Oui ! Non ! Peut-être !
Veux-tu coucher avec moi ? Oui ! Non ! Peut-être ! C’est à peu près comme ça qu’on devrait copuler à partir de juillet en Suède. Celui qui veut doit poser la question. Et parfois, on se demande : à partir de quel moment les méthodes féministes ont-elle décollé de la réalité ?
Évidemment, selon les juristes suédois du droit pénal, il ne faudra pas rédiger un contrat préalable. Ce qu’on a lu ces dernières semaines sur la réforme du droit sexuel dans ce pays scandinave était naturellement un peu exagéré, présenté de manière légèrement condensée. Mais pas tout à fait faux. On devine déjà très bien quelle image du sexe se cache derrière cette idée de réglementation d’inspiration féministe.
En effet, même si dans la réalité, la spontanéité sexuelle de deux partenaires qui se connaissent bien n’en sera probablement pas affectée, cela montre quand même comment les représentantes et les représentants de cette vision du monde classent la sexualité : une entité administrative, un acte pouvant être géré comme une union contractuelle. Ils y voient une affaire de corporalité, qui inclut une prestation entre deux bénéficiaires agissant de manière indépendante. L’acte sexuel est visiblement pour eux un processus rigide, un acte administratif auquel on peut imposer l’ordre par des contraintes bureaucratiques, qui éloignent le sexe de ses tendances naturellement anarchistes. Cette nature indomptable a besoin d’ordre et d’un cadre contractuel.
1er juillet 1997, 1er juillet 2018 : brève histoire de la symbolique politique
Il faut de l’ordre, bien sûr. C’est ce que pensaient déjà les réformateurs qui voulaient rendre le viol conjugal punissable dans les années 1990. Ce ne serait que justice. Comment aurait-on pu les contredire ? Naturellement, ce n’est pas un droit du mâle que d’imposer le devoir conjugal par la force dans son couple marital. D’autre part, jusqu’au 1er juillet 1997, les effets de la violence observables à partir de lésions corporelles étaient aussi punissables. Jusqu’à cette date, l’homme ne pouvait pas se défouler sur sa femme sans craindre des conséquences. Si on pouvait déceler des traces de violence, le mari aussi pouvait être poursuivi et jugé. Thomas Fischer, ancien président de la Cour suprême, a souligné ce fait dans une des chroniques qu’il publiait dans Die Zeit jusqu’au milieu de l’an dernier.
En fin de compte, en matière d’« impunité pour maltraitance conjugale » le problème était toujours le caractère démontrable du délit. Ce n’était pas toujours si évident pour les criminologues et les juristes. En effet, la communauté conjugale n’est pas transparente. Si on voulait punir, il fallait pouvoir prouver quelque chose. Bon, il ne fallait naturellement pas faire comme si on n’avait pas introduit le viol conjugal dans le Code pénal uniquement parce qu’on pensait en termes purement concrets. Bien entendu, cela avait à voir avec un principe patriarcal. À l’évidence, il était confortable pour l’homme, dans un monde dominé par les hommes, que le viol conjugal ne devienne pas une affaire pénale. Mais ce n’est qu’une face de la médaille. L’autre est la difficulté de la charge de la preuve. Il a paru raisonnable de ne pas renvoyer quelqu’un au tribunal sur la simple dénonciation de violences sans présentation de ses manifestations.
Le 1er juillet 1997 a revu cela, mais les viols dans le mariage ne sont guère condamnés sans preuves de violences. Les tribunaux ont du mal avec de simples allégations qui fournissent comme unique indice le seul témoignage de la victime d’abus. À cet égard, la révision de la loi jusqu’à ce jour n’a été qu’un acte politique symbolique. Le 1er juillet 2018 ne peut pas être considéré autrement. La pression de l’opinion publique peut pousser la politique juridique à rédiger des projets de loi purement symboliques, mais ceux-ci ne donnent aucun nouveau moyen à la justice au quotidien. Ce qui reste, c’est l’impuissance, car une accusation n’est d’abord qu’une accusation. Et lorsque quelqu’un prétend qu’il ou elle a dit non, cela ne signifie pas que c’est une preuve.
