Le tribunal reproche à Yamina Benguigui la « légèreté » et les « omissions » dans sa déclaration de patrimoine et d’intérêt
Nul n’est censé ignorer la loi ! Même s’il s’agit là d’une fiction juridique, il n’en est pas moins vrai que le citoyen doit toujours nourrir le souci d’être en conformité avec les lois et règlements, surtout lorsque la personne concernée est, comme dans ce cas, une responsable politique, élue de surcroît et qu’elle a participé à l’élaboration de ces mêmes lois. C’est d’autant impardonnable qu’elle a bénéficié des conseils avisés de la cellule fiscale chargée de conseiller les membres du gouvernement. Si au moins elle nous épargnait la laideur de ses ratages de charcuterie esthétique… (LLP)
Ils sont singuliers ces moments où les élus, les responsables politiques, découvrent avec effarement – et à leur détriment – la rigueur d’une loi décidée par le gouvernement auquel ils ont appartenu. A la barre de la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris, mercredi 8 juillet, se tient Yamina Benguigui. L’ancienne ministre de la francophonie, qui est également élue de la Ville de Paris, est la première personnalité à comparaître en application de la loi du 11 octobre 2013 sur la transparence de la vie publique, élaborée et votée dans la précipitation qui a suivi la démission du ministre du budget, Jérôme Cahuzac, confondu d’avoir dissimulé des fonds à l’étranger. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, présidée par l’ancien procureur général près la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, avait émis en avril 2014 « un doute sérieux sur l’exhaustivité, l’exactitude et la sincérité » des déclarations de patrimoine et d’intérêt transmises par Yamina Benguigui et en avait saisi le parquet de Paris, conformément à la procédure prévue par la loi. Il est principalement reproché à l’ancienne ministre – productrice et réalisatrice de documentaires dans la vie civile – d’avoir omis à trois reprises de déclarer les actions qu’elle possédait dans une société de droit belge. Une première fois en 2012, lors de son entrée au gouvernement, puis en avril 2013 et en janvier 2014. Entre ces dates, les fameuses parts de société dont elle était détentrice ont beaucoup voyagé. Mme Benguigui s’en est d’abord défaite pour l’euro symbolique auprès de l’un de ses associés avec une clause de retour, qui prévoyait qu’elle pouvait les racheter au même prix.
« Il y a eu l’affaire Cahuzac et tout s’est emballé »
La cellule fiscale chargée de conseiller les membres du gouvernement ayant tiqué sur cette vente certes licite mais qui pouvait s’apparenter à une dissimulation de propriété, lui suggère alors de faire valoir sa clause de retour et de procéder à une vente définitive. Les services fiscaux font observer au passage que la société belge lourdement déficitaire dont Mme Benguigui est actionnaire depuis 2005, dégage désormais des bénéfices importants. Le montant de ses parts est évalué à plus de 900 000 euros, sur lesquels la ministre acquitte un redressement fiscal. Une nouvelle évaluation, confiée à un cabinet d’audit, réduit un an plus tard leur valeur de moitié, à 430 000 euros. C’est le prix auquel elles sont revendues en 2014. Les différentes déclarations de patrimoine interviennent au milieu de ces mouvements et de fait, Mme Benguigui n’est plus détentrice de ces titres – au mieux l’est-elle d’une créance – quand elle les remplit. « Je n’ai jamais caché un centime, j’ai suivi toutes les recommandations que l’on m’a faites. Mais il y a eu l’affaire Cahuzac et tout s’est emballé », dit-elle à la barre, visiblement blessée par sa mise en cause. Ses deux avocats, Mes Antoine Vey et Eric Dupond-Moretti insistent pour leur part, sur la bonne foi de leur cliente prise au piège d’une loi d’urgence dont la complexité et l’impréparation avaient été dénoncées à l’époque par la majorité des parlementaires.
Des « omissions » coupables
« Cette loi a été votée. On peut toujours penser qu’elle va trop loin, mais c’est la loi », leur a répondu le procureur Jérôme Marilly, en prenant soin toutefois de circonscrire l’enjeu de ce dossier. Il n’est question « ni d’enrichissement personnel, ni de paradis fiscal, ni de compte en Suisse. Mme Benguigui n’est pas accusée de malhonnêteté », a-t-il souligné. « Mais la légèreté n’est pas une excuse recevable de la part d’une ministre de la République », a ajouté le procureur. Il est là pour faire respecter la loi et la loi considère désormais qu’en matière de transparence de la vie publique, il est des « omissions » coupables. Surtout lorsqu’elles se répètent et que les enjeux démocratiques de cette nouvelle législation après la tempête soulevée par l’affaire Cahuzac, ont été rappelés solennellement en conseil des ministres, puis dans une circulaire adressée à chaque membre du gouvernement. Autant d’arguments qui justifient, selon lui, une condamnation de l’ancienne ministre, à l’encontre de laquelle il a requis quatre mois d’emprisonnement avec sursis et 15 000 euros d’amende. « Le fondement de la procédure pénale, c’est de condamner les malhonnêtes, pas ceux qui ont pu se tromper », a plaidé Me Dupond-Moretti, en dénonçant « le poujadisme » d’une justice « qui consiste à dire : “Vous êtes ministre, vous n’avez pas le droit de vous tromper”. » Jugement le 23 septembre.
- Source : Pascale Robert-Diard