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La fin de la démocratie (Vidéo)

Auteur : Youssef Hindi | Editeur : Walt | Lundi, 30 Janv. 2017 - 14h16


On l’a vu en Occident, tout particulièrement dans l’Union européenne depuis plus d’une dizaine d’années et récemment aux États-Unis, le vote du peuple, lorsqu’il ne va pas dans le sens des intérêts oligarchiques, est systématiquement rejeté, et délégitimé. La démocratie apparaît de plus en plus comme un système dictatorial sans visage.

L’on ne cache même plus la volonté d’abolir, non pas la superstition de la démocratie, mais le principe démocratique de volonté des peuples, comme lors de l’émission du service public français, C Polémique, du 15 janvier 2017. Le titre du sujet abordé était plus qu’évocateur : Trump / Le peuple a-t-il toujours raison ?

Parmi les invités, Emmanuel Todd, historien démographe issu du cœur du système qui, durant l’émission, a lâché le morceau devant les sourires gênés des autres invités :

« C’est normal qu’on se pose cette question en France, puisque la France n’est plus une démocratie… Non la France n’est plus une démocratie, là on fait tous semblant, on est dans un monde d’illusion là, on est dans une comédie, on fait du théâtre. On remet en question la démocratie américaine qui renaît, et on fait comme si nous on était des démocrates. Mais en 2005 les Français ont voté « non » à un référendum, la classe politique s’est assise sur ce « non », et là on est dans une élection présidentielle où y a des types qui s’agitent dans des primaires de la droite, de la gauche, on fait comme si on avait des élections normales, « on va élire un président ». Mais en fait la France n’a plus d’autonomie monétaire et c’est l’Allemagne qui va décider. La démocratie française ce n’est pas la démocratie française, c’est un système qui va nous permettre d’élire notre représentant à Berlin. Donc on est vraiment des gros rigolos quand on met Trump en question. »

L’élection de Trump a été un révélateur d’une crise bien plus profonde qu’il n’y paraît. Et à cette crise, les élites oligarchiques, via leurs médias, ont réagi très violemment, telle une bête féroce blessée.

Ce n’est évidemment pas Trump qui renversera à lui seul le système oligarchique occidental, mais son élection est une des secousses sismiques de contestations de plus en plus fréquentes venant de la base d’une bonne partie de l’Occident.

La superstition de la démocratie

La démocratie est, dans l’imaginaire collectif et en théorie, associée au principe d’égalité. Or, les démocraties, depuis Athènes jusqu’aux démocraties représentatives modernes, se sont constituées, selon les périodes et les pays, par une série d’exclusions : de l’étranger (ou considéré comme tel), des esclaves, des pauvres, des femmes, des aristocrates…

Ce corps des citoyens plus ou moins restreint donne, par sa participation au vote, une légitimité au régime, aux dirigeants politiques, à l’oligarchie.

La démocratie est, comme tout système et/ou régime politique, un des équivalents/remplaçants de la religion : elle vit par et à travers la foi des peuples. C’est ce qui explique la fébrilité des professionnels de la politique face à la désertion, par les citoyens, des bureaux de votes.

La disparition de la croyance des peuples en la chimère démocratique – à cause de l’abus des élites et de ses prétentions irréalisables – signera sa mort définitive.

Il ne reste, lorsque le système démocratique ne fonctionne plus, que des mots magiques, dont l’effet hypnotique se dissipe de jour en jour, pour maintenir la population dans la docilité et en état de prosternation devant l’autel de la démocratie. Lorsque la population refuse de se soumettre d’elle-même, les dirigeants démocrates sortent les matraques et les armes à feu.

L’anthropologue et psycho-sociologue Gustave Le Bon (1841-1931) avait très bien expliqué, il y a plus d’un siècle, la fonction de ces mots aujourd’hui répétés du matin au soir comme des mantras :

« En étudiant l’imagination des foules, nous avons vu qu’elles sont impressionnées surtout par des images. Si l’on ne dispose pas toujours de ces images, il est possible de les évoquer par l’emploi judicieux des mots et formules. Maniés avec art, ils possèdent vraiment la puissance mystérieuse que leur attribuaient jadis les adeptes de la magie. Ils provoquent dans l’âme des multitudes les plus formidables tempêtes, et savent aussi les calmer. On élèverait une pyramide plus haute que celle du vieux Khéops avec les seuls ossements des victimes de la puissance des mots et des formules.

