Guerre et médiamensonges, « ainsi nos gouvernements ont manipulé les attentats »
“Une guerre d’agression ne peut qu’être fondée que sur des mensonges (Irak, Syrie, ndlr), l’objectif principal des gouvernements est de provoquer la désinformation pour obtenir ce consensus qui autrement n’existerait pas dans l’opinion publique”, affirme Michel Collon à Il Manifesto. Cette interview porte sur le livre “Je suis ou je ne suis pas Charlie?” traduit en italien avec le titre “Effetto boomerang (éditeur Zambon)”.
Que pensez-vous de la liberté d’information en Europe et en France aujourd’hui, on a eu des changements après l’attaque de Charlie Hebdo en 2015?
Pour ce que je connais bien, à savoir la France et la Belgique, je pense que les attentats de janvier (Charlie) et novembre (Bataclan) ont malheureusement été récupérés et manipulés par les élites. Il aurait fallu lancer un grand débat pour comprendre les causes profondes. Analyser la responsabilité des Etats-Unis, de la France et de leurs alliés dans l’explosion de ce terrorisme, par exemple avec le livre Jihad made in USA de mon jeune collègue d’Investig’Action Grégoire Lalieu ou avec mon Je suis ou je ne suis pas Charlie ? d’avril 2015. Au lieu de cela, les élites ont préféré cacher leurs responsabilités en intimidant la population, en la désinformant pour qu’elle soutienne la guerre en Libye et en Syrie, en interdisant les débats à la télé (des émissions critiques ont été purement et simplement supprimées), en sommant les musulmans de « désavouer » les attentats comme si c’étaient eux les responsables, et pas Washington et Paris.
Qu’entendez-vous par deux poids et deux mesures dans la lutte contre le djihadisme puisque d’un côté on le combat et de l’autre l’Europe signe des accords avec l’Arabie Saoudite ou le Qatar, principaux sponsor des groupes djihadistes?
Ceci mérite en effet le prix Nobel de l’hypocrisie. Non seulement parce que l’Arabie saoudite et le Qatar ont été les agents locaux, mais plus encore parce que toute l’opération « eurodjihadisme » a été mise sur pied par la CIA sur ordre d’Obama et Clinton. Ceux-ci craignaient, après les échecs de Bush en Irak et en Afghanistan, d’engager des troupes US en Libye ou en Syrie. Ils ont donc conclu une alliance avec la section libyenne d’Al-Qaida (GICL) comme je l’expose dans mon livre. En me basant sur les propres sources US (CIA, amiral Stavridis commandant de l’Otan en LIbye, académie de West Point) ou françaises (anciens des services secrets). Arabie saoudite et Qatar sont les agents locaux mais c’est la CIA qui a formé ces terroristes dans des camps d’entraînement en Jordanie.
Mon livre démontre que la Syrie a été un remake de l’Opération Ben Laden lorsque, en 1979, la CIA, sur instruction de Zbigniew Brzezinski, a recruté et formé une armée de rechange, avec des terroristes issus de 40 pays, pour renverser le gouvernement progressiste d’Afghanistan. Cette opération, cynique et criminelle, a été un grand succès aux yeux de Brzezinski lui-même (que je considère comme le stratège le plus influent de la politique internationale US). Un tel « succès » a été réédité pour éviter d’intervenir directement en Bosnie, au Kosovo, dans le Caucase, en Libye, en Syrie. Tout ce terrorisme n’est donc pas « made in Islam », mais « made in USA ».
Quelle est votre idée à propos de la raison des attentats en Europe? Pourquoi un grand nombre d’attentats surtout en France et en Belgique ?
La crise capitaliste persistante provoque un grand « excédent » de main d’œuvre : les jeunes des quartiers populaires issus de l’immigration reçoivent donc une éducation de basse qualité, sont discriminés à l’emploi, dans la vie quotidienne et par la police. Le message du capitalisme à leur égard est très clair : on se fiche de votre opinion sur Israël ou la guerre en Irak, on n’a pas besoin de vous, on ne vous considère pas comme de véritables citoyens, juste de la main d’œuvre précaire qu’on prend, qu’on jette comme des kleenex. Ce « No future » crée dans la jeunesse un désespoir qui peut s’exprimer en brûlant des voitures, en rejoignant des milices fascistes ou en s’engageant avec Daesh.
Que peut-on faire pour combattre le phénomène du djihadisme en Europe, France et Belgique en particulier?
