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Mardi, 26 Nov. 2024

Syrie, Iran et Arabie Saoudite: Business first

Auteur : Richard Labévière | Editeur : Walt | Mardi, 25 Avr. 2017 - 20h48

Ça n’aura pas tenu trois mois ! Le champion d’America First – L’Amérique d’abord ! – guerroie au Proche-Orient (Syrie, Irak, Yémen) et montre ses muscles au large des deux Corée. Il s’est fâché avec Vladimir Poutine auquel il voulait tendre la main et courtise grossièrement Xi Jinping, le patron de l’entreprise Chine. Ouf ! La bourse peut souffler… Finalement, Donald Trump se rend compte que l’Union Européenne existe malgré tout et que l’OTAN peut encore servir les intérêts américains. Bref, le chantre de la non-ingérence est – comme son prédécesseur – engagé et sur-engagé sur quatre fronts de guerre simultanés : Afghanistan, Irak, Syrie et Yémen ! Et la rédaction de prochetmoyen-orient.ch n’est pas peu fière d’avoir titré dès novembre 2016 : Trump, tout changer pour que rien ne change…

Le nouveau président américain voulait démondialiser la politique et provoquer une révolution anti-global pour revenir aux priorités nationales et domestiques de ses électeurs confrontés à une précarité grandissante. Finalement, tout en détricotant les avancées sociales laborieusement élaborées par son prédécesseur, il fait globalement la même chose que lui à coups de menton et de tweet imprévisibles, parfaitement représentatifs de ce qu’est devenue la première « démocratie » du monde : une société dégénérée mue par une course effrénée à l’argent, les émotions, leurs images et leurs tweets…

Ce faisant, Donald Trump continue néanmoins à donner le tempo d’un monde occidental tout aussi déboussolé que la vieille Amérique. Il n’est qu’à voir la Grande Bretagne et la France éternelle, toutes deux membres permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, applaudir des deux mains un bombardement américain de la Syrie effectué unilatéralement et en marge de toute légalité internationale ! Que les Britanniques – alliés indéfectibles de l’Oncle Sam ayant menés l’invasion de l’Irak au printemps 2003 avec Washington contre l’avis des Nations unies, de la France, de l’Allemagne et de la Russie – le fassent reste dans l’ordre des choses. Que Paris emboîte – à ce point – le pas, est plus curieux, voire absolument scandaleux et indigne ! De Nicolas Sarkozy à François Hollande, la diplomatie française nous a habitué à défendre davantage les intérêts américains et israéliens que ceux de notre pays selon des logiques droits-de-l’hommistes sélectives où l’Elysée et le Quai d’Orsay s’avèrent moins regardant dès lors qu’il est question de l’Arabie saoudite, du Qatar, des Emirats arabes unis ou de certains coffres forts africains…

Dans tous les cas de figures, le chef de la diplomatie française Jean-Marc Ayrault nous promet de prochaines révélations irréfutables sur le dernier « événements chimiques » survenu en Syrie. Il vient d’affirmer qu’il apportera « dans quelques jours, la preuve que le régime syrien a bien organisé la frappe chimique » du 4 avril dernier sur Khan Cheikhoun, une ville contrôlée par la rébellion salafo-jihadiste du nord-ouest du pays. Jean-Marc Ayrault dans le texte : « nous avons des éléments qui nous permettront de démontrer que le régime a sciemment utilisé l’arme chimique (…) Ma conviction, et c’est aussi la conviction de nos services, c’est que c’est le régime a bien la responsabilité » de cette attaque1.

Ce n’est pas la première fois que Jean-Marc Ayrault se retranche derrière l’expertise des services français de renseignement. En septembre 2013, il brandissait déjà devant l’Assemblée nationale une soi-disant « note des services secrets » pour justifier la guerre que la France s’apprêtait à déclarer à la Syrie ! En fait, il ne s’agissait que d’une note du SGDN (Secrétariat général de la défense nationale qui dépend de Matignon), coupé-collé d’extraits de rapports de la DCRI et DGSE de l’époque qui ne comportaient aucun élément factuel probant, n’alignant qu’archives, analyses et conjectures ; celles-ci ayant aussitôt été démenties par plusieurs rapports contradictoires des Nations Unies et d’autres officines spécialisées ! Il est toujours aisé de parler à la place de services – tenus à un strict devoir de réserve – et ne pouvant réagir à l’instrumentalisation et autre récupération de leur travail néanmoins remarquable !

