Retour sur le « processus de négociation » et la Pax Americana

Puisque le processus de négociation de la Pax Americana s'accélère et qu'à l'encontre de toute logique, contre toute raison, nous trouvons beaucoup de personnes pour s'extasier encore devant Trump, prenant sa volonté de restaurer la domination américaine du Monde global pour de la "paix", je vous propose de lire mes deux dernières chroniques pour RT France sur le sujet.
La France étant une "grande démocratie", ce qui la conduit à une censure de plus en plus forte, vous trouverez en lien les chroniques de RT, publiées sur le site Russie Politics.
Bonne lecture !
Ukraine : les États-Unis proposent une paix de soumission à la Russie
L’enchaînement des injonctions, des promesses et des menaces proférées par l’administration Trump à l’égard de la Russie conduit Karine Bechet-Golovko à considérer que le processus de «négociation de paix» est épuisé, l’illusion est en train de tomber. La Russie n’acceptera pas la version remaniée de la Pax Americana.
Ces derniers jours, le secrétaire d’État américain a fait des déclarations qui tranchent sur l’optimisme forcé de Trump et interrogent, tant sur la capacité des Américains à faire de réelles concessions, ce qui est inévitable dans un processus de négociation, que sur les divergences tant revendiquées entre élites mondialistes.
Nous apprenons ainsi, je cite, que «les États-Unis ne feront pas de concessions à la Russie, qui dépasseraient les lignes rouges de l’Ukraine ou de l’UE». Pour autant, les États-Unis « espèrent que la Russie est sérieuse dans sa volonté de résoudre le conflit en Ukraine ». Et pour aider la Russie à prendre « la bonne décision » et à la prendre rapidement, la menace accompagne l’absence de promesses tenues : « Le Congrès américain va exiger des sanctions accrues contre la Russie. (…) Les États-Unis reconsidéreront leur position sur l’Ukraine, s’ils estiment que la Russie fait traîner les négociations ».
La négociation, une arme comme une autre
Plus le temps passe et moins ce processus ressemble à une négociation de paix. Rappelons que les États-Unis, qui sont partie prenante dans ce conflit, continuent à fournir le front ukrainien en armes et en renseignements, tout en se positionnant comme un arbitre dans leur propre guerre. En ce sens, la technique de négociation est une arme «comme une autre» pour conduire l’autre à céder. Dans le paradigme atlantiste, imposé par la guerre entre des parties, « l’autre » n’est pas un partenaire mais bien l’ennemi.
Rubio confirme l’unité d’action des globalistes, lorsqu’il affirme respecter les lignes rouges « européennes » et « ukrainiennes ». Comment pourrait-il en être autrement, si l’Europe est devenue un satellite atlantiste et l’Ukraine au mieux un protectorat au pire un simple front, où se bat l’armée atlantico-ukrainienne ?
Ainsi, l’administration Trump joue dans les limites posées par les élites globalistes, mais cachée derrière le voile de l’illusion. C’est ici que les Américains ont réellement fait preuve de génie, en réussissant à renverser la vision du monde par la simple élection de Trump, qui serait automatiquement dissocié du pays qu’il gouverne. Ainsi, le pays serait coupable d’avoir voulu et de mener cette guerre au quotidien, tandis que lui, personnellement, n’en serait pas responsable. Il serait dès lors légitime d’exiger de la Russie qu’elle cesse de se battre et de se défendre, la guerre qui se déroule « en » Ukraine étant, selon cette rhétorique, une guerre « entre » la Russie et l’Ukraine.
Il ne faut pas négliger le pouvoir de l’illusion, il est extrêmement puissant, surtout lorsqu’il va dans le sens attendu par le destinataire. Les gens veulent entendre parler de paix, ils refusent de se demander de « quelle paix » il s’agit. Le refus est viscéral. Ils préfèrent l’auto-hypnotisme.