Faire exactement l’inverse de cette politique que je viens de décrire. 1. Diminuer radicalement le temps de travail pour créer des emplois. 2. Supprimer les discriminations racistes sur tous les plans. 3. Mettre fin à la censure dans les médias officiels et engager un véritable débat sur les questions sensibles : Israël, pétrole, guerres US et françaises au Moyen-Orient, en Afrique et partout. 4. Combattre la militarisation qui oblige les pays européens à gaspiller leur argent dans des avions de chasse et autres armes qui ne suppriment pas le terrorisme mais l’exacerbent. On ne combat pas le désespoir avec des missiles, mais avec la Justice sociale et la fin du pillage.
Il est temps de cesser de soutenir au Moyen-Orient les monarchies rétrogrades et violentes. Il est temps de respecter la souveraineté de tous les pays arabes pour leur laisser gérer leurs richesses énergétiques pour le bien de leurs populations comme l’ont fait Hugo Chavez, Evo Morales, Rafel Corréa. Il est temps de mettre fin au colonialisme d’Israël avec son apartheid et son nettoyage ethnique. Il est temps de respecter le droit international et la Charte de l’ONU qui interdit la guerre.
Evidemment, les élites ne feront rien de ceci car cela contredit leurs intérêts économiques. Seule une mobilisation populaire, en commençant par la bataille de l’information, pourra l’imposer.
Depuis plusieurs mois, on ne parle plus de Daesh, les politiques de Macron sont réellement efficaces pour contrer le phénomène djihadiste en France?
Daesh a été vaincu non par Washington et Paris, mais par l’alliance Syrie – Hezbollah – Russie. C’est Poutine qui a contré l’ingérence occidentale et changé radicalement le rapport de forces sur le terrain. C’est un bouleversement historique de portée mondiale. En effet, la montée en puissance de la Chine, la formation d’un axe Pékin-Moscou, le renforcement de l’Organisation pour la Coopération de Shanghai qui permet l’indépendance du continent asiatique à l’égard de Washington (c’était le cauchemar de Brzezinski et Kissinger), tout cela fait que la période d’une superpuissance unique se permettant toutes les guerres qu’elle voulait n’a en fait pas duré longtemps. Les USA cherchent comment empêcher ce basculement vers un monde multipolaire, mais n’ont pas la solution.
Affaiblissement économique, crises politiques et morales, affaiblissement de la domination militaire, perte relative du monopole de l’information : le système est en crise mais les forces alternatives aussi. En effet, la gauche européenne est encore dominée par une attitude coloniale, paternaliste, arrogante envers les peuples du Sud, elle s’identifie aux guerres coloniales, elle ne combat pas les médiamensonges. Tant qu’on ne se place pas radicalement du côté des victimes, on est incapable de renverser ce système inhumain.
Quel est le niveau de censure, selon vous, à propos de la situation au Moyen Orient par la presse européenne?
Nous vivons dans la « propagande de guerre ». L’info est monopolisée par les multinationales et leurs gouvernements. Toute info qui contredit la version officielle est passée sous silence ou ridiculisée. Les médias indépendants sur Internet sont diabolisés et menacés de censure totale. Macron et l’UE préparent des lois contre les fake news. Google et facebook collaborent activement avec la presse mainstream pour écarter les médias gênants. Quel paradoxe : ceux qui produisent les fake news, font la chasse aux lanceurs d’alerte !
C’est très inquiétant, il se répand en France et en Belgique un véritable climat de terreur intellectuelle où l’on diabolise et calomnie ceux qui recherchent la vérité dans les faits, ceux qui écoutent toutes les parties en conflit. Sur la guerre, les médias officiels bafouent toutes les règles des écoles de journalisme.
Sans mobilisation citoyenne pour exiger la liberté de débat, pour protéger et soutenir les journalistes indépendants, pour diffuser activement les vérités cachées, nous allons vers un nouveau maccarthysme : une opération massive d’intimidation et d’endoctrinement des esprits. La guerre militaire s’accompagne d’une guerre psychologique qui lui est indispensable. C’est logique, car les gens ne sont pas de monstres : s’ils apprennent les causes réelles des guerres et les crimes dissimulés, ils exigeront leur arrêt immédiat comme on l’a vu lors de la guerre du Vietnam. Une guerre d’agression ne peut reposer que sur le mensonge. La véritable cible de la désinformation et de cette guerre psychologique, c’est donc la population européenne elle-même. D’où l’urgence de créer une info citoyenne indépendante et internationalement coordonnée.
Via Investig’Action
- Source : Il Manifesto (Italie)