Budget 2023 : le Sénat et le gouvernement refusent de taxer les yachts et les jets privés
Lors de l’examen du budget 2023, le gouvernement et la majorité sénatoriale ont refusé les propositions de la gauche sur la taxation des jets privés ou les yachts. Gabriel Attal a notamment expliqué préférer « investir » dans la décarbonation que « taxer »...
Après de pudiques avis « défavorables » du ministre des Comptes publics, Gabriel Attal, et du rapporteur général du budget, le sénateur LR Jean-François Husson, la gauche sénatoriale s’est un peu agacée. Les sénateurs écologistes, Daniel Salmon, Ronan Dantec ou Guillaume Gontard, la sénatrice socialiste Isabelle Briquet, ou encore les sénateurs du groupe communiste Pascal Savoldelli, Cécile Cukierman ou Marie-Noëlle Lienemann venaient en effet de présenter de nombreux amendements pour taxer les jets privés ou les SUV sans recevoir de réponse très développée de la part du gouvernement ou du rapporteur général.
« Vous proposez de taxer, nous au contraire, ce que l’on veut, c’est investir »
La troisième salve a été la bonne, puisqu’à l’occasion de l’examen d’amendements socialistes et communistes – repris des amendements de la Nupes déposés à l’Assemblée nationale – sur la taxation des yachts, une ultime demande d’explication du président du groupe écologiste, Guillaume Gontard a obligé Gabriel Attal à s’emparer du micro. « Je n’ai pas jugé utile de revenir sur les amendements précédents parce que l’on a bien compris qu’il y a deux visions différentes […], une différence de ligne profonde », s’est expliqué le ministre, alors que l’on venait de passer une heure du matin.
« Il y a deux lignes. Vous proposez de taxer pour résoudre les problèmes, nous au contraire, ce que l’on veut, c’est investir », a continué le ministre chargé des Comptes publics. « Je préfère dépenser de l’argent dans l’avion bas carbone ou des navires qui polluent moins, plutôt que de créer des taxes à faible rendement. On va recruter plein de fonctionnaires pour des taxes qui ne créeront pas grand-chose », a asséné Gabriel Attal. Sur le fond, le ministre a aussi estimé que l’amendement proposé « ne touchait pas du tout que les yachts » mais aussi « les croisiéristes, ces gens qui travaillent plusieurs années pour se payer une croisière ».
« On ne peut pas demander à certains de mettre des pulls l’hiver quand d’autres vont faire leurs croisières aux Bahamas »
Sans surprise, la gauche sénatoriale a peu goûté la fin de non-recevoir du gouvernement. « Ce sont des histoires que vous nous racontez là », a protesté le sénateur écologiste Ronan Dantec. « Ce que vous proposez, c’est de taxer les plus modestes, avec la TICPE [une taxe sur les carburants], et pas les plus riches. Il faut que vous compreniez que tant que vous demandez aux ménages modestes de faire les efforts, vous exacerbez les tensions sociales. On passe notre temps à essayer de recréer de la justice sociale », a-t-il plaidé. Une argumentation reprise par Cécile Cukierman sur les bancs communistes : « On ne peut pas être dans une société qui culpabilise ceux qui travaillent et avoir des personnes qui, en toute impunité, font de la consommation énergétique sans rien devoir, même pas en contribuant simplement à hauteur de ce qu’ils consomment et coûtent à la planète ».
Les amendements de la gauche proposaient en effet de taxer « tout yacht qui traverse l’espace maritime français en fonction de ses émissions de gaz a? effet de serre, qu’il soit immatriculé? en France ou non, qu’il s’amarre ou non. » Une proposition de bon sens pour Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice GRS (Gauche Républicaine et Socialiste) : « Vous voulez investir dans la transition écologique, il faut des recettes : la juste participation de chacun à proportion de sa pollution, surtout quand on touche les plus riches et qu’il y a des alternatives. Il faut être sourd à ce qu’il se passe dans le pays [pour refuser]. On n’interdit pas les vols, on demande qu’ils payent à la proportion de leur pollution. Ce n’est pas une taxe de dissuasion mais pour donner les moyens de financer la transition écologique. »
Le sénateur écologiste Daniel Salmon préfère, lui, admettre avec le ministre Gabriel Attal, « qu’il y a bien deux lignes », « une qui regarde passer les yachts, et une qui veut que notre jeunesse ait un avenir. » Il ajoute, résigné face aux refus répétés du gouvernement et de la majorité sénatoriale : « On ne peut pas demander à certains de mettre des pulls l’hiver quand d’autres vont faire leurs croisières aux Bahamas. Vous ne prenez pas la mesure de la situation ».
« Ne mélangez pas lutte des classes et écologie »
« Pour qu’il n’y ait pas de malaise », Jean-François Husson, rapporteur général LR du budget, a tenu à réexpliquer sa position à ses collègues de la gauche sénatoriale : « Il faut vivre dans le monde d’aujourd’hui. Pour vous, la voiture ça pollue, l’avion ça pollue encore plus… Les mesures que vous proposez où l’on multiplie de 1 à 10 des taxes… »
À cette heure tardive, le rapporteur général rappelle une scène qui avait marqué le Sénat lors des mêmes débats budgétaires il y a maintenant cinq ans. Jean-François Husson n’était alors pas rapporteur général du budget et c’était Gérald Darmanin qui officiait à la place de Gabriel Attal, mais le sénateur LR et le sénateur écologiste Ronan Dantec avaient ferraillé côte à côte contre la taxe carbone, lors des débats à propos du budget 2018, en alertant le gouvernement sur le risque de tensions sociales.
Gérald Darmanin avait alors confié « ne pas croire à une nouvelle jacquerie », un an avant le désormais célèbre mouvement des Gilets Jaunes. « C’est quand même vous qui aviez soutenu la taxe carbone », lance donc cinq ans plus tard Jean-François Husson à… Ronan Dantec, avant de se reprendre : « Pas vous M. Dantec, mais un certain nombre de vos amis. » En tout état de cause, le rapporteur général voudrait que chacun « se dise qu’on a tous une part de vérité », et préfère « essayer de trouver les solutions pour réussir cette transformation avec le pavillon France qui gagne, et l’emploi qui se développe ».
Du côté des centristes, Vincent Capo-Canellas, appelle « à ne pas mélanger la lutte des classes et l’écologie » : « Vous accusez le gouvernement de faire pour les riches et pas pour les pauvres, mais j’ai cru comprendre qu’il y avait des aides qui allaient être ciblées sur les gros rouleurs. Vous allez détourner les gens de l’écologie à cause de l’idéologie. » Une chose est sûre, dans cinq ans, Emmanuel Macron ne sera plus président, mais on débattra encore de fiscalité écologique dans le projet de loi de finances pour 2028.
- Source : Public Sénat