L’idéologie de la guerre en Ukraine et en Israël par Thierry Meyssan
Les guerres d’Ukraine et de Gaza se ressemblent plus qu’on ne le croit, tout au moins si l’on connaît leur Histoire. Celle d’Ukraine n’a pas commencée avec l’opération militaire russe, mais avec les massacres au Donbass, tandis que celle de Gaza n’a pas débuté avec l’opération déluge d’Al-Aqsa, mais 75 ans plus tôt avec la Nakhba. Sur le temps long, les responsables des deux guerres se réclament de la même idéologie.
D’une manière générale, toute guerre définit qui « nous » sommes et qui « ils » sont. « Nous » sommes le Bien, tandis qu’« Ils » sont le Mal.
Les dirigeants occidentaux, tout en déclarant que la guerre en elle-même est mauvaise, affirment qu’elle est aujourd’hui indispensable face aux agressions de la Russie et du Hamas. Selon eux, la Russie, ou plutôt son président Vladimir Poutine, rêve de s’emparer de nos biens et de détruire notre système politique. Après avoir envahi l’Ukraine, il envahira la Moldavie et les pays baltes, puis continuera vers l’Ouest. Le Hamas, quant à lui, est une secte emplie de haine qui commence en violant et en décapitant les juifs par antisémitisme et continuera en envahissant l’Occident au nom de sa religion.
Il est à noter qu’Israël et les États-Unis ont été fondés par leurs armées, la Haganah et l’Armée continentale. Aujourd’hui, la grande majorité de leurs dirigeants politiques ont conduit leur carrière dans les armées ou dans les services secrets. Mais ils ne sont pas les seuls puisque Xi Jinping est un militaire et que Vladimir Poutine est un ancien des services secrets soviétiques (KGB).
On se demande ce qui nourrit les phantasmes de l’Occident politique et comment ils empêchent de saisir la réalité. La Russie n’a pas plus envahi l’Ukraine que la France n’a envahi le Rwanda. Moscou et Paris ont interrompu le massacre des Ukrainiens du Donbass et des Rwandais tutsis. Tous deux ont été animés par leur « responsabilité de protéger » et ont mis en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité. Les Palestiniens ne violent et ne décapitent personne par plaisir, même si certains d’entre eux appartiennent à une société secrète qui le fait. Ils ne luttent pas contre les juifs par antisémitisme, sauf la branche historique du Hamas, mais contre le système d’apartheid dont ils sont victimes.
Peut-être la cécité collective a-t-elle pour première fonction d’effacer nos crimes antérieurs : ce sont les « démocraties » des États-Unis et de membres de l’Union européenne qui ont organisé le renversement du président élu ukrainien, Viktor Ianoukovytch, en 2014. Ce sont l’Allemagne et la France qui ont signé les Accords de Minsk pour garantir la paix aux Ukrainiens du Donbass (2015), mais n’ont jamais eu l’intention de les appliquer et, selon les aveux de la chancelière Angela Merkel et du président François Hollande, les ont utilisés pour armer l’Ukraine contre la Russie. Cette violation de notre parole et de notre signature constitue, selon le Tribunal de Nuremberg, le plus grave de tous les crimes, celui « contre la paix ».
De même c’est la « plus grande démocratie du Moyen-Orient », Israël, qui a volé, mètre après mètre, par occupation et grignotage, la majeure partie des Territoires palestiniens fixés par la résolution 181 du Conseil de sécurité (1947).
À moins que ce ne soit l’inverse : notre cécité collective a peut-être comme fonction de nous permettre de perpétrer nos prochains crimes. Dans ce cas, nous ne devons pas nous étonner de chercher à briser l’économie russe et, en définitive, à renvoyer la Russie à l’âge de pierre. Pas plus que nous devons nous étonner des discours appelant au nettoyage ethnique de la Palestine géographique et, en définitive, à l’expulsion d’un million de Palestiniens.
