Suite des évènements au Pérou – Francisco Sagasti remplace Manuel Merino à la présidence
Le Congrès péruvien a nommé l’éminent ingénieur économiste Francisco Rafael Sagasti Hochhausler au poste de Président par interim de la République du Pérou suite à la démission de Manuel Merino intervenue cinq jours seulement après sa prise de fonction.
Ces derniers jours, les rues des principales villes du Pérou, dont celles de la capitale Lima, ont été le théâtre de la mobilisation de milliers de citoyens réunis en masse pour contester la destitution de l’ancien Président Martin Vizcarra. Une décision jugée inconstitutionnelle par les manifestants et largement perçue comme la revanche d’un Congrès d’opposition dominé par la droite. Le Député Manuel Merino de Lama, alors Chef du Congrès s’est vu endosser le rôle de Président par intérim et s’est retrouvé par la même occasion garant des pouvoirs législatif et exécutif.
Les manifestations se sont intensifiées et la seule réponse du gouvernement par intérim a été de déployer ses « forces de répression ». La police est intervenue avec la violence à laquelle on pouvait s’attendre, causant trois morts, des centaines blessées, une quarantaine de disparus. Suite à l’évaluation des conséquences de l’intervention policière, le nouveau Président du Parlement, Luis Valdez, jugeant « insoutenable » la situation dans les rues, a demandé la démission immédiate du Président Manuel Merino afin de trouver une issue aux contestations qui se répandent dans le pays en raison de la profonde crise multisectorielle qu’il traverse. 13 ministres du nouveau gouvernement ont alors décidé d’annoncer leur démission : les Ministres de la Défense, de la Justice, de l’Intérieur, de la Culture, de la Santé, de l’Agriculture, de l’Éducation, de la Femme, de l’Économie, du Commerce Extérieur, du Développement et de l’Inclusion Sociale, du Logement et de l’Énergie et des Mines.
Dimanche 15 Novembre, dans un message adressé à la nation depuis le Palais du Gouvernement, Manuel Merino a annoncé son départ du poste de Président par intérim, précisant que le pouvoir législatif aura maintenant la responsabilité de décider de la suite des événements. Des milliers de citoyens ont célébré la nouvelle de ce qu’ils considèrent comme une victoire de la résistance de la mobilisation populaire au rythme des casseroles et des acclamations.
Merino aura néanmoins à répondre de ses actions au cours de son court passage à la tête du gouvernement. Le Bureau du Procureur Général, Zoraida Avalos, a ouvert une enquête préliminaire pour la mort injustifiée de jeunes manifestants tués par balles par des hommes en uniforme lors de la répression policière. L’enquête concerne Merino, le Premier Ministre Ántero Flores Aráoz et le Ministre de l’Intérieur Gastón Rodríguez. Le procureur a également lancé une investigation sur la disparition d’un nombre indéterminé de personnes qui ne seraient pas rentrées chez elles ou n’auraient pas été retrouvés par leurs proches. Les caméras de surveillances des zones de protestation et la géolocalisation des téléphones des disparus seront utilisées pour les localiser ou suivre leurs traces.
Des centaines de blessés, une quarantaine de disparus et trois morts durant les affrontements
Francisco Sagasti prend le relai
Au lendemain de la démission de Manuel Merino, Francisco Rafael Sagasti Hochhausler est devenu le nouveau Président par interim du Pérou après avoir obtenu 97 votes favorables du Congrès péruvien sur 130.
Il s’agissait en fait du deuxième vote pour décider de celui qui allait succéfer à Merino, après que la proposition pour la Députée Rocio Silva Santisteban n’ait pas obtenu le nombre de votes nécessaires.
#PlenoVirtual aprueba, con 97 votos a favor, la nueva Mesa Directiva del Congreso para el periodo 2020-2021, presidida por el parlamentario Francisco Sagasti Hochhausler. pic.twitter.com/l3YQqgtKzV
— Congreso del Perú (@congresoperu) November 16, 2020
Le Congrès approuve, avec 97 voix favorables, la nouvelle direction
du Congrès pour la période 2020-2021, par Francisco Sagasti Hochhausler.
Sagasti a commencé son discours au Congrès en rendant hommage aux victimes de la répression policière dans les rues péruviennes. Ses premiers mots apaisants ont marqué le ton des actions de réconciliation attendues de lui : « Nous ne pouvons pas revenir en arrière, nous ne pouvons pas changer cela, mais nous pouvons prendre des mesures pour que cela ne se reproduise pas … Nous avons une tâche commune à tous, celle de perfectionner le cadre juridique, afin que des manifestations pacifiques puissent avoir lieu sans problème. Nous avons des disparus. Lorsqu’un Péruvien meurt, et plus encore s’il est jeune, c’est tout le Pérou qui est en deuil. Au deuil s’ajoute l’indignation, celle que l’on voit dans les rues, celle que l’on doit canaliser dans des voies pacifiques pour guider le pays … Ce que nous avons vu ces derniers jours est un puissant appel à notre attention. Cet appel à la réforme et au changement pour que nous puissions tous avoir les mêmes chances est ce à quoi nous assistons dans la rue ».