Trump est leur nouveau héros, Trump est le grand pacifiste, surtout quand ses hommes de main ridiculisent les pantins gouvernant l’Europe au nom des mondialistes. Quand ces hommes de main font ce qu’eux n’ont pu vouloir faire, ce que les élites russes n’ont pas osé faire. Parmi ces élites russes, nous trouvons aussi des oreilles favorables au discours de paix, certes pour des raisons différentes : le pouvoir russe a toujours affirmé et continue à affirmer qu’il reste ouvert à une solution diplomatique du conflit.
La Russie est pragmatique : si elle peut parvenir à ses fins par la négociation, elle n’a aucune envie de continuer la guerre. Le problème fondamental est qu’elle ne peut stratégiquement garantir sa sécurité par les négociations, sans demander à un tiers de la protéger, ce qui serait pour le moins anachronique à la quatrième année de guerre chaude.
L’illusion de la paix
L’homme est ainsi fait qu’il se refusera longtemps à remettre en cause ce à quoi il a profondément cru, ce à quoi il a voulu croire. Parce que cette remise en cause l’obligerait à reconsidérer le monde qui l’entoure. L’illusion peut ainsi survivre un temps à l’image qu’elle a créée, les hommes le garantissent en se barricadant au milieu de solides paradoxes. La paix, c’est la guerre. L’illusion de la paix est plus confortable que la réalité d’une guerre, ce qui n’empêche pas la guerre de se dérouler au son de « vive la paix ».
Cioran l’affirmait déjà dans « Histoire et utopie » : « Nos rêves d’un monde meilleur se fondent sur une impossibilité théorique. Quoi d’étonnant qu’il faille, pour les justifier, recourir à des paradoxes solides ? ». Parce que nous voulons la fin, sans oser les moyens.
Que veut, que peut Rubio ? Quelle «paix» propose-t-il à la Russie ? Une paix de soumission. Une paix, qui permette à son pays de sortir la tête haute et triomphante de ce conflit, qui ne tourne pas à son avantage sur le terrain, sachant que le temps est compté pour cette administration. Or, si la Russie accepte les conditions des élites globalistes, peu importe que ce soit sous étiquette trumpiste ou autre, elle renoncera à ses propres intérêts. Et, comme l’a rappelé le ministère russe des Affaires étrangères, en l’état les propositions américaines n’intéressent pas la Russie, car elles ne permettent pas de résoudre le conflit à sa source.
Donc, accepter reviendrait pour la Russie à reconnaître et à défendre l’intérêt des élites mondialistes au détriment de son propre intérêt. Est-ce l’intérêt de la Russie de permettre aux États-Unis de sortir vainqueur du conflit ? Ce serait absurde. Il reste à faire le pas suivant : quand une voie conduit à une impasse, il faut en sortir.
Nous sommes arrivés à la limite de ce processus de négociation, cette voie est épuisée. Les États-Unis n’envisagent des négociations que «entre les parties au conflit», ce qui pour eux revient à l’Ukraine et à la Russie. Comme Kellog l’affirmait : «La Russie et l’Ukraine doivent parvenir à un accord car «aucune des deux parties n’obtiendra tout ce qu’elle veut». Or, les États-Unis négocient avec la Russie, pour la simple et bonne raison qu’ils sont la partie principale dans ce conflit. Et quelles concessions, eux, sont-ils prêts à faire ?
Rubio a apporté la réponse : manifestement aucune, puisque l’administration Trump suit la ligne dure imposée par les mondialistes. L’Ukraine n’entrera pas dans l’OTAN ? De toute manière, cela n’est pas nécessaire puisque les pays de l’OTAN ont conclu des accords bilatéraux permettant une «assistance militaire», afin de soutenir «leur» armée sur le front contre la Russie. Puisque les élites globalistes européennes et leur administration locale à Kiev refusent toute véritable concession territoriale, qui entraînerait un recul du Monde global et donc sa mise stratégique en danger, cette question est également réglée.