Depuis la fermeture de l’ambassade de France à Damas en mars 2012 -décidée par Alain Juppé – la France s’est amplement fourvoyée sur la Syrie et les crises proche et moyen-orientales. Ayant tiré un trait sur quarante ans de politique étrangère gaullienne, sinon gaulliste, Paris n’a plus de « politique arabe », préférant sa nouvelle « politique sunnite », visant à signer des contrats commerciaux (rarement honorés) avec une Arabie saoudite wahhabite qui finance l’expansion de l’Islam radical depuis plus de trente ans ! Ayant rejoint le commandement intégré de l’OTAN en 2008, la France s’est remis dans le sillage américain, les protagonistes de la région préférant s’adresser à Dieu qu’à ses saints. Par conséquent, la diplomatie française est sortie des écrans radars et s’est exclue tant du processus d’Astana que de celui de Genève.

Indépendamment du dernier « incident chimique », ces deux mécanismes d’une recherche de sortie de crise poursuivent patiemment leurs efforts… mais sans la France. Sous l’égide de Moscou et Téhéran, le premier mécanisme se cantonne aux questions militaires : consolidation du cessez-le-feu instauré après la reconquête d’Alep en décembre 2016 ; échanges de prisonniers et amnistie des rebelles qui acceptent de déposer les armes. A Genève, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour la Syrie – Staffan de Mistura – poursuit avec opiniâtreté et intelligence la mission diplomatique la plus difficile du monde : mettre en musique la feuille de route de Genève-II, à savoir proposer une nouvelle constitution et un gouvernement de transition afin d’organiser des élections législatives et présidentielles sous contrôle international.

« A Genève, nous encourageons le gouvernement syrien et l’opposition à négocier sous l’égide des Nations unies », explique Ali Shamkhani, secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale iranien, « à Astana, il s’agit de garantir un cessez-le-feu solide, première étape pour la mise en œuvre d’un processus politique. En Syrie, il n’y a pas de solution militaire ». Et pour renouer avec un esprit de Genève susceptible de ramener la paix en Syrie et dans la région, les négociateurs réexaminent trois exemples de paix historiques.

Le premier : les accords de Taëf de 1989 – 1990, qui mirent fin aux quinze années de la guerre civile du Liban (1975 – 1990) a été acheté et financé de bout en bout par l’Arabie saoudite afin de diminuer l’influence des communautés chrétiennes au profit de la population sunnite. Il est difficilement superposable au contexte syrien où sont confrontées de multiples entités : une majorité de Sunnites aux Chi’ites/Alaouites, ainsi qu’à une grande partie des Chrétiens et des Druzes ; les Turques aux Kurdes ; les Palestiniens pro-régime aux anti-régime, sans compter les différentes armées privées qui prennent parti en fonction d’intérêts essentiellement économiques et financiers.

Le deuxième nous ramène à la paix, conclue par les accords de Dayton aux Etats-Unis le 21 novembre 1995, entérinée à Paris le 14 décembre. Elle accouche d’un monstre constitutionnel pour la Bosnie, qui comprend – en sus de l’importante communauté serbe – une forte communauté croate, laquelle a longtemps fait le coup de feu contre les Musulmans de la région. L’accord prévoit en effet la création d’un Etat « musulman » en Bosnie sur les territoires où les Bosniaques résident, mais qui est contraint d’entrer dans une fédération croato-bosniaque avec le nouvel Etat indépendant de Croatie. Il prévoit aussi la création d’une région autonome serbe sur le nouveau territoire de l’Etat, dont les mécanismes de fonctionnement sont d’une incroyable complexité. Plus de vingt ans après, cet accord reste un casse-tête qui paralyse tout développement socio-économique et qui rend ce dernier totalement dépendant des aides massives de l’Union européenne, laquelle joue un très grand rôle dans la gestion de la Bosnie.

Une fois le démantèlement des principaux territoires yougoslaves achevé, la « communauté internationale » s’est attaquée à la « question du Kosovo », berceau de la nation serbe, mais peuplé majoritairement d’Albanais. Ces derniers sont alors encouragés à prendre les armes et aidés de diverses façons, y compris par des bombardements massifs de l’OTAN en 1999 sur ce territoire et la capitale serbe – Belgrade – pour obliger l’armée serbe à se retirer. Cette campagne amène le président Milosevic à accepter l’indépendance de la province du Kosovo, qui sera définitivement arrachée à la Serbie en 2008.