À 76 ans, Francisco Sagasti prend les rênes d’un gouvernement en mal de stabilité qui enchaîne les épisodes de guerres intérieures. Son rôle pour la prochaine année sera de construire la cohésion nécessaire à la gestion efficace de la profonde crise institutionnelle qui secoue le pays. Son bagage professionnel et sa carrière politique laissent néanmoins entrevoir une certaine tendance à une obédience à l’oligarchie.
Né à Lima, il est le petit-fils de Francisco Sagasti Saldaña, héros national de la bataille de Tarapacá, pendant la Guerre du Pacifique. Il s’inscrit à l’Université Nationale d’Ingénierie de Lima, où il obtient un diplôme d’ingénieur industriel. Puis une maîtrise en génie industriel à l’Université d’État de Pennsylvanie, et un doctorat en recherche opérationnelle et en sciences des systèmes sociaux à la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie.
Entre 1972 et 1977, Sagasti devient Vice-Président du Directoire de I’Institut de Recherche Technologique, Industrielle et des Normes Techniques du Pérou et Conseiller du Ministre de l’Industrie pendant le gouvernement militaire de Francisco Morales Bermúdez. De 1985 à 1987, il est conseiller auprès du Ministre des Affaires Étrangères, Allan Wagner, pendant le premier gouvernement d’Alan García. En outre, il a été membre du Conseil Consultatif de l’Institut National de Planification. Il a ensuite quitté le pays de 1987 à 1992, où il est devenu Chef de la Planification Stratégique à la Banque Mondiale et Conseiller aux Départements d’Évaluation des Politiques et des Relations Extérieures de cette même organisation.
Il a également fait partie de la deuxième administration d’Alan García, officiant en tant que Président du Comité Directeur du Programme de Science et Technologie entre 2007 et 2009. Il a occupé le même poste sous le gouvernement d’Ollanta Humala entre 2011 et 2013.
Dans le domaine universitaire, Francisco Sagasti a également largement fait preuves de ses compétences. Il a été Professeur à l’Université du Pacifique et à l’Université Catholique Pontificale du Pérou, Professeur invité à l’Instituto de Empresa de Madrid, à la Chaire Silberberg de la Wharton School of Business de l’Université de Pennsylvanie, et à l’Université pour la Paix au Costa Rica. De 2009 à 2014, il a été chercheur principal au FORO National/International, une entité dédiée à la promotion du débat et du consensus sur des questions cruciales pour le développement national et international. Il est lauréat de la médaille de la Paix des Nations Unies et du Prix Paul Hoffman, pour sa contribution au développement national et international.
En décembre 1996, 14 membres du mouvement révolutionnaire Tupac Amaru prennent en otage l’Ambassade du Japon à Lima. Sagasti fait partie des otages qui seront retenus pendant 126 jours. Il entretient un journal pendant cette expérience, dans lequel il échange avec un de ses ravisseurs.
Le Parti Violet
Le 30 septembre 2019, l’ancien Président péruvien destitué a annoncé la dissolution du Congrès et la tenue d’élections législatives anticipées pour le 26 janvier 2020. Le Parti Violet est arrivé cinquième en termes de suffrages et a obtenu 9 sièges au Parlement. La couleur violette a été choisie pour représenter le mélange du rouge et du bleu, les couleurs des partis de droite et de gauche au Pérou, symbolisant l’idéologie centriste du parti qui rassemble des éléments de différents courants, dont certains, très critiques du modèle néolibéral.
Sagasti occupait l’un des 9 sièges remportés. Jusqu’à cette époque, Sagasti était Président de la Commission des Sciences, de l’Innovation et de la Technologie du Parlement, en plus d’être le principal porte-parole de son parti. Le Président du Parti Violet, Julio Guzmán, pré-candidat aux prochaines élections présidentielles a certainement vu en Francisco Sagasti l’homme qui présenterait la meilleure image de sa jeune organisation fondée en 2017 en le proposant à la tête du Congrès.
En septembre dernier, le Parti Violet a signé un accord électoral avec l’organisation politique de centre-gauche Force Citoyenne, pour se présenter en alliance aux élections générales de 2021. Le Pérou aura peut-être l’occasion de s’aligner sur son voisin bolivien et faire subir à la droite latino-américaine une nouvelle défaite. Sagasti gouvernera jusqu’au 28 juillet prochain, soit un peu plus de huit mois, trop peu pour changer radicalement le cap néolibéral du pays, et d’ici là, la Première Dame du Pérou sera costaricaine, l’économiste Silvia Charpentier Brenes.
Il est encore trop tôt pour analyser les événements que traverse le Pérou actuellement. Le scénario semble différer légèrement des révolutions de couleur habituelles mais le mythe des manifestations spontanées ne semblent toujours pas rejoindre une réalité ici. Les hypothèses vont bon train et seules les actions à venir du gouvernement par intérim viendront éclaircir le brouillard qui a recouvert le paysage politique du pays .
- Source : RI