La puissance des mots est liée aux images qu’ils évoquent et tout à fait indépendante de leur signification réelle. Ceux dont le sens est le plus mal défini possèdent parfois le plus d’action. Tels, par exemple, les termes : démocratie, socialisme, égalité, liberté, etc., dont le sens est si vague que de gros volumes ne suffisent pas à le préciser. Et pourtant une puissance vraiment magique s’attache à leurs brèves syllabes, comme si elles contenaient la solution de tous les problèmes. Ils synthétisent des aspirations inconscientes variées et l’espoir de leur réalisation ».

Et il formalise plus loin une réflexion qui nous permet d’affirmer qu’aujourd’hui la démocratie est morte. Il expliquait un phénomène dont nous sommes les témoins aujourd’hui :

« Le jour précis où une grande croyance se trouve marquée pour mourir est celui où sa valeur commence à être discutée. Toute croyance générale n’étant guère qu’une fiction ne saurait subsister qu’à la condition d’échapper à l’examen ».

Et ce à quoi nous assistons justement aujourd’hui c’est bien à la remise en question du principe démocratique – sans toutefois fois bannir le mot magique « démocratie » –, comme lors de cette émission que j’évoquais plus haut.

Mais les institutions soutenues par la croyance collective ne s’effondrent, à l’instar du Mur de Berlin à la suite de la disparition de la foi communiste, que bien des années après la disparition de la croyance ; ainsi Le Bon affirmait :

« Qu’alors même qu’une croyance est fortement ébranlée, les institutions qui en dérivent conservent leur puissance et ne s’effacent que lentement. Quand elle a enfin perdu complètement son pouvoir, tout ce qu’elle soutenait s’écroule. Il n’a pas encore été donné à un peuple de changer ses croyances sans être aussitôt condamné à transformer les éléments de sa civilisation. Il les transforme jusqu’à ce qu’il ait adopté une nouvelle croyance générale ; et vit jusque-là forcément dans l’anarchie. Les croyances générales sont les supports nécessaires des civilisations ; elles impriment une orientation aux idées et seules peuvent inspirer la foi et créer le devoir.

Les peuples ont toujours senti l’utilité d’acquérir des croyances générales, et compris d’instinct que leur disparition devait marquer pour eux l’heure de la décadence. Le culte fanatique de Rome fut la croyance qui rendit les Romains maître du monde. Cette croyance morte, Rome dut périr. C’est seulement lorsqu’ils eurent acquis quelques croyances communes que les barbares, destructeurs de la civilisation romaine, atteignirent à une certaine cohésion et purent sortir de l’anarchie.

Ce n’est donc pas sans cause que les peuples ont toujours défendu leurs convictions avec intolérance. Très critiquable au point de vue philosophique, elle représente dans la vie des nations une vertu ».

Il faut s’attendre prochainement à cette période d’anarchie qui suivra la fin de la République et de son système démocratique auquel le peuple n’ajoute plus foi. Il en va de même pour l’Union européenne, dont l’effondrement produirait, par réactions en chaîne mettant à nue les véritables causes (religieuses) de la crise, à diverses échelles, une anarchie européenne qui ne pourra se résorber qu’avec une restructuration religieuse et/ou idéologique. Les idéologies modernes étant mortes ou mortes-vivantes (sans vitalité), une seule solution s’offrira aux peuples d’Europe, à savoir le retour à une religion qu’ils connaissent bien, et non pas à un folklore païen modernisé et qui n’a plus qu’une vague ressemblance avec les anciennes religions nordiques et romaines.

Il faut donc voir cet effondrement en cours comme la fin d’un processus commencé par les grandes révolutions, à commencer par la réforme protestante et la révolution cromwellienne dont découle toutes les autres. L’utopie démocratique, qui est un avatar des révolutions modernes, a également trop longtemps nié la diversité des peuples et des systèmes anthropologiques. Les idéologies messianiques modernes que leurs prophètes et leurs ouailles ont essayé d’imposer à toute l’Humanité depuis 1789 ont fait preuve d’un négationnisme (un vrai) – qui n’a d’égal que leur fanatisme mystique – des réalités historiques et culturelles. Or, Gustave Le Bon a bien mis en évidence que d’un peuple à l’autre, la démocratie ou le socialisme possèdent des sens tout à fait différents :