Financé par les contribuables européens, le micro-Etat du Kosovo s’adonne, depuis son indépendance, au trafic d’armes, d’êtres humains, de drogues et d’organes humains en toute impunité. Il est devenu aujourd’hui l’une des plaques tournantes des terroristes européens recrutés par la Qaïda et l’organisation « Etat islamique » avec la même impunité. Bien-sûr, les Américains cherchent à s’inspirer des accords de Dayton pour la Syrie, tant ils rêvent d’y imposer la même balkanisation réalisée en ex-Yougoslavie, afin d’imposer une partition de la Syrie en quatre ou cinq micro-Etats, autant de nouveaux Kosovo sous leur tutelle et celles de Riyad et de Tel-Aviv !

Une troisième paix intéresse les négociateurs de Genève : celle que le président Abdelaziz Bouteflika a réussi à mettre en œuvre en Algérie après la décennie sanglante (1988 – 1998) ayant causé plus de 200 000 victimes. Cette politique dite de Concorde nationale s’est d’abord attachée – comme le processus d’Astana – à l’instauration d’un cessez-le-feu et d’une amnistie générale pour tous ceux qui acceptaient de rendre les armes. Sont venus ensuite différentes réformes constitutionnelles afin d’inclure les groupes rebelles désarmés à la vie politique nationale. Même si ce processus est loin d’être achevé, même s’il a généré impunités et nombres d’injustices criantes, il est parvenu néanmoins à ramener la paix civile après une longue guerre meurtrière.

En s’inspirant, peu ou prou, de ces trois paix historiques, le processus de Genève se poursuit envers et contre tout dans un contexte où les Etats-Unis continuent à empêcher le retour des grands investisseurs occidentaux en Iran malgré l’accord signé à Vienne (14 juillet 2015) sur le dossier nucléaire. Cette continuation des sanctions économiques par d’autres moyens pèse lourdement sur la prochaine élection présidentielle qui oppose le président sortant Rohani au candidat conservateur Ebrahim Raissi, proche du Guide de la révolution l’ayatollah Ali Khamenei. Là encore, Donald Trump préfère se ranger aux côtés de l’indéfectible allié israélien – Benyamin Netanyahou – en adoptant de nouvelles sanctions contre l’Iran plutôt que d’œuvrer à la recherche d’une nouvelle stabilité régionale en accompagnant une réelle levée des sanctions contre ce pays clef du Moyen-Orient !

Le secrétaire d’Etat Rex Tillerson vient de déclarer, le plus solennellement du monde, que « l’Iran demeure l’un des principaux pays qui parraine le terrorisme ». Comme son homologue français Jean-Marc Ayrault, il produira lui aussi certainement bientôt des preuves irréfutables des services spéciaux pour accréditer ses affirmations dont on ne situe pourtant ni les acteurs, ni les endroits, ni les intérêts…

Quoiqu’il en soit, cette régression – qui était prévisible – réjouit aussi l’Arabie Saoudite. Le 19 avril dernier, la première visite à Riyad de James Mattis, le secrétaire américain à la Défense a donné lieu à une série de déclarations anti-iraniennes, qui a réjoui les oligarques de la dictature wahhabite engagée dans une compétition stratégique et confessionnelle avec leur grand voisin chi’ite. « Ainsi, on est revenu à la ligne diplomatique traditionnelle des Républicains américains, basée sur un axe Riyad-Washington, avec l’appui de Tel-Aviv », constate un diplomate européen en poste dans le Golfe. « Les huit années du mandat d’Obama avaient laissé un vide que l’Iran et la Russie ont mis à profit », a laissé entendre James Mattis, l’ancien patron du géant pétrolier Exxon-Mobil sachant parfaitement quel langage tenir à ses vieux partenaires d’affaires !

A la mi-mars, lors de sa venue à la Maison blanche, le vice-prince héritier Mohammed Ben Salman avait trouvé – lui-aussi – les mots qu’il faut pour la nouvelle administration Trump, évoquant la possibilité d’injecter quelques 200 milliards de dollars (186 milliards d’euros), dans l’économie américaine, notamment dans le secteur des infrastructures. Et pour sceller ce nouveau pacte (d’affaires) du Quincy, le président américain – qui déteste pourtant voyager – devrait se rendre en Arabie saoudite d’ici la fin du mois de mai prochain.

Plus que jamais, avec Donald Trump, il faut tout changer pour que rien ne change… parce que le plus important – au-delà de la guerre et de la paix -, c’est, d’abord et avant tout, la poursuite du business…

1 Le Monde du vendredi 21 avril 2017


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