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Mardi, 04 Mars 2025

Trump s’attaque à l’« Occident collectif »

Auteur : M.K. Bhadrakumar | Editeur : Walt | Mardi, 04 Mars 2025 - 13h12

Il faut toujours prêter attention à ce que dit le diplomate indien Bhadrakumar, l’un des hommes les mieux informés au monde. La reprise de discussions entre les Etats-Unis et la Russie donne l’occasion à un certain nombre d’observateurs dans le monde de prendre du recul et juger sévèrement les trente dernières années de politique occidentale. Aujourd’hui, nous donnons la parole à M.K.Bhadrakumar, qui replace l’esclandre de la Maison Blanche dans la perspective de trente ans de politique antirusse de l’axe transatlantique. Pour lui, il ne fait aucun doute que Zelensky n’aurait jamais osé contredire Donald Trump et J.D. Vance sans y avoir été encouragé par les dirigeants de l’UE.

***

La scène dramatique qui s’est déroulée dans le bureau ovale vendredi soir indique que le président Donald Trump est en train de dissocier les États-Unis de la « guerre éternelle » en Ukraine que son prédécesseur Joe Biden avait laissée derrière lui. La guerre est sur le point de se terminer dans un gémissement, mais son « effet papillon » sur notre monde incroyablement complexe et profondément interconnecté définira la sécurité européenne et internationale pour les décennies à venir.

Les médias occidentaux, hostiles à Trump, ont saisi l’occasion pour le caricaturer comme étant un personnage impulsif, dans une inversion des rôles avec Zelensky. En réalité, c’est l’administration Biden qui a littéralement poussé Trump à agir de la sorte.

La réaction très émotionnelle de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui a exprimé sa compassion à l’égard du président Zelensky, est éloquente : « Votre dignité honore la bravoure du peuple ukrainien. Soyez fort, soyez courageux, n’ayez pas peur. Vous n’êtes pas seul, cher président ». Le refus de Trump d’accorder un rendez-vous à Von der Leyen peut expliquer en partie sa fureur de femme bafouée. En vérité, l’« Occident collectif » se trouve à la croisée des chemins et ne sait pas quelle route prendre. Sans la couverture aérienne et les apports satellitaires des États-Unis, le déploiement de troupes occidentales en Ukraine sera impossible. Même le Français Emmanuel Macron admettrait que ses troupes seront passées au hachoir.

Von der Leyen et Macron se sont tous deux amusés à encourager la guerre de Biden, mais toute nouvelle aventure en Ukraine serait suicidaire, c’est le moins que l’on puisse dire. L’armée ukrainienne s’effondrera si Trump gèle son soutien. Aucune des puissances européennes ne prendra le risque d’une collision avec la Russie.

Trump sait désormais que le récit occidental de la guerre de Biden est un ramassis de conneries parsemé de faussetés et de mensonges purs et simples, et que la guerre n’a éclaté qu’en raison du complot diabolique de l’Occident visant à provoquer l’ours, qui a finalement réagit et frappé.

Le coup d’État de la CIA à Kiev en février 2014 a été un événement décisif qui a ouvert la voie à la présence de l’OTAN sur le sol ukrainien. En effet, des choses terribles se sont produites, qui ont été mises sous le tapis – par exemple, les liens douteux du ministre allemand des affaires étrangères de l’époque, Frank-Walter Steinmeier, avec les groupes néo-nazis ukrainiens qui ont joué le rôle de troupes d’assaut lors du coup d’État de 2014. Pensez-y, c’est grotesque : un social-démocrate allemand patronnant des groupes néo-nazis !

Trump sait très certainement que l’État profond américain a mis en œuvre un programme visant à déstabiliser la Fédération de Russie et à la démembrer dès la dissolution de l’Union soviétique. La guerre de Tchétchénie n’a pas d’autre explication. En fait, Poutine a accusé des agents américains d’avoir aidé directement les insurgés.

Une fois encore, l’administration de Bill Clinton a lancé l’idée d’une expansion de l’OTAN dès 1994. Cette idée n’est pas sortie de nulle part, elle était manifestement en cours d’élaboration depuis le démantèlement de l’Union soviétique. Au milieu des années quatre-vingt-dix, même Boris Eltsine a compris qu’on s’était moqué de lui. Le retour d’Evgeny Primakov au Kremlin et l’ouverture d’Eltsine à Pékin étaient les signes les plus sûrs d’un changement de cap.

