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De l'affirmation selon laquelle la religion serait la cause de toutes les guerres

Auteur : Chroniques kaliyugesques | Editeur : Stanislas | Dimanche, 15 Sept. 2013 - 15h43

L’un des grands incontournables de la discussion d’incultes et de poivrots.

La difficulté à déconstruire un sophisme étant inversement proportionnelle à son degré de simplification mensongère et d’approximation, il ne s’agira pas ici d’épuiser le sujet.

Quelles seraient donc ces terribles religions causes de tous les tourments planétaires qui depuis la nuit des temps condamnent l’humanité à une lutte sanguinaire incessante ? Nous ne nous avancerons pas trop en prétendant que sont visés uniquement les monothéismes abrahamiques et plus particulièrement le christianisme et l’Islam. Il est assez important de le préciser car, en règle générale, l’individu capable d’énoncer un tel non-sens se montre étrangement bienveillant à l’égard de religions plus exotiques telles que le bouddhisme, l’hindouisme ou la pensée toltèque très à la mode ces derniers temps et nous ne nous prononcerons pas sur cette première contradiction qui mériterait à elle seule de plus larges développements.

Islam et christianisme, pensés comme un tout conceptuel, seraient donc LA cause de toutes guerres. Et donc, in extenso, s’en débarrasser une fois pour toute serait LA solution à tous nos problèmes.

Il parait déjà évident que l’athée ou l’agnostique « éclairé » convaincu d’une telle assertion ne pourra plus reprocher au croyant « obscurantiste et archaïque » de s’accrocher à une vision simpliste du monde (mais il est courant de reprocher aux autres ses propres travers et nous sommes ici en présence d’un exemple frappant de cette perpétuelle inversion accusatoire).

Du latin religare ou religere selon que l’on se fie à saint Augustin ou à Cicéron (la controverse étymologique pourtant intéressante sous certains rapports n’a pas lieu de se poser ici), le mot religion  évoque l’idée d’un liant permettant le vivre-ensemble et l’organisation de la cité. Elle prend dans toute société traditionnelle la forme de la transcendance. Une civilisation dépourvue de transcendance dans son organisation est-elle pour autant dépourvue de religion ? La réponse à cette question est assurément non. Ce sera simplement une religion sécularisée et sans vouloir prétendre définir exhaustivement ce qu’est la religion moderne séculaire nous pouvons néanmoins en extraire un certains nombre de dogmes : la prééminence de l’économique, les mythes de la croissance et du marché, le divertissement[i], la théorie de l’évolution, la supériorité de la démocratie représentative sur tout autre régime, le culte de la raison, les droits de l’homme, etc.

Celui qui proclame sans trembler que la religion de l’autre est responsable de tous les malheurs admet donc implicitement qu’il ignore posséder lui-même une religion. Il démontre donc qu’il est dans un état effarant d’aliénation. Si le croyant ne discute pas de ses convictions car les considère comme révélées et donc supra-humaines, l’incrédule est ignorant de la source de ses idées, et croit donc penser et réfléchir par lui-même là où des forces dont il ignore jusqu’à l’existence pensent à sa place depuis que l’arrière grand-père de son arrière grand-père n’était encore qu’un nourrisson. Terrible illusion. Les religions traditionnelles ont au moins l'honnêteté de se présenter pour ce qu’elles sont.

Le croyant, perpétuellement invité à remettre en cause sa doctrine, se voit donc traité de façon détournée mais néanmoins extrêmement violente d'extrémiste, et donc de salaud, et donc de fasciste, et donc de nazi antisémite tueur d’enfants et donc in fine assimilé au diable lui-même (Hitler étant la personnification du mal dans la religion moderne, la reductio ad hitlerum est de facto l’accusation d’hérésie la plus courante). Accusation portée par un interlocuteur qui n'appliquera pas à lui-même cette injonction de douter de ses propres fondements.

Mais qui en dernière instance fait la guerre ? Les êtres humains. Les religions étant des systèmes de représentations, elle ne prennent pas seules les armes. Au mieux pourrions-nous dire que certains hommes convaincus d’un système de représentations font la guerre.

Et qu’est-ce que la guerre ? Si l’exemple du conflit armé en est l’illustration la plus vulgaire et la plus effrayante, elle peut prendre bien d’autres formes plus subtiles[ii], le but étant toujours la conquête ou la préservation soit des territoires soit des esprits ; elle peut avoir en fonction de ses finalités un but qui peut être au choix noble ou crapuleux. Elle peut également sous des motifs nobles cacher un motif crapuleux (l’inverse me semble plus rare historiquement). Tous les schémas sont possibles. Le combat pour défendre sa vie, sa famille, sa culture et son âme est en soi une saine réaction de survie. Le massacre consistant à piller et à dominer indûment une population civile sans défense est une abomination. Entre le tout blanc et le tout noir, de multiples nuances de gris. De quelle guerre parle-t-on ? L’athée militant convaincu ne le précise jamais, pour lui « la guerre c’est mal », un point c’est tout.

