ochaopt.org/content/reported-impact-snapshot-gaza-strip-19-june-2024Date : 19 juin 2024
Date d’accès : 21 juin 2024
2.Prothero MIsraeli Intelligence has deemed Hamas-run health ministry’s death toll figures generally accurate. [Les services de renseignement israéliens ont estimé que les chiffres du ministère de la santé dirigé par le Hamas étaient généralement exacts.]https://www.vice.com/en/article/y3w4w7/israeli-intelligence-health-ministry-death-tollDate : 2024
Date d’accès : 2 mai 2024
3.Huynh BQ Chin ET Spiegel PBNo evidence of inflated mortality reporting from the Gaza Ministry of Health [Pas de preuve de gonflement des chiffres de mortalité par le ministère de la Santé de Gaza].Lancet. 2024 ; 403 : 23-24
4.Jamaluddine Z Checchi F Campbell OMRExcess mortality in Gaza: Oct 7–26, 2023. [Surmortalité à Gaza : Oct 7-26, 2023.]Lancet. 2023 ; 402 : 2189-2190
5.UNOSATGaza Strip comprehensive building & housing unit damage assessment, March 2024. [Évaluation complète des dégradations des constructions et des unités d’habitation dans la bande de Gaza, mars 2024.]https://unosat.org/products/3804Date : 2024
Date d’accès : 2 mai 2024
6.AirwarsIsraël & Gaza.https://airwars.org/conflict/israel-and-gaza-2023/Date : 2024
Date d’accès : 3 mai 2024
7.Bureau de l’ONU à Genève10?000 people feared buried under the rubble in Gaza. [On estime à 10 000 le nombre de personnes ensevelies sous les décombres à Gaza.]https://www.ungeneva.org/en/news-media/news/2024/05/93055/10000-people-feared-buried-under-rubble-gazaDate : 2024
Date d’accès : 3 mai 2024
8.ReutersMore countries pause funds for UN Palestinian agency. [De nouveaux pays suspendent le financement de l’agence palestinienne de l’ONU.]https://www.reuters.com/world/britain-italy-finland-pause-funding-un-refugee-agency-gaza-2024-01-27/Date : 2024
Date d’accès : 2 mai 2024
9.Office des Nations Unies contre la drogue et le crimeGlobal burden of armed conflict. [Le coût des conflits armés dans le monde.]https://www.unodc.org/documents/wdr/WDR_2008/WDR_2008_eng_web.pdfDate : 2008
Date d’accès : 10 avril 2024
10.Jamaluddine Z Chen Z Abukmail H et al.Crisis in Gaza : scenario-based health impact projections. [Risques de crise à Gaza : projections de l’impact sur la santé.]https://aoav.org.uk/wp-content/uploads/2024/02/gaza_projections_report.pdfDate : 2024
Date d’accès : 1er mai 2024
11.Cour internationale de justiceApplication of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide in the Gaza Strip. [Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza.]https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/192/192-20240126-ord-01-00-en.pdfDate : 2024
Date d’accès : 3 mai 2024
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Martin McKee est membre du comité de rédaction de l’Israel Journal of Health Policy Research et du comité consultatif international de l’Institut national israélien de recherche sur les politiques de santé. Martin McKee a coprésidé la 6e Conférence internationale de Jérusalem sur les politiques de santé organisée par l’Institut en 2016, mais écrit à titre personnel. Il collabore également avec des chercheurs en Israël, en Palestine et au Liban. Rasha Khatib et Salim Yusuf ne présentent pas d’intérêts concurrents. Les auteurs tiennent à remercier les membres de l’équipe de l’étude, Shofiqul Islam et Safa Noreen, pour leur contribution à la collecte et à la gestion des données de cette correspondance.
Note éditoriale : The Lancet Group adopte une position neutre concernant les revendications territoriales dans les textes publiés et les affiliations institutionnelles.
- Source : The Lancet Group (Etats-Unis)