Le parler racaille fait-il baisser le niveau intellectuel des jeunes ?
Parfois, on fait plus de sociologie appliquée en 74 secondes qu’en 15 études de nos têtes (dé)pensantes de l’EHESS. Par exemple, on apprend que le mélange des cultures entre la grande et la petite est toujours à l’avantage de cette dernière. Et on se dit méchamment qu’une extinction de masse... pourquoi pas !
C’est la soeur ou la fille de qui celle-là ? Filez-lui un Nokia 3310 et stoppez sa connexion Internet pic.twitter.com/0s04m9w5HM
— Emilie Ros (@Emilie_Ros) May 25, 2020
Une production d’intelligence inouïe
En 2007 Le Monde – toujours impressionné par toute modernité antifrançaise ou antiraciste – faisait un tour d’horizon sur « les innovations et les transformations de la langue française qui ont lieu dans les cités populaires », c’est-à-dire, pour parler plus crûment, le parler racaille.
« Savoir parler "cash" comme Fadela Amara, la secrétaire d’Etat à la ville. Ne pas être déstabilisé par un "portenawaque", résister à un gentil "coup de pression", ne pas pleurer parce qu’on vous traite de "bouffon". Dix jeunes d’un quartier d’Evry, soutenus par l’association Permis de vivre la ville, ont rédigé un Lexik des cités (Fleuve Noir, 19,90 euros, 365 p., disponible le 4 octobre) qui décortique les tripatouillages de la langue dans les cités populaires.
Du verlan "classique" (meuf, keuf, etc.) aux emprunts au vieil argot français, à l’arabe ou au tzigane, ils ont recensé et analysé, pendant trois ans, les expressions du "parler caillera (racaille)". Leur travail rejoint celui commencé dès 2000 par Abdelkarim Tengour, un informaticien de 39 ans, passionné par l’écriture, qui a constitué, sur Internet (dictionnairedelazone.fr), une base de données gratuite, de plus de 1 500 mots.
De ces recherches parallèles, il ressort un lexique passionnant. Et utile tant la langue des cités déborde les halls d’immeuble des zones dites "sensibles" et irrigue les cours de récréation, les blogs et les radios de jeunes. Voici, en une vingtaine de termes enrichis par des exemples, l’essentiel du vocabulaire pour ne pas passer pour un "cave" (vieil argot français repris dans les cités pour désigner une personne dupe). »
Ne manquez pas la citation de l’intellectuel Booba
S’ensuivent les définitions de ce nouveau vocabulaire qui a enrichi la langue, et donc la culture française :
Alcatraz. En référence à la prison, "être Alcatraz" signifie être privé de sortie par ses parents.
Bédave. Fumer un joint.
Bicrave. Vendre, dealer. Le rappeur Booba reprend ces deux termes : "Nique nique sa mère/J’suis au quartier bah ouais rien à faire gros/Ça bicrave, ça bédave, ça galère" (Autopsie vol. 2). La plupart des mots avec une terminaison en "-ave" sont d’origine tzigane. Comme marave (se battre) ou chourave (voler), par exemple. "Je me suis fait griller en flag pendant que je chouravais des carcasses à Rungis", glisse un des héros de Chiens de la casse, le roman de Mouss Benia (Hachette Littératures).
Boîte de six. Désigne un fourgon policier avec six hommes à bord. Dans certains cas, on parle de "nuggets" pour désigner des "poulets rangés en boîte". Le vocabulaire pour les policiers est parmi les plus riches, dont le plus connu est "keufs" : "Il s’est fait pécho par les keufs et est parti en GAV (garde à vue)."
Bolos. Un terme relativement récent pour désigner une victime (proche de "bouffon"). "Au moment où on a choisi les mots, bolos n’était pas encore apparu. Mais on l’a vu se développer très rapidement", explique Cédric Nagau, un des auteurs du Lexik. Les termes peuvent ainsi émerger dans un quartier, passer du 9-3 au 9-1 puis disparaître subitement. "C’est le téléphone arabe - puis sénégalais, marocain, français...", rigole Cédric Nagau.
Bouillave. Faire l’amour.
Carotte. De "carotter" quelque chose, signifie se faire arnaquer. Mais le verbe n’est pas conjugué (sauf à être ridicule) : "Il s’est fait carotte son sac."
Parce qu’un discours embrouillé est plus embrouillant
Ce langage imagé et parfois imaginatif (boîte de six) fait penser à l’anglais avec ces termes flous qui peuvent être utilisés dans différents contextes, c’est alors le contexte qui donne le sens, plus que les mots. Le français académique, riche de dizaines de milliers de mots, a produit un art de la nuance très fine et de la précision. Cela se perd, on le voit et on l’entend dans les discours ou les interventions non préparées de nos hommes politiques, qui parlent comme des managers anglo-saxons. Ce que disait déjà Eugène Ionesco en 1978 :
Pour le dramaturge Eugène Ionesco, "les hommes politiques ne savent absolument pas quelle est l’importance de la culture. La politique les sépare, et seule la culture peut les réunir." #CulturePrime pic.twitter.com/jNvcP7ubib
— France Culture (@franceculture) May 26, 2020
On devine un rapport évident entre l’invasion anglo-saxonne (le mondialisme en action) et la promotion de la sous-culture des banlieues.
Question : la violence faite à la langue est-elle une violence faite à la France ? Vous avez quatre heures.
- Source : E&R