La Russie ne mérite pas d'être ainsi négociée

La Russie va rencontrer directement une délégation ukrainienne en Turquie demain pour discuter d'un accord sur la mer Noire, alors que l'armée atlantico-ukrainienne viole quotidiennement le moratoire des tirs sur les sites énergétiques ... qui lui-même pourrait être reconduit, apprend-on dans la foulée. A force de négliger la symbolique en politique, la Russie affaiblit sa position dans ce conflit. A moins que les élites n'envisagent pas une victoire sur "ce" monde, mais veulent toujours naïvement y négocier leur place ? La "naïveté" coûte très cher en période de guerre et les Atlantistes, notamment les Américains, sont eux bien en guerre contre la Russie.
Chaque jour, le ministère russe de la Défense annonce la liste des tirs quotidiens effectués par l'armée atlantico-ukrainienne sur les sites énergétiques russes. Pendant ce temps, la Russie continue infailliblement et unilatéralement à exécuter le moratoire. Et régulièrement informe ses "partenaires" américains en particulier, atlantiste en général, qui ne sont évidemment pas au courant de ce que fait "leur" armée sur le front ukrainien ...
La Russie s'oblige ainsi seule, en violation même des accords conclus, qui en toute logique autorisent chaque partie à sortir de l'accord, quand l'autre partie le viole.
Et sans même s'arrêter à cela, les élites russes continuent à négocier avec l'Administration Trump, comme s'il s'agissait d'un arbitre voulant la paix et non pas de la principale partie au conflit. Tout le discours politico-médiatique russe reprend en choeur : les Ukrainiens ne veulent pas de la paix, que la Russie et les Etats-Unis tentent de mettre en place. Amen !
Est-ce de la naïveté, de l'incompétence ou de la bêtise ? Je n'ose imaginer une autre solution.
Pendant que Witkoff s'invite en Russie, comme Nulland s'invitait en Ukraine, Trump déclare crûment que "Poutine doit se bouger". Ajoutant tout en finesse, qu'il faut finir par faire ou par se taire. Et, malgré l'insistance des médias et blogueurs russes et "pro-russes" pour excuser leur idole (je parle de Trump) et expliquer en long, en large et en travers, qu'évidemment Trump parlait de Zelensky, il est beaucoup plus sûr qu'il s'agissait de Poutine. Puisque Trump critique la lenteur avec laquelle la Russie hésite à capituler.
Manifestement, il "s'est bougé", puisque l'on apprend qu'une rencontre est prévue en Turquie les 15 et 16 avril, pour la première fois directement entre les délégations ukrainienne et russe, pour discuter d'un accord sur la mer Noire. Ce qui est une double victoire pour les Atlantistes :
- la Russie s'est inclinée et a accepté une rencontre avec l'Ukraine, reconnaissant de plus en plus que le conflit se déroule, comme les Atlantistes l'exigent, entre ces deux pays - et donc, au passage, la Russie reconnaît la qualité de sujet à l'Ukraine ;
- la Russie s'est inclinée en n'attendant pas, comme cela avait été fixé à Riyad, que les sanctions soient levées à son encontre, que le moratoire des tirs sur les installations énergétiques soit respecté et que l'accès lui soit rendu au marché international pour discuter de la mise en oeuvre d'un accord sur la mer Noire, retirant ainsi toute force à sa parole.
Dans la foulée, le moratoire unilatéral pourrait être reconduit. Selon Peskov, la Russie aurait besoin d'analyser la pratique. Qu'y a-t-il à analyser ? Cela reste un mystère de la pensée complexe, qui doit surtout permettre d'éviter de devoir prendre une décision "inconfortable".
Les élites dirigeantes russes n'ont strictement aucune raison de dire qu'ils ont été trompés. Ils se sont trompés eux-mêmes, ou n'ont finalement pas le courage de remettre véritablement en cause ce monde. Ils ne se battent pas "contre", mais "pour" - pour y avoir leur place, et surtout pour la défendre. Si tel est le cas, ce serait une catastrophe pour le pays.
Quoi qu'il en soit, cette faiblesse chronique, cette manière de négliger la dimension politique est contreproductive. Il est au minimum naïf, surtout en temps de guerre, de négliger l'importance de la parole donnée. Si vous n'exigez pas le respect de votre parole, pourquoi les autres devraient-ils la respecter ? Cela veut dire que votre parole n'a aucune force.
Les Atlantistes jouent sur le formalisme excessif des autorités russes, qui une fois pris une obligation ne savent plus dire non. Ont-elles à ce point besoin de faire bonne figure devant les Atlantistes, qui les prennent de plus en plus de haut ?
Le registre de langage de Trump devient lui aussi de plus en plus méprisant, au fur et à mesure que les autorités russes s'alignent. Le vrai-faux plan de Kellogg, qui prévoit un recul significatif de l'armée russe, sans reconnaissance juridique et avec une occupation miliaire atlantiste du territoire ukrainien, a bien été rejeté, celui-ci s'insurge contre l'armée russe, qui ose tirer sur un contingent militaire à Soumy, au moment où les militaires devaient être décorés . Il n'est soudainement plus question que de civils :
"L’attaque des forces russes contre des cibles civiles à Soumy dépasse toutes les limites de la décence. En tant qu’ancien responsable militaire, je sais ce que sont les frappes ciblées et ceci est inacceptable"
Il est vrai que les Américains sont spécialistes des "victimes collatérales", tous les pays "libérés" malgré eux le savent.
Le symbolisme est aussi important que la dimension militaire pour gagner une guerre, puisque celle-ci peut se gagner sur le terrain et se perdre dans les couloirs. Ce vers quoi la Russie se dirige dangereusement, si elle continue sur cette voie. L'histoire permettra-t-elle à la Russie de revenir dans son cours, malgré ces errements ? Cela reste à espérer.
- Source : Russie politics