Covid-19 : les autopsies révèlent la dimension vasculaire de la maladie
En Allemagne et en Suisse, les médecins pathologistes pratiquent des autopsies de personnes décédées de Covid-19 pour mieux comprendre le mécanisme de l’infection. Les premiers résultats démontrent que les personnes les plus touchées souffrent de maladies cardio-vasculaires préalables, et que le virus pourrait agir directement sur les vaisseaux sanguins en suscitant un dysfonctionnement de leur paroi interne, l’endothélium.
Comme l’indique le Haut Conseil de la santé publique français, le risque infectieux ne disparaît pas immédiatement avec le décès d’un patient atteint par le SARS-CoV-2. Or en Allemagne et en Suisse, les médecins estiment que l’examen post mortem des corps des personnes ayant succombé suite à une infection par ce virus peut fournir des informations primordiales et permettre non seulement de mieux connaître le mode d’action du virus mais également de mieux le combattre. L’autopsie permet en effet de constater de l’intérieur les dommages causés et donc de découvrir des aspects dissimulés de la maladie. Bravant le risque infectieux, plusieurs équipes ont ainsi entrepris de pratiquer des autopsies et de porter un regard nouveau sur l’impact du coronavirus.
Une prépondérance de maladies cardio-vasculaires préexistantes
Les résultats de ces examens dressent un tableau plus précis de l’infection par le SARS-CoV-2 et, surtout, du profil de ses victimes. À Hambourg comme à Bâle, les personnes décédées suite à une infection par le coronavirus présentaient toutes des antécédents, et pour la très grande majorité des maladies cardio-vasculaires.
À Bâle, sur les vingt autopsies pratiquées, tous les patients, dont la moyenne d’âge était de 76 ans, souffraient d’hypertension, la plupart étant également obèses. Il s’agissait en majorité d’hommes, dont les deux tiers avaient des artères coronaires déjà endommagées et un tiers souffrait de diabète.
À Hambourg, sur 61 personnes autopsiées, 55 présentaient des maladies cardio-vasculaires préexistantes : hypertension artérielle, infarctus, artériosclérose, ou une autre faiblesse du cœur. 46 avaient en outre des antécédents pulmonaires ; 28 avaient d’autres organes en mauvais état : les reins, le foie ou des organes transplantés. D’autres avaient un cancer, souffraient d’obésité ou de diabète.
Un dérèglement de la microcirculation sanguine
Alors qu’en réalité seule une minorité de patients souffrait de pneumonie, Alexandar Tzankov, directeur du service d’Histologie et autopsie de l’Hôpital universitaire de Bâle, confie à la Süddeutsche Zeitung que l’examen au microscope a révélé un “grave dérèglement de la microcirculation du poumon”, en l’occurrence un dysfonctionnement de l’oxygénation, qui expliquerait les difficultés à ventiler certains patients en soins intensifs : “On peut donner autant d’oxygène que l’on veut à ces patients, il n’est tout bonnement plus transporté”.
Ainsi les données résultant des autopsies pratiquées en Suisse montrent que ce sont les personnes atteintes de maladies dites de civilisation, liées à leur mode de vie, qui sont les plus sensibles au virus. Au moment de l’infection aucune de ces vingt personnes n’était en bonne santé. Comme le rapporte Alexandar Tzankov, on retrouve donc à Bâle le même tableau qu’à Hambourg : “Tous les cas présentent des pathologies préexistantes, et dans la plupart des cas, plusieurs à la fois” : hypertension artérielle, athérosclérose, hypertrophie cardiaque, surpoids et diabète. Le pathologiste bâlois en conclut : “Toutes ces pathologies ont pour dénominateur commun une grave défaillance des vaisseaux sanguins”.
Le coronavirus s’attaquerait directement aux vaisseaux sanguins
C’est en Suisse également, mais cette fois à l’Hôpital universitaire de Zurich, qu’une équipe composée de pathologistes mais aussi de cardiologues, d’infectiologues et de médecins réanimateurs, a décelé un nouvel aspect de l’action du coronavirus. Lors de l’examen des échantillons de tissus de trois patients morts des suites d’une infection confirmée, ils ont en effet tout d’abord remarqué que l’inflammation ne se limitait pas au poumon, mais “concernait en réalité l’ensemble de l’endothélium de différents organes”. Selon le communiqué de presse annonçant la découverte, le professeur Zsuzsanna Varga a ensuite “réussi à déceler pour la première fois au microscope électronique la présence directe dans l’endothélium du coronavirus SARS-CoV-2 et la mort cellulaire déclenchée par le virus”.