Ainsi les raisons profondes de tous conflits sont inextricables et appartiennent en propre à chacun même si certains motifs se répetent. Les déterminer avec précision est censément le travail des historiens honnêtes[iii].

Poussons à présent l’analyse de cet anathème dans ses retranchements et ses subtilités.

Le christianisme et l'Islam sont des religions qui ont pour finalité la soumission à Dieu, le salut de l’âme, l’élévation de l’Homme au-delà de sa condition animale. Schématiquement. Les monothéismes n’ont pas pour but d’asservir l’humanité par la violence et le mensonge (à l’exception du judaïsme talmudique – et non du judaïsme originel - en raison de l’idée messianique tronquée qu’il renferme, mais la question ne se pose encore pas lorsque l’athée aliéné est également un partisan d’Israël, le judaïsme n’étant plus selon lui LA cause de toutes les guerres mais LA victime expiatoire éternelle de toutes les guerres). Si une horde de fanatiques venait à y trouver la légitimation de la violence dans l’unique but de semer le chaos (et loin de nous l’idée de prétendre que cela n’arriva jamais ou ne se produit en ce moment même), nous pourrions aisément affirmer qu’il s’agit là d’une dénaturation des principes. Le mal est donc la cause d’une incompréhension, d’une manipulation ou d’une inversion.

A contrario, la religion moderne séculière posant en principe que le commerce est l’unique dénominateur commun permettant la Paix entre tous les hommes[iv]. Que ce commerce doit s’exercer dans une société démocratique (ou dans un système tyrannique dans sa version stalinienne[v]). Que la croyance de chacun doit rester dans la sphère privée et que dans la sphère publique le bonheur et la vérité passent par la production et la consommation. Schématiquement. Nous sommes donc en présence d’un pragmatisme purement matérialiste. Dès lors, la matière étant un autre mot pour la quantité, et la quantité ayant pour unique but de s’étendre à l’infini[vi] (croissance), et que cette extension à l’infini se faisant par la technologie civile et militaire et par le prosélytisme (on l’appellera communication ou propagande selon qu’on soit libéraliste ou communiste, là encore peu importe), la religion moderne est donc intrinsèquement source de guerre. Elle a produit et tué plus d’êtres humains en deux siècles que toutes les civilisations et guerres du passé réunies[vii]. Les chiffres sont probants. Troisième extraordinaire contradiction. On pourrait en trouver bien d’autres.

Puisque la bêtise d’une telle proposition est insondable, laissons celui qui aura l’outrecuidance de la prononcer en public - persuadé d’avoir résolu le grand mystère de la vie et de surclasser en intelligence la somme de tous les milliards de terriens superstitieux qui l’auront précédé - se pavaner. Au moins nous savons à qui nous avons affaire. Les règles élémentaires de la discussion mondaine ne permettent pas de le contredire efficacement. Il lui reste la curiosité de s’instruire et l’humilité, deux vertus qui ne s’acquièrent que par la volonté.

[i] Voir à ce sujet notre précédent article de l’art de la diversion en date du 18 juillet 2013

[ii] Il suffit pour s’en convaincre de lire Sun Tzu L’art de la guerre ou Les 36 stratagèmes, manuels étudiés dans toutes les bonnes écoles militaires et par tout politicien en devenir (pour les plus cultivés).

[iii] Pour exemple Jacques Bainville Histoire de France

[iv] Voir par exemple Adam Smith De la richesse des nations. Cette croyance est à la base même de toute la pensée économique libérale. Ainsi pourrait-on faire un parallèle entre la religion traditionnelle qui voit comme point commun à tous les hommes le supra humain, et la religion moderne qui envisage comme dénominateur commun des éléments infra-humains. Religion par le haut et religion par le bas. Religion céleste et religion satanique.

[v] Le communisme et le libéralisme n’étant pas du tout envisagé ici comme deux systèmes opposés mais bien des modes de pensée très voisins basés sur la prééminence du facteur économique. Seules diffèrent les solutions permettant d’encadrer cet état de fait. Libre jeux du marché d’un côté (même si c’est très loin d’être le cas en réalité), contrôle total de la production par un pouvoir totalitaire direct de l’autre. Ils sont à notre point de vu des frères jumeaux ennemis mais nous n’avons pas le loisir ici de nous pencher d’avantage sur cette question au demeurant primordiale. Le communisme étant envisagé comme une solution au capitalisme de marché et inversement, la religion moderne produit sa pensée et sa contre-pensée, enfermant ainsi dans une dialectique dont il devient très compliqué de sortir

[vi] On peut voir ici une illustration du mythe d’Abel et Caïn. Caïn étant envisagé comme le sédentaire qui par sa captation de l’espace tue nécessairement Abel, le nomade, qui évoluerait lui plutôt dans le temps

[vii] Ceux qui penseraient encore que « la guerre contre le terrorisme » est une guerre contre l'extrémisme islamique, qu’ils se contente de lire Samuel Hungtington Le choc des civilisations, les indéboulonnables de la géopolitique américaine sont loin de cacher leurs stratégies.


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