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Comment Vladimir Poutine est devenu le maître du jeu en Syrie

Auteur : Kareem Salem | Editeur : Walt | Vendredi, 01 Nov. 2019 - 21h21

La chute de l’Union Soviétique a été un moment sombre de l’histoire russe. La chute de l’URSS s’est traduite par l’affaiblissement de l’État russe et une montée de l’influence occidentale.[i] Dans un contexte de difficultés économiques, Boris Eltsine a axé sa politique étrangère principalement sur la réconciliation avec l’Occident, signant l’Acte fondateur des relations entre la Russie et l’OTAN le 27 mai 1997.[ii]

Cependant, les velléités expansionnistes de l’OTAN dans le pré carré de Moscou, le Kremlin avait pris la décision d’utiliser la coercition pour protéger les intérêts stratégiques russes. Comme ce fut le cas en Géorgie en 2008 et en Ukraine en 2014.[iii] Mais c’est surtout l’intervention russe en Syrie menée par le président Poutine qui a permis à l’État russe de retrouver sa grandeur d’antan. En intervenant séparément de la coalition internationale, la Russie a révélé l’ampleur de ses capacités militaires, qui ont été importantes dans le recul massif des forces contre Bachar el-Assad en Syrie.[iv] Il est donc nécessaire d’analyser davantage comment le président Poutine est devenu le maître du jeu en Syrie.

Déploiements majeurs des capacités militaires russes en Syrie

Pour protéger ses intérêts stratégiques, le Kremlin a fourni une puissance de feu importante en Syrie. Le maintien du régime d’Assad, qui est un client important dans le domaine de l’armement russe, était essentiel pour empêcher une organisation islamiste et antirusse de s’emparer du pouvoir.[v][vi]  La puissance de feu aérienne, maritime et terrestre russe était essentielle pour repousser les groupes armés contre Assad à l’ouest de l’Euphrate.[vii] Jusqu’au début de 2016, l’armée de l’air russe avait mené 100 frappes aériennes par jour.[viii] En mer, les navires russes ont participé aux opérations en apportant la puissance de feu de ses missiles de croisière Kalibr.[ix] Dans sa stratégie au sol, la Russie a déployé des lance-roquettes, des drones, des systèmes sophistiqués de missiles sol-air ou sol-mer, S-300 et S-400.[x]

Obliger le président Erdogan à accepter le maintien de Assad au pouvoir

Au début de la crise syrienne, le président Erdogan a tout mis en œuvre pour faire tomber le régime d’Assad. Le refus du président Assad de se rapprocher des Frères musulmans syriens avait incité le président Erdogan à faire tomber son homologue syrien en permettant aux djihadistes étrangers d’entrer en Syrie par la Turquie [xi]  Le Sarayi avait également été complice du transport d’armes à des groupes djihadistes syriens plus ou moins liés à Al-Qaïda.[xii]

Cependant, le contrôle d’un tiers de la Syrie et de l’Irak par Daech, avait obligé les puissances Occidentales à revoir leurs priorités moyen-orientales et à changer leur politique syrienne, pour se focaliser sur sa destruction. Les puissances occidentales ont soutenu les forces Kurdes du Parti de l’Union Démocratique (PYD) dans la lutte contre Daech en Syrie.[xiii] Pour Ankara, une alliance entre les puissances occidentales et les Kurdes pourrait renforcer les velléités séparatistes de la minorité kurde sur son propre territoire. En outre, l’attaque de la Turquie contre un avion militaire russe dans lequel de lourdes sanctions économiques russes avaient été suivies avait encore affaibli l’État turc. Abandonné par ses alliés de l’OTAN en Syrie et affaibli par les sanctions russes, le président Poutine était en position de force pour contraindre son homologue turc à accepter les conditions russes, qui incluaient l’obligation du Sarayi d’accepter la souveraineté du régime d’Assad en Syrie, pour une normalisation des relations.[xiv]

Installer la Russie comme principal arbitre du processus de conciliation en Syrie

Les récents pourparlers de paix sur la Syrie ont démontré l’intention du président Poutine d’être le principal arbitre du processus de conciliation en Syrie. Les pourparlers de paix d’Astana en 2017 ont souligné la volonté du président Poutine de réunir les principaux dirigeants iraniens et turcs pour négocier une trêve durable en Syrie .[xv] Les efforts diplomatiques russes ont été importants pour l’établissement de zones de désescalade en Syrie : les provinces d’Idlib, Lattaquié, Alep et Hama;  la province de Homs ; la Ghouta orientale ; le sud avec Deraa et Qouneitra.[xvi] Ainsi, les efforts de médiation coordonnés par Moscou ont été importants pour mettre fin aux ambitions des groupes armés opposés à Assad de le destituer.