L’endothélium vasculaire est une couche cellulaire qui forme la paroi la plus interne des vaisseaux sanguins, constituant une sorte de couche protectrice et assurant une fonction de régulation de l’irrigation sanguine. Une perturbation de ce processus régulateur est susceptible de provoquer des problèmes circulatoires dans les organes ou les tissus, pouvant conduire à la mort des nombreuses cellules qui les constituent, puis à la défaillance de ces organes ou tissus, voire leur propre mort.
Comme ils l’écrivent dans l’article relatant leur découverte, publié dans la revue The Lancet, les médecins zurichois en déduisent un nouveau schéma de l’infection : le coronavirus ne déclencherait pas une pneumonie dégénérant en complications ultérieures, dans la mesure où “il n’attaque pas les défenses de l’organisme comme on le présumait jusqu’à présent en passant par le poumon, mais par le biais des récepteurs ACE2 présents dans l’endothélium, il s’y disperse et conduit à une inflammation généralisée de l’endothélium, anéantissant sa fonction protectrice”.
Le virus attaquerait donc directement depuis l’intérieur des vaisseaux, qui le conduisent ensuite jusqu’aux organes ; c’est pourquoi ils écrivent que le SARS-CoV-2 “déclenche directement une dysfonction endothéliale systémique, à savoir une inflammation de tout l’endothélium corporel, qui comprend tous les lits vasculaires : vaisseaux du cœur, du cerveau, des poumons, des reins et du tube digestif”, dont les conséquences sont fatales puisqu’elle entraîne “de graves perturbations de la microcirculation qui abîment le cœur, déclenchent des embolies pulmonaires et des occlusions vasculaires dans le cerveau et le tube digestif et peuvent conduire à une défaillance multiviscérale jusqu’à la mort”.
Les patients souffrant d’hypertension, de diabète, d’insuffisance cardiaque ou de maladies coronariennes ont un endothélium déjà affaibli, car ces maladies “ont en commun de réduire la fonction endothéliale” ; l’infection vient alors aggraver cet affaiblissement, en particulier lors de la phase de multiplication du virus.
Faut-il requalifier Covid-19 ?
Pour le professeur Frank Ruschitzka, directeur de la clinique de cardiologie de l’Hôpital universitaire de Zurich, il faudrait donc requalifier la maladie et ne plus se focaliser sur l’aspect pulmonaire, puisqu’en réalité elle atteint tous les organes : “Grâce à cette étude, nous avons pu apporter la preuve de notre hypothèse selon laquelle Covid-19 ne touche pas seulement le poumon, mais peut toucher les vaisseaux de tous les organes. Covid-19 est une inflammation vasculaire systémique, nous devrions désormais spécifier son tableau clinique en le désignant comme Covid-Endothélite".
Il en déduit des indications thérapeutiques concernant en premier lieu les patients présentant des antécédents de maladies du système circulatoire, soulignant la nécessité de “freiner la multiplication des virus dans la phase la plus active et en même temps de protéger et stabiliser le système vasculaire des patients”.
Le directeur de la Clinique d’angiologie de l’Hôpital universitaire de Zurich, Nils Kucher, explique également à la Frankfurter Allgemeine Zeitung le rôle joué par l’endothélium dans le processus de la coagulation. L’inflammation provoque en effet la libération d’un grand nombre de facteurs de coagulation, qui font partie intégrante de la réaction habituelle du système immunitaire. Mais ces facteurs de coagulation conduisent cependant également à la formation de caillots et de thrombus dans les vaisseaux. Ces caillots peuvent ensuite être amenés dans le poumon et y boucher les artères, provoquant une embolie pulmonaire.
L’angiologue a effectivement constaté chez ses patients atteints de Covid-19 une grande fréquence de ces embolies, d’autant plus surprenante dans le cas d’une infection. Avec des collègues milanais, il a alors procédé à l’analyse des données de 388 malades italiens, dont les résultats ont été publiés dans Thrombosis Research. La présence de thrombus a été détectée chez un tiers de ces patients. À Hambourg, le pathologiste Klaus Püschel a également trouvé un nombre inhabituel de thromboses et d’embolies pulmonaires lors de ses autopsies.
Estimant que “nous avons trop tardé à reconnaître que les thromboses et embolies pulmonaires jouent un grand rôle dans Covid-19”, Nils Kucher vient de lancer en urgence une étude réunissant les cinq hôpitaux universitaires de Suisse, dans le but de vérifier si les anticoagulants peuvent protéger de ces caillots mortels, puis de préciser la dose exacte à prescrire en soins intensifs. Les premiers résultats sont prévus à l’automne ; les médecins suisses espèrent ainsi être mieux parés face à une éventuelle deuxième vague.
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- Source : Sciences et Avenir