La langue du désir : du mutisme au « non veut dire oui »
D’un côté, la pression publique débouche sur des initiatives et des révisions législatives qui doivent être comprises comme des symboles et non comme un guide pratique. D’un autre côté, il existe, avant cette disposition anémique, une pratique de la sexualité très stable. Dans un article de Philosophie Magazine de janvier 2016 sur la « tendance au contrat sexuel » Slavoj Žižek attire l’attention sur le « langage du désir ».Celui-ci n’est certainement pas univoque. Il cite l’exemple d’un film britannique des années 1990 (Brassed Off, 1996), dans lequel une jeune femme invite un jeune homme à prendre un café. Il décline l’invitation, il n’aime pas trop le café. Elle sourit et réplique que de toute façon, elle n’en a pas. « Par une double négation, la femme exprime une invitation directe au sexe… », explique le philosophe slovène. Il poursuit en disant que la langue du désir ne peut souvent pas être énoncée franchement. Elle est ludique et dit souvent le contraire de ce que veulent les deux. Parfois, elle est aussi sans voix.
Žižek a détecté dans la règle du « non, c’est non », qui occupait toutes les conversations au début de 2016 et qui est devenue plus tard le fleuron du durcissement du droit pénal sexuel, un « exemple de l’expression narcissique de la subjectivité aujourd’hui dominante » une règle compliquée (difficilement praticable au quotidien) censée protéger la vulnérabilité. Selon lui, le fait que les discussions sur les signaux d’avertissement aient été menées presque en même temps n’était pas un hasard. C’est un cocon qu’on utilise comme épouvantail. On bourre le crâne des gens en prétendant qu’on pourrait se protéger de toute agression partout. Il suffit d’avoir des règles et encore des règles, et la sécurité est assurée. Que le contrat sexuel inclue en outre une conception totalement fausse de la sexualité, qu’on fasse comme si la langue du désir était une langue de la clarté, révèle une conception étrange et même prude de la sexualité. Tout petit jeu entre des partenaires dominants et soumis est ainsi exclu d’une catégorie possible de la sexualité. Là derrière se cache le manque d’imagination, l’ennui et un fondement chrétien.
La jeune fille catholique et l’homo pactus
L’ancien idéal catholique de la femme chaste, de l’être féminin asexué per-se, au-dessus des instincts, a de nouveau été mis au programme de la théorie de la sexualité, vue par la société civile féministe néolibérale. Seulement, cela ne prend plus la forme vieillotte de la virginité, mais se fonde sur la stylisation de la femme comme être menacé 24 heures sur 24 par les agressions de l’autre sexe. La femme est celle qui dit non, elle doit prononcer le petit mot de négation plusieurs fois par jour, parce que l’agression masculine la menace de tous côtés. Cette stylisation voit la femme comme une victime du terrorisme et constamment en position défensive.
Ironie de l’histoire, qui a l’esprit de l’escalier, on célèbre un progrès qui fait appel, dans son essence, à des éléments aussi moyenâgeux et même scolastiques. Insister, en tablant sur la vieille pruderie chrétienne de la femme, avec cet artifice de faire un bloc de la sexualité débridée et de la déchéance du « sexe opposé » appelé homme : de la pure folie ! Le récit d’une religion dont les féministes affirment très justement 1 qu’elle a scellé historiquement la position inférieure de la femme, est de nouveau à l’honneur, à l’honneur profané. L’image des femmes que l’on pouvait facilement subjuguer ressemble à celle des curés d’antan. Comme leurs ancêtres, ils ne comprennent la femme que comme un être partiellement autonome, ils lui appliquent un discours victimaire et ritualisent la pudeur traditionnelle d’autrefois en un idéal que la femme doit défendre contre les mains toujours baladeuses de l’homme.
Là évidemment, seul un contrat peut permettre un accord entre deux partenaires. L’homo œconomicus a toujours été, dans une large mesure, en même temps un homo pactus, une personne avec des liens contractuels, en quelque sorte. Maintenant, il voudrait aussi réguler sa vie sexuelle par contrat. Dans la mentalité de l’ère néolibérale, la chasteté n’est qu’une clause. Et la jeune fille post-catholique se lie volontiers par contrat. C’est comme chez Kant à l’époque, qui pensait que prier ne pouvait pas nuire. Car même s’il n’y a pas de Dieu, cela ne cause pas de malheur. C’est ainsi que le féminisme se convainc d’avoir trouvé des solutions. En fait, ce ne sont que des problèmes, des trucs presque post-staliniens. Et tout cela aux dépens d’une image des femmes qui est au moins aussi rétrograde que celle des religieux autrefois.
Traduit par Diane, vérifié par jj, relu par Cat pour le Saker francophone
Notes:
1. Ce présupposé s’appuie sur l’image de la chrétienté renvoyée par les progressistes qui ont très largement noirci le tableau. Quid de la chevalerie, de l’amour courtois, … NdSF
- Source : Neuland Rebellen (Allemagne)