L’hégémonie de la Russie en Syrie est également évidente lorsque le président Erdogan s’est rendu à Sotchi pour négocier avec son homologue russe la construction d’une zone de sécurité dans les territoires contrôlés par les forces du PYD. Alors que le président Erdogan avait initialement revendiqué publiquement une zone de sécurité de 440 km de long, le président turc a quitté les négociations avec seulement une zone de 120 km de long.[xvii]

Washington en perte d’influence

Le renforcement de la puissance russe intervient à un moment où les États-Unis peinent à peser sur le conflit syrien. Les États-Unis jusqu’en 2017 avaient timidement soutenu l’Armée syrienne libre au lieu d’intervenir directement contre le régime d’Assad et étaient intervenus de manière minimale dans la lutte contre Daech.[xviii] [xix] Les États-Unis ont également retiré leurs forces militaires des territoires kurdes de Syrie, mettant fin à leur alliance avec les forces kurdes du PYD, qui se sont depuis alliées au régime d’Assad. Ainsi, les États-Unis n’ont plus leur place dans la construction de l’avenir de la Syrie, ce qui permet à Vladimir Poutine de renforcer son rôle d’arbitre de l’avenir politique du pays.

Cependant, les questions intérieures pourraient entraver la capacité du président Poutine à projeter la politique étrangère russe dans l’avenir. Selon l’institut Rosstat, 500 000 nouvelles personnes vivent dans la pauvreté en Russie.[xx] Pour réduire la crise, d’importantes réformes économiques seront nécessaires.

Notes:

[i] Mendras, M. (2011) ‘Vingt ans après La Russie et la quête de puissance’, Commentaire (4) : 891-900.

[ii] Lévesque, J. (2001) ‘La gestion de l’ancien Empire, ou les vestiges de la puissance’, Critique internationale (3) : 159-174.

[iii] Delanoë, I. (2017) ‘La puissance par la coercition. Le hard power russe à l’épreuve du Moyen-Orient’, Herodote (3) : 243-260.

[iv] Le Torrivellec, X. (2017) ‘1917-2017 : où va la Russie ? Une puissance eurasienne dans un Nouveau Monde’, Herodote (3) : 81-96.

[v] Nocetti, J. (2012) Russie : quelle lecture de la crise syrienne ? The National Interest septembre 2019.

[vi] Pichon, F. (2013) ‘La Syrie, quel enjeu pour la Russie ?’ Politique étrangère (1): 107-118.

[vii] Delanoë, I. (2018) Ce que la Russie a gagné de son intervention militaire en Syrie, Orient XXI 9 octobre 2018.

[viii] Delanoë, I. (2018) Ce que la Russie a gagné de son intervention militaire en Syrie, Orient XXI 9 octobre 2018.

[ix] Delanoë, I. (2018) Ce que la Russie a gagné de son intervention militaire en Syrie, Orient XXI 9 octobre 2018.

[x] Guibert, N. (2017) « Pourquoi l’intervention militaire russe en Syrie est un succès », Le Monde 13 septembre 2017.

[xi] Bitar, K.E. (2014) ‘La Syrie, foyer de déstabilisation régionale ? ’Confluences Méditerranée (2) : 67-79.

[xii] Marcou, J. (2015) ‘La Turquie et l’État islamique: d’un mariage de raison à un divorce à l’amiable’, Outre-Terre (3) : 354-360.

[xiii] Marcou, J. (2015) ‘La Turquie et l’État islamique: d’un mariage de raison à un divorce à l’amiable’, Outre-Terre (3) : 354-360.

[xiv] Balci, B. (2017) Le rapprochement spectaculaire entre Russie et Turquie doit-il alarmer les Occidentaux ? Huffington Post 3 mars 2017.

[xv] AFP. (2017) Ce que l’on sait sur les négociations d’Astana sur la Syrie, Le Point 15 septembre 2017.

[xvi] L’Orient Le Jour. (2018) Conflit syrien : Astana, un processus parrainé par Moscou, Téhéran et Ankara, L’Orient Le Jour 7 septembre 2018.

[xvii] AFP. (2019) Syrie: Ankara met fin à son offensive militaire, accord russo-turc pour contrôler la frontière. AFP 22 octobre 2019.

[xviii] Cook, S-A. (2018) The Syrian War Is Over, and America Lost, Foreign Policy 23 juillet 2018.

[xix] Balanche, F. (2017) The End of the CIA Program in Syria Washington Cedes the Field, Foreign Affairs 2 août 2017.

[xx] Vitkine, B. (2019) La Russie compte 500 000 nouveaux pauvres depuis un an, Le Monde 1 août 2019.


- Source : RI

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