« Ils correspondent, en réalité, à des idées et des images complètement opposées dans les âmes latines et dans les âmes anglo-saxonnes. Chez les Latins, le mot démocratie signifie surtout effacement de la volonté et de l’initiative de l’individu devant celles de l’État. Ce dernier est chargé de plus en plus de diriger, de centraliser, de monopoliser et de fabriquer. C’est à lui que tous les partis sans exception, radicaux, socialistes ou monarchistes, font constamment appel. Chez l’Anglo-Saxon, celui d’Amérique notamment, le même mot démocratie signifie au contraire développement intense de la volonté et de l’individu, effacement de l’État, auquel en dehors de la police, de l’armée et des relations diplomatiques, on ne laisse rien diriger, pas même l’instruction. Le même mot possède donc chez deux peuples des sens absolument contraire ».

J’en profite pour souligner au passage que le libéralisme anglo-saxon à la Adam Smith, et promu par les Lumières, qui donnera naissance à l’ultra-libéralisme, est inhérent à la culture anglaise, qui est elle-même le produit de sa structure familiale, nucléaire inégalitaire.

L’on a voulu imposer le libéralisme politique et économique, propres à la culture et à l’anthropologie anglo-saxonne, à toute l’Europe, à des peuples dont les tempéraments et la conception même de l’État, est opposé à la culture anglaise.

Aujourd’hui, l’Europe et le reste du monde subissent les conséquences désastreuses, au plan socio-économique, de cette idéologie politique qui leur est étrangère.

Un système défaillant

En France, par exemple, le déni de la volonté du peuple, notamment en 2005 avec le « non » au traité constitutionnel européen, a peu à peu éloigné les citoyens de la foi démocratique et des urnes. S’en est suivi un dérèglement du système électoral et des résultats qui sont de moins en moins prévisibles, et dont l’origine profonde, la cause première, est à trouver dans la disparition du catholicisme ; vide religieux qui a déstructuré tout le système idéologico-politique français.

Ce mépris du peuple par les élites est combiné à un discours « populiste » qui se veut compensatoire. En effet, l’on a même vu récemment Manuel Valls s’attaquer à des journalistes qui lui demandaient si il n’était pas « le candidat du système » et à qui il a répondu « ça, ce sont vos questions, c’est vous qui êtes enfermés dans le système… c’est vous qui représentez le système dont les Français ne veulent plus… plus vous êtes dans cela et plus les Français ne supportent plus le système ». Avant lui, Nicolas Sarkozy s’était déjà lancé, lors de sa campagne de 2012, dans des attaques contre le système… L’on a l’impression de voir des criminels se renvoyer les uns les autres la responsabilité des actes commis à la veille du jugement…

Ces déclarations en apparence populistes ne sont pas anodines, elles traduisent ce que l’historien et sociologue Guy Hermet a analysé (en 2007) en terme de politologie :

« À y regarder de près, ne serait-ce pas plutôt qu’une complémentarité des deux registres du populisme et de la gouvernance est en train de s’instaurer, un partage des tâches entre deux modes de traitement des affaires publiques : d’une part une pratique populiste et plébiscitaire au niveau de la compétition électorale assortie d’un recours à la « démocratie participative » dans les affaires locales abandonnées en partie aux représentants autoproclamés de la « société civile » ; d’autre part des méthodes relevant de la gouvernance, réservées au petit nombre, s’agissant des orientations économiques, sociales ou politiques d’envergure nationale, régionale ou globale négociées entre des acteurs cooptés protégés des humeurs trop volatiles des électeurs ».

Mais cet équilibre délicat ne tient déjà plus, les contradictions internes au système démocratique sont intenables, le roi est nu… Une élection, une réforme des institutions, les vociférations « populistes » de Jean-Luc Mélenchon (vieux et ancien cadre du Parti socialiste envoyé par ce dernier à l’extrême gauche pour en garder le contrôle), n’y feront rien, la fracture du régime est trop profonde, elle a atteint jusqu’à la croyance collective populaire. Aucun miracle ne saurait sauver la République et la démocratie dont ses bénéficiaires même remettent en question le principe pour préparer à une rigidification plus grave du système et de l’appareil répressif.

Or, la loi de la physique, appliquée ici à la politique, est formelle : l’extrême rigidité d’un système politique qui connaît une délégitimation est prêt à casser sous la force d’une contestation qu’il ne peut plus absorber.


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