La Russie est en train d’acter la situation, lentement, pas à pas, mais le processus est en marche. Nous assistons, d’une part, à une redistribution de son action diplomatique, qui, d’autre part, ne remet pas en cause l’avancée de l’armée sur le terrain. Suivant en cela la ligne posée par l’empereur Alexandre III, affirmant que la Russie n’a que deux alliés, son armée et sa flotte. Reste à mettre le narratif en accord avec la ligne politique, afin que le discours politico-médiatique russe puisse remplir la fonction de dissuasion, qui est la sienne en temps de guerre.
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Ukraine : il est temps pour la Russie de sortir de ce processus de négociation
Trump entend conclure dans les jours à venir une «paix», qu’il désigne comme étant «entre Kiev et Moscou», puisqu’il estime que Washington, ses satellites et l’OTAN sont ici neutres. Pour Karine Bechet-Golovko, après l’échec attendu de la trêve pascale, la Russie doit sortir de ce jeu macabre : le temps de la négociation n’est pas encore arrivé.
Cette année, comme l’année dernière, la Russie a proposé une trêve dans les combats pour les fêtes de Pâques. L’année dernière, les Atlantistes l’ont simplement repoussée par la voix de Zelensky, cette année il a fallu faire semblant d’accepter. Leur intérêt était multiple.
Tout d’abord, sur le plan militaire, ils ont pu obtenir l’arrêt de l’armée russe – au moins pour 30 heures. Des tentatives ont été faites par l’armée atlantiste pour attaquer la région de Belgorod, des tirs réguliers ont été perpétrés contre les régions frontalières, ainsi que sur Donetsk, Lougansk et Gorlovka. Bref, rien de nouveau depuis les Accords de Minsk : tout cessez-le-feu est utilisé par les Atlantistes contre la Russie.
Ensuite, sur le plan médiatique, ce fut l’occasion d’une campagne de dénigrement de la Russie. Sur toutes les chaînes du Monde global, notamment françaises, Zelensky était cité en boucle pour accuser la Russie de violer sa propre trêve et des « correspondants » sur place faisaient semblant d’avoir peur d’un tir. Pendant ce temps-là, les HIMARS, les drones, l’artillerie étaient utilisés contre la Russie.
Enfin, sur le plan politique, la trêve, même ouvertement violée par les Atlantistes, est désormais utilisée pour faire pression sur la Russie et la conduire à continuer à faire des concessions, afin d’arriver à un cessez-le-feu sans conditions et définitif. Autrement dit, pour lui faire déposer les armes, pour déposer elle-même son armée, puisque les Atlantistes n’ont pas la force de le faire.
Et nous voyons depuis, Trump annoncer qu’il espère qu’un accord sera conclu la semaine prochaine « entre l’Ukraine et la Russie », comme si lui, la première partie au conflit, était un arbitre. Il annonce d’ailleurs de manière assez vulgaire, qu’ensuite l’Ukraine et la Russie pourraient faire du fric avec les États-Unis.
Combien coûtent la Russie et le Monde russe ? Pour Trump et les globalistes, pas chers – surtout s’ils sont ainsi mis en vente.
Pendant la trêve, toutes les bonnes âmes du Monde global félicitaient la Russie pour ce geste (unilatéral, comme à l’habitude) de bonne volonté. Et pour cause. Si leur intérêt est évident, quel est l’intérêt de la Russie ? Les arguments avancés furent de trois ordres.
Humanitaire, tout d’abord : sauvons des vies. C’est par ailleurs l’argument préféré de Trump, qui ne voit de manière assez curieuse d’intérêt à « sauver des vies » que sur le front ukrainien, car en ce qui concerne ses guerres contre les Palestiniens et les Houthis, cela ne lui cause aucun cas de conscience. Cette vision très sélective de l’importance soudaine des vies humaines soulève beaucoup de questions quant à sa sincérité.
Par ailleurs, si l’argument est important, car oui les vies humaines sont importantes et chacune d’entre elles a un prix, il serait bon de ne pas recommencer à considérer la vie de manière strictement biologique, comme la tendance est un peu trop marquée depuis la période covidienne.
