«Je pardonne», dit Ary Abittan. Le certificat médical, lui, évoque : « Lésions anales/vaginales et saignements abondants »
« Je pardonne », dit-il à la télé. Mais il pardonne quoi, exactement ? Les lésions anales et vaginales, les hématomes internes et externes, les saignements abondants ? Les contusions sur les cuisses, les hanches, la joue gauche ?
On vous laisse imaginer : une femme arrive aux urgences avec des lésions anales, des hématomes et un état de choc patent. Elle porte plainte pour viol. Trois ans plus tard, l’accusé, un humoriste vedette, se confie à la télé : « Je pardonne. » Et les médias applaudissent presque ce grand seigneur. En France, l’affaire Ary Abittan n’est pas qu’un fait divers. C’est le miroir d’un système qui, sous couvert de présomption d’innocence, laisse trop souvent les victimes sur le carreau.
Retour sur les faits : une nuit de 2021 qui bascule tout
Tout commence le 2 novembre 2021, dans un appartement parisien. Ary Abittan, alors au sommet de sa carrière avec des rôles dans Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? et des one-man-shows bondés, est accusé de viol par une ancienne compagne. Les détails, sordides, sortent vite : la plaignante décrit une agression brutale, un refus clair de consentement. Le soir même, un certificat médical atteste de déchirures anales, de bleus et de griffures – des preuves physiques incontestables, comme un coup de poing dans un mur de verre.
L’humoriste est placé en garde à vue, l’instruction s’étire sur trois ans. Des expertises s’enchaînent, des témoignages se croisent. La défense ? Une relation consentie, certes intense, mais mutuelle. Pas de caméras, pas de témoins oculaires : le doute s’installe, ce fameux doute qui, en droit français, profite toujours à l’accusé.
Le non-lieu : innocence ou absence de preuves ?
Avril 2024 : le juge d’instruction prononce un non-lieu. Pas de charges suffisantes pour un procès. La plaignante fait appel, mais le 30 janvier 2025, la cour d’appel de Paris confirme.
En droit pénal français, un non-lieu n’équivaut pas à une relaxe ou à une déclaration d’innocence. C’est simplement : « On ne peut pas prouver l’absence de consentement au-delà du doute raisonnable ».
Imaginez un puzzle où il manque la pièce centrale – le viol (article 222-23 du Code pénal) exige non seulement un acte sexuel non consenti, mais aussi l’intention de l’auteur de passer outre. Pourtant, ces lésions graves ? Elles existent, elles sont documentées, et personne ne les conteste médicalement. Mais sans le « non » irréfutable, pas de condamnation pour viol. Et pour des violences volontaires ? Rien non plus : la plainte portait sur le viol, et les juges n’ont pas requalifié.
Un médecin légiste rédige un certificat médical initial, versé au dossier d’instruction. Ce document, établi dans les heures suivant l’agression alléguée, décrit :
- Lésions anales et vaginales graves : Déchirures (fissures), hématomes internes et externes, et saignements abondants aux niveaux génital et anal. Ces blessures sont qualifiées de « traumatiques » et « compatibles avec un rapport sexuel anal non consenti ou forcé ».
- Traces de violence externe : Contusions (bleus) sur les cuisses, les hanches et la joue gauche (gifles présumées), ainsi que des griffures sur les bras et le torse. La plaignante évoque aussi une strangulation légère, avec des marques au cou.
- Éléments matériels corroborant : Du sang frais sur une serviette de bain saisie au domicile d’Ary Abittan, analysé comme provenant de la plaignante. Des messages envoyés à une amie juste après les faits décrivent une « douleur insoutenable » et une « panique totale ».
Résultat : des blessures réelles, un traumatisme latent, et zéro sanction. Ah, la justice comme un filet trop large…
Le « pardon » d’Abittan sur BFMTV : un retournement théâtral
Journaliste : « Vous en voulez à votre accusatrice, qui vous a gâché la vie pendant trois ans ? »
4 ans après sa mise en examen pour viol, Ary Abittan affirme qu'il "pardonne" son accusatrice pic.twitter.com/vEhXYYyS1x
— BFMTV (@BFMTV) November 6, 2025
Le 6 novembre 2025. Sur le plateau de BFMTV, Ary Abittan fait son grand retour. Invité pour promouvoir un nouveau spectacle, il lâche, l’air magnanime :
« Je pardonne. Vous savez, le pardon n’est pas un cadeau qu’on fait à l’autre : c’est un cadeau qu’on se fait pour se libérer ».
— Ary Abittan, BFMTV, 6 novembre 2025
Il ajoute que ces trois ans ont « gâché sa vie », qu’il n’a « aucune colère » envers elle, mais qu’il n’a eu aucun contact depuis. Un monologue poignant, presque victimisant : l’humoriste, pilier du rire français, se pose en martyr d’une procédure « cauchemardesque ». La plaignante ? Absente du récit. Pas un mot sur son calvaire, ses nuits blanches, son combat solitaire. Et les internautes ? Divisés, mais furieux pour beaucoup : « Pardonner à qui ? À la victime qui a osé parler de ses hématomes internes et externes, et saignements abondants aux niveaux génital et anal ? »
Et là, le sarcasme pointe le bout de son nez. BFMTV titre : « Ça a été très dur : Ary Abittan dit pardonner la femme à l’origine des accusations. » Closer renchérit : « Il pardonne à son accusatrice et les internautes n’en reviennent pas. » Comme si le scoop, c’était le cœur généreux de l’humoriste, pas les faits médicaux ni le non-lieu ambigu.
C’est un pattern bien rodé dans les affaires de violences sexuelles en France : les médias, avides d’audience, humanisent l’accusé – surtout s’il est célèbre – et marginalisent la victime. Les chaînes comme BFMTV, en invitant Abittan sans contrepoint fort, alimentent cet narratif : l’homme qui pardonne, la femme qui accuse à tort. Un zeste d’empathie sélective, en somme.
Vers une justice qui protège vraiment ? L’appel au réveil
Derrière les paillettes d’Abittan et les plateaux télé, il y a une femme – anonyme, blessée – qui porte encore les stigmates. Son portrait ? Pas de one-woman-show triomphal, juste une procédure qui l’a usée. Des associations comme Osez le Féminisme crient au scandale, et des pétitions bloquent ses spectacles à La Réunion en février 2025. L’analyse est claire : sans réforme – consentement explicite, requalification automatique des violences – l’impunité régnera.
Ary Abittan reprend la scène, et c’est son droit. Mais à quel prix pour les autres ? En attendant, ce « pardon » médiatisé sonne comme un écho amer : dans le grand théâtre de la justice française, les victimes applaudissent-elles du second rang ?
- Source : Le Média en 4-4-2