Les connaisseurs de l’histoire soviétique savaient depuis longtemps que l’Ukraine serait le théâtre où les États-Unis tenteraient de sceller le destin de la Russie. Si une confirmation supplémentaire était nécessaire, elle est venue avec la révolution colorée de la CIA en Ukraine en 2003, où les élections ont été truquées (comme en Roumanie aujourd’hui) et portées à un troisième tour jusqu’à ce que le mandataire sorte victorieux et que Viktor Iouchtchenko mette la question de l’adhésion à l’OTAN sur la table. Lors du sommet de l’OTAN à Bucarest en 2008, George W. Bush a insisté pour que l’alliance propose officiellement l’adhésion à l’Ukraine !

Aujourd’hui, c’est le MI6 britannique qui mène la danse à Kiev. Zelenskyy a récemment admis qu’une grande partie de l’argent donné par Biden avait tout simplement « disparu ». Les histoires sordides de pots-de-vin massifs et de corruption sont légion. Biden les a ignorées. L’implication de la famille Biden dans les cloaques ukrainiens est largement connue. Contrairement à l’engagement qu’il avait pris auparavant de ne pas le faire, Joe Biden s’est finalement senti contraint d’accorder une grâce présidentielle à son fils Hunter Biden afin qu’il ne finisse pas en prison.

Il est évident que le « défi stratégique » de Zelenskyy découle de sa confiance tranquille dans le fait que les dirigeants occidentaux – à commencer par Boris Johnson et Biden – qui ont été des compagnons de route dans le train de la corruption au cours des trois dernières années de la guerre – lui sont redevables jusqu’à l’éternité.

L’axe entre Zelensky et ses partisans de l’Union européenne consiste à cajoler Trump, à faire pression sur lui et à le flatter à tour de rôle pour le faire monter dans le train afin que la guerre se poursuive pendant quatre années supplémentaires. Rien que la semaine dernière, les présidents français et polonais, ainsi que le Premier ministre britannique, se sont rendus à la Maison Blanche les uns après les autres pour obtenir l’assurance que la guerre en Ukraine se poursuivrait. Mais Trump a refusé d’obtempérer.

Zelenskyy et ses soutiens européens veulent une « guerre éternelle » dans les terres frontalières occidentales de l’Eurasie, la voie traditionnelle d’invasion de la Russie. La semaine dernière, il a de nouveau exclu l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Il a également évoqué les pourparlers en cours sur « les grandes transactions de développement économique qui auront lieu entre les États-Unis et la Russie ».

Trump a répété la semaine dernière que la guerre pourrait être terminée « en quelques semaines » et a mis en garde contre le risque d’escalade vers une « troisième guerre mondiale ». En fait, il se rend compte qu’il s’agit d’une guerre ingagnable et craint qu’une guerre prolongée ne se transforme en un bourbier qui ferait sombrer sa présidence et déraillerait le grand marché qu’il espère conclure avec les deux autres superpuissances, la Russie et la Chine, afin de créer une synergie pour son ambitieux projet MAGA.

Trump a prévu d’accueillir les dirigeants de la Russie et de la Chine sur le sol américain en 2026, le quart du millénaire de la déclaration d’indépendance des États-Unis, pour célébrer le point culminant de sa quête de paix dans le monde. Les élites politiques européennes, nourries à l’« ordre fondé sur des règles » libéral-globaliste, ne peuvent pas comprendre les convictions profondes de Trump et son horreur de la guerre.

La grande question est maintenant de savoir si l’agitation sans précédent qui a eu lieu hier à la Maison Blanche pourrait se retourner contre Zelenskyy, étant donné que Washington dispose d’un pouvoir important vis-à-vis de Kiev et que cette dernière dépend fortement des États-Unis pour certains des éléments essentiels de sa défense.

Suite à la discussion dans le bureau ovale, Zelenskyy a publié une longue déclaration dans laquelle il admet qu’il est « crucial » pour l’Ukraine d’avoir le soutien de Trump. Un rabibochage n’est pas à exclure, mais le système transatlantique a été fortement ébranlé, car l’écrasante majorité des pays européens ont exprimé leur soutien à Zelensky. En fait, il n’y a pas eu une seule voix pour censurer Zelenskyy. La Grande-Bretagne est restée muette. Keir Starmer, premier ministre britannique, accueille dimanche une réunion des dirigeants européens à laquelle Zelenskyy doit participer. Il est peu probable que les Européens poussent le bouchon plus loin.

Dans ce scénario sombre, le meilleur espoir est que l’éviction de Zelenskyy, qui semble probable, ne soit pas un événement violent et sanglant, compte tenu des rivalités de pouvoir au sein du régime de Kiev. Quoi qu’il en soit, son remplacement n’est peut-être pas une chose terrible puisqu’il nécessiterait la tenue d’élections attendues depuis longtemps et conduirait à l’émergence d’un leadership légitime à Kiev, ce qui est devenu une nécessité absolue pour que ce que Trump appelle le « bon sens » l’emporte.

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.


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