Chaque vie est importante, car elle a un sens, car elle est un don de Dieu et qu’elle doit servir les hommes et la Patrie. Ainsi, la manière dont cette vie est vécue est non moins importante, que sa durée. Sinon, à quoi servait-il pour la Russie d’entrer dans le conflit en 2022 ? Il lui aurait suffit alors de renoncer à elle-même, ce qui était attendu d’elle, de ne pas répondre et de livrer les clés du pays. La Russie serait passée sous contrôle atlantiste et le Monde global aurait été sauvé.
Mais vaut-il la peine de vivre une telle vie ? La question ne concerne pas que les Russes, mais aussi nous, les Français. Car si la Russie n’était pas entrée dans le combat ou si la Russie transige, voire capitule, nous entrons dans une période de globalisation fanatique, de soumission totale, de servitude. Voulons-nous d’une telle vie ?
L’autre argument avancé fut religieux. Pâques est sacrée, chacun doit avoir le temps et la possibilité de se recueillir. Cette approche est saine, mais malheureusement décalée de la réalité. Le Monde global se moque de la religion, qu’il déteste presque autant que l’État. Pour lui, ces deux vasques de pouvoir doivent être renversées et détruites, pour être remplacées par de pâles imitations contrôlables. Le symbole ne peut être accepté par le Monde global, il tente de le réduire quasiment physiquement.
Enfin, la Russie voulait montrer aux États-Unis qu’elle voulait la paix. Depuis quand des adversaires dans une guerre veulent-ils montrer leur volonté de paix à l’autre ? En général, pour remporter la guerre, il vaut mieux montrer à l’autre sa volonté de victoire, sinon il prend cela pour de la faiblesse. Ce qui est le cas ici, avec l’enchaînement des déclarations des globalistes exigeant désormais de la Russie qu’elle fasse le pas suivant, le dernier, l’ultime – devant la conduire dans le gouffre de la faute décisive et consistant en un cessez-le-feu définitif. Fin de la partie.
Trump avance ses pions pour faire passer le territoire ukrainien sous contrôle « neutre », c’est-à-dire américain, comme la logique du Monde global et de la Pax Americana l’exigent. Même la centrale de Zaporojié, sous contrôle russe, est dans le viseur. Il estime que cela conduira à la paix.
D’une certaine manière oui, cela conduirait à une certaine « paix », à la paix américaine, atlantiste, globaliste. Et Trump aurait alors rempli la mission que Biden et ses prédécesseurs ont échoué à remplir : recoller les morceaux du Monde global. Et peu importe les éléments techniques devant séduire la Russie, comme la non-entrée de l’Ukraine dans l’OTAN (voir la Finlande d’une part en contre-exemple, et les accords bilatéraux d’assistance militaire déjà conclus, d’autre part), ou la levée même partielle des sanctions (qui ont été reportées par Trump – certainement en geste de bonne volonté), sans parler de la possible reconnaissance de la Crimée (et l’oubli des autres territoires).
Mais cette paix, et Trump n’en a pas d’autre à offrir à la Russie, est une paix de capitulation pour la Russie, qui n’a rien à y gagner, puisqu’elle ne permet pas de régler la source du conflit. Ce qui est logique : pourquoi un adversaire devrait-il faire de lui-même des concessions telles, qu’elles permettraient de garantir les intérêts de celui qu’il combat ? Si cette paix est dans l’intérêt évident de Trump et des globalistes, elle n’est pas dans l’intérêt de la Russie, ni des forces qui la soutiennent et qui espèrent en elle de par le monde.
D’où cette simple conclusion : il est temps pour la Russie de sortir de ce processus de négociation, avant qu’elle n’ait été conduite à passer du compromis à la compromission. La Russie n’a jamais négocié la Crimée, elle n’a pas négocié ce qu’elle considère comme étant son territoire, sa victoire. Elle n’a rien à négocier ici. Ce n’est pas encore le moment et ce n’est surtout pas le bon format.
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- Source : Russie politics