Benjamin Netanyahu et Volodymyr Zelensky se receuillant à Babi Yar où 33 000 juifs furent massacrés par les nazis et leurs collaborateurs ukrainiens. L’hypocrisie de la cérémonie se remarque : on accède au mémorial par l’avenue Stepan Bandera du nom du "Providnyk" (guide) de l’Organisation des nationalistes [intégraux] ukrainiens
Ces conflits ne visent pas à s’accaparer des ressources, mais des territoires. Les nationalistes intégraux ukrainiens de Dmytro Dontsov n’ont cessé de revendiquer, depuis 1917, la souveraineté sur la Novorossia anarchiste de Nestor Makhno et le Donbass et la Crimée bolchéviques. Bien sûr ces territoires ont été fondus dans l’Ukraine soviétique par l’Ukrainien Nikita Khrouchtchev, mais Kiev ne peut pas invoquer l’Histoire récente pour se les approprier. Identiquement, les sionistes révisionnistes de Vladimir Ze’ev Jabotinsky revendiquent depuis 1920 la souveraineté sur l’ensemble de la Palestine, et à terme sur le Sinaï égyptien, le Liban, la Jordanie et la Syrie, bref tous les territoires allant du « Nil à l’Euphrate ». Bien sûr l’antique royaume de Jérusalem était constitué de la ville et de sa banlieue, mais cela ne leur permet pas d’évoquer l’Histoire pour toutes ces conquêtes.
On dit souvent que la pyramide des âges détermine l’agressivité des États. Ceux, ayant une majorité de jeunes gens entre 15 et 30 ans, seraient par nature tournés vers la guerre. Or, ce n’est ni le cas de l’Ukraine, ni celui d’Israël. Plus encore, c’est la Palestine et non pas Israël que la pyramide des âges pourrait pousser à la guerre.
Probablement la question idéologique est-elle la plus importante. Dmytro Dontsov et son homme de main Stepan Bandera ont magnifié les combattants ukrainiens, héritiers des Vikings suédois, les Varègues, qui doivent massacrer les « Moscovites » pour pouvoir festoyer au Valhalla. Aujourd’hui, c’est le « Führer blanc », Andriy Biletsky, qui a commandé les troupes de la Division Azov à Marioupol, de la 3e brigade d’assaut à Bakhmut/Artiomovsk et dernièrement à Avdeïevka/Avdiïvka. Identiquement, Benjamin Netanyahu, fils du secrétaire particulier de Vladimir Jabotinsky, n’a pas hésité à comparer les Palestiniens aux antiques Amalécites. Sous-entendu, il faut les exterminer tous comme le commande Yahvé, faute de quoi leur race ressurgira contre les Hébreux. De même les FDI ont-elles détruit systématiquement toutes les universités et écoles de la Bande de Gaza et massacré 30 000 civils en prétendant lutter contre le Hamas.
Dmytro Dontsov a fait alliance avec Adolf Hitler, dès 1923 c’est-à-dire avant qu’il ne parvienne au pouvoir, puis est devenu l’un des administrateurs de l’institut Reinhard Heydrich chargé de l’exécution de la solution finale des questions juives et tsiganes. Vladimir Jabotinsky, qui avait fait alliance avec Dontsov, en 1922, a fondé l’école des cadres du Betar à Civitavecchi (Italie) avec l’aide du Duce Benito Mussolini, en 1935. Il n’a pas eu la possibilité de jouer un grand rôle durant la Seconde Guerre mondiale puisqu’il est mort en août 1940. Il n’y a aucun doute possible sur l’adhésion des nationalistes intégraux ukrainiens au nazisme et des sionistes révisionnistes au fascisme.
Au demeurant, nous retrouvons la logique territoriale des régimes fascistes et nazis dans le discours actuel du président ukrainien, Volodymyr Zelensky et dans celui du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu. Tandis que les présidents russe et palestinien, Vladimir Poutine et Mahmoud Abbas, ne cessent d’affirmer défendre leurs peuples.
Photo d'illustration: La délégation israélienne de Benjamin Netanyahu et celle ukrainienne de Volodymyr Zelensky. Entre eux plane le souvenir de l’alliance fasciste de Vladimir Jabotinsky et de Dmytro Dontsov.
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• Pour en savoir plus sur le nationalisme intégral de Dmytro Dontsov, lire
« Qui sont les nationalistes intégraux ukrainiens ? », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 15 novembre 2022.
• Pour en savoir plus sur les sionistes révisionnistes de Volodymyr Jabotinsky lire :
« Le voile se déchire : les vérités cachées de Jabotinsky et Netanyahu », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 23 janvier 2024.
et « À Jérusalem, la "Conférence pour la Victoire d’Israël" menace Londres et Washington », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 13 février 2024.
- Source : Réseau Voltaire