Le piège américain
Connaissant l’affaire Alstom et l’histoire de Frédéric Pierucci, « l’otage économique », je m’attendais à lire un livre sur la perte d’un fleuron industriel français et sur l’extraterritorialité du droit américain. En réalité, « Le piège américain » de Fréderic Pierucci co-écrit avec Mathieu Aron est beaucoup plus vaste que cela. C’est un pamphlet contre l’injustice, la trahison et la lâcheté.
Evidemment, c’est un livre sur l’injustice faite à un homme qui se retrouve incarcéré aux Etats-Unis pendant 25 mois, dont 14 dans une prison de haute sécurité, pour que General Electric (GE) puisse mettre la main, à peu de frais, sur un des joyaux de l’industrie française. Sur ce point, la précision des faits détaillés dans le livre et la concordance des dates ne laissent plus de place au doute. Mais au fil des pages, le lecteur se familiarise avec le système judiciaire américain et prend la mesure de l’iniquité de la justice anglo-saxonne, par ailleurs, en cours dans tous les tribunaux pénaux internationaux, « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». Le Département de la Justice américain (DoJ) est passé maître dans l’art des manigances et des procédures absurdes, illogiques, mais implacables qui ne vous laissent d’autres choix que de vous soumettre ou de vous démettre. L’avocat de Frédéric Pierucci, Stan Twardy, dont on se demande pour qui il travaille réellement, le DoJ, Alstom ou GE, peut-être les trois à la fois, dira un jour à son client : « Bien sûr que le système n’est pas juste ! Mais vous n’avez pas d’autre choix que de vous faire avoir. Le tout est de savoir si vous voulez passer dix ans en prison ou sortir de détention. » En clair : plaidez coupable, avouez les crimes que vous n’avez pas commis et les juges seront plus cléments !
C’est également un ouvrage sur la machine à broyer du système carcéral américain. Les afficionados de l’excellente série « Orange is the new black » reconnaitront, les « pod » ces sortes de quartiers à l’intérieur des centrales ou des maisons d’arrêt dans lesquels les détenus sont compartimentés entre « Latinos », Noirs et Caucasiens. Des prisons privées où la personne incarcérée est avant tout une source de bénéfices. Un système conçu de telle manière que l’individu qui entre ne sait jamais quand il pourra en sortir, tout est susceptible de rallonger sa peine, la violence d’un codétenu, la bêtise d’un maton, l’injustice, la trahison, la lâcheté…
Evidemment, le fil conducteur de l’ouvrage est Alstom et son quartet de dirigeants, mené par Patrick Kron, l’ancien PDG, qui ont choisi de brader une industrie stratégique française pour ne pas risquer de connaître les affres des geôles américaines. Le FBI était à leur trousse depuis de nombreuses années et avait accumulé, grâce à des interceptions de mails, de conversations téléphoniques, mais aussi grâce à des taupes à l’intérieur de l’entreprise, des millions de documents prouvant la corruption d’agents étrangers pour obtenir des contrats. Dans un premier temps, la direction d’Alstom n’a pas voulu coopérer avec le DoJ, l’incarcération de Fréderic Pierucci était un avertissement qui leur était lancé, et peu importe que ce fut un lampiste… Que dire de la trahison des dirigeants d’Alstom envers l’Etat, leur groupe, leurs salariés ? Et que dire du directeur juridique d’Alstom de l’époque, Keith Carr, qui a n’a pas levé le petit doigt pour aider un de ses collègues, prisonnier d’un univers kafkaïen ? Trahison ou lâcheté ?
Dans cet ouvrage Fréderic Pierucci ne dégaine pas la sulfateuse pour tirer à bout portant contre ces personnages, compte tenu de son histoire, il aurait été légitime à le faire, non, il distille finement et intelligemment les faits, rien que les faits. Il n’en reste pas moins qu’à la fin du livre, les figures de Patrick Kron, de Keith Carr, de Stan Twardy et de Grégoire Poux Guillaume en ressortent salement amochées. Côté personnel politique, seuls quelques députés comme Daniel Fasquelle, Jacques Myard, Olivier Marleix et l’ancien ministre, Arnaud Montebourg, en sortent grandis.
En refermant cet essai, le lecteur est traversé par une intime conviction : « l’affaire Alstom » n’est pas finie, trop d’injustice, trop de lâcheté, trop de trahison… Comme l’écrivent les auteurs « C’est une guerre. Une guerre qui nous concerne tous. Une guerre plus sophistiquée que la guerre conventionnelle, une guerre plus sournoise que la guerre industrielle, une guerre méconnue de l’opinion : la guerre du droit ».
- Source : Iveris