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Samedi, 18 Mai 2024

«L'État islamique est la face radicale du wahhabisme saoudien» (Irfan Habib)

Auteur : Irfan Habib | Editeur : Walt | Dimanche, 23 Nov. 2014 - 14h04

Irfan Habib est un historien indien de réputation internationale. Il est titulaire de la Chaire Maulana Abdul Kalam Azad à la National University of Educational Planning and Administration à New Delhi.

Il est ironique que le régime turc contribue à soutenir un groupe terroriste appelé l'État islamique (EI) voué à répandre l'islam wahhabite dans le monde entier. Le wahhabisme d’aujourd’hui, légitimé et propulsé par le régime saoudien, a des origines violentes, presque criminelles, qui remontent au 19ème siècle. Si l'on étudie ces origines, on ne sera pas étonné de son mépris pour la vie humaine et pour tout ce qui ne correspond pas à son agenda intolérant/sectaire. Mais permettez-moi d’abord d’expliquer l’ironie de la situation.

Le régime ottoman a payé le prix de l'islam wahhabite peu de temps après qu’il soit devenu une force dans la région arabe centrale. Le mélange toxique du savant musulman du 18ème siècle Abdul Wahhab et du premier monarque de l'Arabie Saoudite Ibn Saoud posait tout un défi à la domination ottomane. Il remettait aussi en cause les croyances et pratiques islamiques dominantes. Les Turcs ont lutté non seulement pour préserver leur pouvoir, mais aussi l’islam mystique qu’ils avaient professé et soutenu toutes ces années. Les Ottomans ont combattu les wahhabites et les ont exilés dans les déserts arabes où ils sont restés pendant près d'un siècle. Les Turcs ont condamné le sectarisme wahhabite, jugé criminel et non islamique. La triste ironie est que le régime turc actuel a rejoint le mouvement wahhabite, oubliant les Bektashis, Qadiris et autres derviches qu'ils ont vénéré pendant des siècles. L’agenda de l’État islamique est une simple continuation du plan perfide institué par Abdul Wahhab il y a près de 200 ans. Examinons cet islam wahhabite soi-disant puritain, avec son rejet violent des musulmans qu’ils n’aimaient pas, et ses ressemblances avec les terroristes de l’État islamique.

Un agenda rempli de haine

Muhammad ibn Abdul Wahhab, fondateur du wahhabisme avec son puritanisme radical et exclusionniste, est devenu plus meurtrier quand Ibn Saoud a décidé d'ajouter sa ferveur religieuse à son banditisme. (Celui-ci n’était alors qu'un chef secondaire parmi les nombreuses tribus bédouines en proie aux guerres et razzias incessantes dans les déserts désespérément pauvres du Nejd). Abdul Wahhab, en collaboration avec Ibn Saoud, le fondateur de l'Arabie saoudite, a ainsi mis en place son programme sectaire et rempli de haine. Il a dénoncé ses adversaires et tous les musulmans ne voulant pas accepter son point de vue comme des idolâtres et des apostats, et abusé des prophètes, des savants, des saints et des autres figures pieuses du passé. Tous ceux qui n’adhéraient pas à sa version de l'islam devaient être tués; leurs femmes et leurs filles violées. Les chiites, les soufis, et les autres musulmans qu'il jugeait peu orthodoxes devaient être exterminés, et toutes les autres religions devaient être humiliées ou détruites. Avec cette doctrine terrible, les bases du fondamentalisme islamique étaient posées, conduisant finalement au terrorisme et invalidant la vie non seulement de musulmans, mais aussi de tous les autres dans le monde.

La plupart des «groupes terroristes islamiques» d'aujourd'hui s’inspirent de cette idéologie politique perfide. L'argent et le pouvoir saoudiens ont réussi à présenter faussement cet islam haineux comme l’islam puritain authentique, dont toute déviation serait non islamique. Malheureusement, la plupart des auteurs occidentaux sur l'islam ont accepté les yeux fermés cette prétention des wahhabites à une réforme de l’islam traditionnel prétendument décadent. Le journaliste américain Stephen Schwartz affirme que le rejet des wahhabites de la spiritualité ostentatoire s’apparente au rejet des protestants de la vénération des saints dans l'Église catholique romaine. Pour les observateurs occidentaux, le mouvement wahhabite s’apparente à la Réforme chrétienne. Ils ont malheureusement omis de faire la distinction entre réforme et sectarisme.

L’État islamique et d'autres groupes terroristes d'aujourd'hui ont porté la perversion wahhabite d'origine à de nouveaux sommets où ils ne réfèrent même plus à ses racines. Le régime saoudien lui-même se sent menacé par le monstre que son idéologie a contribué à créer. Il s'est publiquement distancié du terrorisme de l’EI et a même mobilisé l’imam en chef de La Mecque pour déclarer que le terrorisme de l’EI est un crime haineux en vertu de la charia. Cette tromperie a été utilisée avec constance par les Saoudiens chaque fois qu’ils se sont retrouvés coincés dans une situation difficile.

Les parallèles saisissants entre l’EI et autres du même acabit et l’imposture Saoudi-Wahhabi sont toutefois révélateurs. Quand l'EI fait exploser des sanctuaires, il suit le précédent créé dans les années 1920 par la Maison des Saoud avec la démolition d’inspiration wahhabite de tombes vieilles de 1400 ans dans le cimetière Jannat ul Baqi à Médine. Encore une fois, la haine envers les musulmans chiites est l'une des croyances fondamentales des wahhabites. Leurs premières destructions et leurs premiers meurtres ont été commis à Karbala au début du 19ème siècle, suivis par le pillage et la destruction de la tombe de Hussain, le petit-fils du Prophète. Quel que soit son visage, la colère contre les chiites est une constante tout au long de l'histoire Wahhabi-Saoudienne, et elle poursuivie aujourd’hui par ses derniers porte-drapeaux, l'État islamique et Al-Qaïda.

La réinvention du wahhabisme

Pourquoi l’hydre wahhabite est-elle devenue si activement menaçante au cours des dernières décennies? Un facteur pourrait être la révolution iranienne des années 1970, qui fut perçue comme une menace par le wahhabisme qui commençait alors à avoir l’air désuet. Il devait donc se réinventer pour rester pertinent. Cette réinvention s’est manifestée de façon meurtrière avec des groupes tel que le Boko Haram, le Shabab, Al-Qaida, les Taliban et maintenant l'État islamique, et beaucoup d'autres partout dans le monde. Même l'islam chiite a radicalement changé dans l'ère post ayatollah Khomeiny; il n’est plus aussi décontracté qu’il ne l’était.

En juillet dernier, l’État islamique a fait exploser la mosquée réputée abriter la tombe du prophète Yunus (Jonas) à Mossoul: voir la vidéo

En illustration, la mosquée après l'explosion.

 


- Source : Irfan Habib

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