F-35, Rafale en Belgique, OTAN… Les Scuds du patron de Dassault
Lors d’une audition devant les députés de la commission de la défense, Eric Trappier a lâché ses coups sur le F-35 américain, les appels d’offres européens "pipeau" sur les avions de chasse, et les capacités de l’Allemagne à développer un avion de combat.
Oreilles sensibles, s'abstenir. Invité à s'exprimer le 28 février devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale sur la loi de programmation militaire 2019-2025, en cours de discussion au Parlement, le PDG de Dassault Aviation Eric Trappier a laissé la langue de bois au vestiaire. Lors de cette audition largement restée sous les radars, le patron de l'avionneur français a lâché ses coups sur tous les sujets chauds du moment : l'Europe de la Défense, le projet d'avion de combat franco-allemand, le F-35 américain, ou encore l'appel d'offres de la Belgique pour 34 chasseurs. Florilège.
L’Europe de la défense
Sur l'Europe de la défense, le verdict d'Eric Trappier est sans appel: il sera difficile de la relancer sans un minimum de solidarité européenne sur les achats d'armement. La règle d'or "dans l'Europe dite Union Européenne", a déploré le dirigeant, "c'est j'achète américain". Le PDG de Dassault dénonce le rôle de l'OTAN dans cette préférence américaine systématique. "Vous avez vu les déclarations des Américains et du secrétaire général de l'OTAN: vous êtes en Europe, vous cotisez 2% de votre PIB dans la défense et vous achetez américain. Et garde à vous ! Ces propos des Etats-Unis et de l'OTAN il y a dix jours contre l'Europe de la défense et les industriels européens, c'est d'une violence terrible !"
Eric Trappier faisait référence à une récente réunion de l'alliance atlantique à Bruxelles où le secrétaire général de l'OTAN Jens Stoltenberg avait appelé les Européens à ne pas créer de force européenne susceptible d'affaiblir l'OTAN, à garder leurs marchés ouverts aux industriels américains. Quant au patron du Pentagone James Mattis, il avait assuré que "la défense commune de l'Europe est une mission pour l'OTAN et pour l'OTAN seule". Conclusion d'Eric Trappier: "Si les Européens ne se réveillent pas, c'est absolument abominable. Il va falloir une réaction politique."
Les appels d’offres des avions de combat en Belgique
Eric Trappier s'est aussi employé à dénoncer les appels d'offres de certains pays européens pour leurs avions de combat, jugés calibrés pour les F-35 de l'américain Lockheed Martin. "Si je prends la Belgique, siège de l'Europe, tout était tracé pour acheter américain", a asséné le patron de Dassault Aviation. Un remake, selon lui, de l'appel d'offres aux Pays-Bas en 2002. "Il n'y avait pas d'appel d'offres aux Pays-Bas. L'appel d'offres a été fait une fois le choix du F-35 effectué, sous pression des socialistes hollandais qui ne comprenaient pas pourquoi on avait acheté un avion sans faire d'appel d'offres."
Là encore, la compétition était biaisée, selon Eric Trappier: "On a comparé un F-35 qui n'avait pas encore fait son premier vol, dont le prix n'était pas garanti puisqu'il n'était même pas encore connu des forces américaines, à un Rafale qui a fait une évaluation complète à Istres, avec un engagement sur les prix "backé" par les autorités françaises, avec un engagement sur les compensations à hauteur de 100% (les Pays-Bas auraient récupéré 100% de leur investissement en compensations industrielles sur place, NDLR). Et malgré tout, le F-35 a gagné avec une note de 6,97 contre 6,95 au Rafale". Conclusion de Dassault ? "Tout ça, c'est du pipeau", assène Eric Trappier. Ca nous a un peu douchés pour la Belgique, car on avait l'impression que les Belged nous ramenaient vers le sujet hollandais." La France a finalement choisi de zapper l'appel d'offres technique en Belgique pour déposer une offre Rafale directement auprès du gouvernement belge. Un coup de poker intelligent, même si le F-35 reste le grandissime favori de la compétition.
Les Pays-Bas, poisson pilote des Etats-Unis en Europe
Comme si acheter américain ne suffisait pas, les Pays-Bas sont aussi devenus les VRP du F-35 en Europe, assure Eric Trappier. "La France fait la promotion de ses produits, ce qui paraît logique. Mais qui fait la promotion du F-35 en Belgique? C'est les Néerlandais, qui se sont fait les champions des Américains pour aller vendre le F-35 en Belgique", souligne le PDG de Dassault Aviation. De fait, comme le rappelle le site Zone Militaire, le chef d'état-major de l'armée de l'air néerlandaise, le général Dennis Luyt, avait dit tout le bien qu'il pensait de cet appareil lors d'une rencontre à l'ambassade des États-Unis à Bruxelles. "C'est incroyable tout ce que cet avion peut apporter au combat et sur le terrain", avait-il affirmé.
Le projet d’avion de combat franco-allemand
Qui sera le pilote du projet d'avion de combat franco-allemand, lancé par Emmanuel Macron et Angela Merkel en juillet 2017 ? Le message d'Eric Trappier est limpide: ce sera Dassault ou rien. "L'engagement avec les Allemands ne me pose aucun problème si on respecte le fait que ce soit sur du long terme, et sur la base des compétences, a ainsi martelé le PDG de Dassault. Ce n'est pas parce que les Allemands peuvent mettre un peu plus d'argent qu'ils sont plus compétents."
De quoi faire grincer des dents outre-Rhin, surtout quand on écoute la suite: "Force est de constater que du fait de l'après-guerre, leur compétence dans l'aviation de combat n'a pas été aussi forte que la nôtre, puisque nous avons exercé notre savoir au travers de toutes les générations de Mirage et du Rafale. Eux ont repris des compétences en coopérant avec les Anglais sur le Tornado et le Typhoon, mais les vrais leaders étaient chez BAe Systems, à Warton. C'est pour cela qu'on avait plutôt été avec les Anglais pour préparer le futur." Si avion de combat franco-allemand il y a, ce sera donc sous la direction de Dassault, exige Eric Trappier. Qui a quand même rappelé qu'il était d'accord pour laisser à la division défense d'Airbus, basée en Allemagne, la maîtrise d'œuvre du future drone MALE (moyenne altitude, longue endurance) européen, prévu pour 2025.
"100 à 200" Rafale supplémentaires en Inde ?
Après les 96 Rafale vendus à l’export à l’Egypte, au Qatar et à l’Inde depuis 2015, Eric Trappier espère bien poursuivre sa moisson de contrats. Jusqu’à quel niveau ? "L’ambition de Dassault est de vendre à peu près autant de Rafale que ceux commandés par la France, soit 225", indique le PDG de l’avionneur. L’Inde, où Emmanuel Macron part en visite officielle du 9 au 12 mars, est le marché le plus prometteur. "Si on se débrouille bien, Il y a entre 100 et 200 avions à vendre en Inde, qui a des besoins énormes, indique Eric Trappier. En ayant réussi ce premier contrat à 36 appareils, j’espère qu’on aura des suites." Et ailleurs ? "On a d’autres pays au Moyen-Orient qui attendent un peu, mais qui sont intéressés", assure Eric Trappier, référence probable aux Emirats Arabes Unis. Le patron de Dassault cite aussi la Malaisie, dont les bonnes relations avec l'Inde, déjà cliente du Rafale, pourraient aider à la conclusion d'un contrat.
- Source : Challenges