La France et la Russie : trois siècles ensemble (deuxième partie)
Napoléon et le songe de Tilsitt
Contre l’Angleterre, le destin de la France et de Napoléon s’est autant joué sur les océans qu’en Russie. L’épopée époustouflante de la grande armée à travers l’Europe de 1805 à 1814 n’est finalement qu’une tentative insensée de «vaincre la puissance de la mer par la puissance de la terre» dans la grande querelle qui opposait depuis le Roi Soleil la France et l’Angleterre sur tous les océans du monde.
Gravure représentant la poignée de main entre l’empereur Napoleon Ier et Alexandre Ier, tsar de Russie sur un radeau construit à cet effet sur le Niemen près de Tilsit en Russie le 25 juin 1807
En juin 1807, la campagne de Pologne s’achève par un triomphe. Après l’Autriche défaite à Austerlitz puis la Prusse à Iéna, c’est maintenant l’armée russe qui est battue à Friedland. À 38 ans, Napoléon maître de l’Europe, est au sommet de sa puissance ! Mais l’Empereur des Français songe maintenant à une grande alliance continentale avec la Russie pour contraindre l’Angleterre à la paix. Résistant à l’enthousiasme des Polonais, Napoléon rétablit un Grand-Duché de Varsovie mais non pas un Royaume de Pologne pour ménager l’Empereur de Russie. Sur le radeau de Tilsitt, ancré au milieu du Niémen, les deux souverains s’embrassent : «Je déteste les Anglais autant que vous !», lance finement Alexandre, «Alors la paix est faite !» répond Napoléon ébloui par ce «bon jeune homme» comme il dit.
Pour les Français, l’alliance s’achèvera cinq ans plus tard dans Moscou en flamme et par une retraite héroïque de la Grande Armée dans les vents glacés de l’hiver 1812. Au printemps 1814, Alexandre 1er entre en vainqueur à cheval dans Paris. Napoléon abdique à Fontainebleau et part pour un premier exil à l’île d’Elbe… puis l’ultime épopée des cents jours, Waterloo et Sainte Hélène. À Vienne, les puissances redessinent bientôt une carte de l’Europe dont la France sort diminuée et la Russie plus forte que jamais. L’Angleterre se trouble…
Au XIXe siècle, de révolutions en coups d’état les régimes de la France bourgeoise se succèdent mais restent toujours subordonnés aux combinaisons politiques de la Grande-Bretagne qui parvient à entrainer Napoléon III en 1853 dans une guerre en Crimée contre la Russie. En septembre 1870, l’Angleterre laisse les Prussiens écraser les Français à Sedan. Le second empire disparaît emporté par la défaite et la IIIème République est proclamée. À Versailles, Bismarck proclame l’unité du Reich. Une nouvelle puissance est née en Europe : l’Allemagne !
Vers la guerre mondiale et la révolution
L’Alliance franco-russe
«Si tu veux la paix prépare la guerre»… L’Empereur Nicolas II et le président Loubet en 1894
Les débuts de la IIIème République en France sont incertains. La défaite de 1870 pèse sur le nouveau régime qui manque de prestige. Le pays, amputé des départements d’Alsace et de Moselle est maintenu dans un strict isolement diplomatique en Europe par les savantes combinaisons politiques du chancelier Bismarck.
En 1892, la diplomatie française parvient cependant à conclure avec l’Empire russe une spectaculaire alliance de revers contre l’Allemagne. À Cronstadt et à Toulon, escadres française et russe se rendent visite. Le capital français souscrit massivement aux emprunts russes…
En octobre 1896, l’Empereur Nicolas II et son épouse débarquent à Cherbourg pour une visite à Paris qui est un véritable triomphe : Notre-Dame, la Sainte Chapelle… Après Pierre le Grand et Alexandre 1er, Nicolas II est en moins de deux siècles, le troisième Empereur de Russie à se rendre à Paris. Les souverains s’arrêtent un moment aux Invalides devant le tombeau de Napoléon et posent première pierre du pont Alexandre III qui sera le grand symbole de l’alliance franco-russe lors de l’exposition universelle de 1900.
Cette diplomatie des alliances en Europe déclenche une mécanique infernale qui mène à un double cataclysme : une guerre mondiale et une révolution en Russie. En août 1914 pourtant, l’offensive précipitée de l’armée russe en Prusse Orientale suivie de la défaite catastrophique de Tannenberg permet aux Français de faire échec au plan Schlieffen en arrêtant l’offensive allemande sur la Marne à 25 kilomètres de Paris… Les Allemands se replient sur l’Aisne. Dans les tranchées, dans les airs, sur la mer et sous la mer, cette guerre mondiale va durer quatre longues années…
Pour la France et pour l’Europe c’est une première tentative de suicide. La Russie, quant à elle se retrouve emportée dans le formidable maelström de la révolution bolchevique et les flots de sang d’une guerre civile qui sera particulièrement féroce en Ukraine. Une chape de plomb totalitaire sans exemple dans l’Histoire s’abat sur le peuple russe.
Suite au prochain épisode…
• Première partie : La France et La Russie : Trois siècles ensemble
- Source : Stratpol