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Pfizer fait du lobbying pour empêcher les lanceurs d’alerte de dénoncer les fraudes

Auteur : Lee Fang | Editeur : Walt | Mercredi, 27 Juill. 2022 - 16h59

Pfizer et d’autres grands groupes pharmaceutiques font pression pour bloquer une législation qui permettrait aux lanceurs d’alerte de dénoncer plus facilement les entreprises responsables de fraudes.

Au cœur d’un environnement législatif vertigineux, avec une grande attention portée sur le débat « Build Back Better », les grandes entreprises, dont Pfizer, se battent contre une mise à jour du False Claims Act, une loi datant de la guerre civile qui récompense les dénonciateurs qui intentent des procès contre les entrepreneurs au nom du gouvernement.

Cette loi a historiquement rapporté 67 milliards de dollars au gouvernement, les dénonciateurs ayant contribué avec succès à la découverte d’actes répréhensibles commis par des entrepreneurs d’armements, des banques et des sociétés pharmaceutiques.

Cette loi a été particulièrement épineuse pour Pfizer. En 2009, Pfizer a payé 2,3 milliards de dollars d’amendes pénales et civiles pour mettre fin à des allégations selon lesquelles l’entreprise avait illégalement commercialisé plusieurs médicaments à des fins non indiquées sur l’étiquette, c’est-à-dire non approuvées par la Food and Drug Administration. La société avait demandé à son équipe de marketing de faire la publicité du Bextra, qui n’était approuvé que pour l’arthrite et les crampes menstruelles, pour des problèmes de douleur aiguë et chirurgicale. Le procès, intenté en vertu de la False Claims Act grâce aux actions de six dénonciateurs, s’est soldé par l’un des plus importants règlements de fraude de l’histoire, dans le domaine de la santé.

Mais la loi présente aujourd’hui beaucoup moins de risques pour les entreprises ayant un comportement criminel parce que la loi antifraude a été sévèrement entravée par une série de décisions de tribunaux fédéraux qui ont radicalement élargi la portée de ce qu’on appelle la « matérialité ». En 2016, la Cour suprême a statué dans l’affaire Universal Health Services v. United States ex rel. Escobar qu’une poursuite pour fraude pouvait être rejetée si le gouvernement continuait à payer l’entrepreneur fraudeur.

La cour ayant raisonné que si le gouvernement continue à payer une entreprise malgré une activité frauduleuse, alors c’est que la fraude n’est pas « importante » pour le contrat. Cette décision a eu pour effet de neutraliser l’application du False Claims Act à l’encontre de nombreuses entreprises dont la taille est telle que le gouvernement ne peut interrompre brusquement les paiements, en particulier les grands groupes de soins de santé et les entrepreneurs de la défense.

Des décisions de justice récentes, notamment des affaires impliquant Honeywell et Halliburton, montrent que des entrepreneurs obtiennent le rejet d’affaires de fraude en invoquant simplement la « poursuite des paiements du gouvernement ». L’année dernière, un tribunal fédéral de district a rejeté une plainte déposée en vertu du False Claims Act contre la société d’ingénierie Aecom par un dénonciateur alléguant une fraude généralisée en matière de facturation pour un contrat de 2 milliards de dollars en Afghanistan. Les avocats d’Aecom ont également invoqué la poursuite des paiements du gouvernement à la société. Le procès est actuellement en appel.

Qui plus est, le gouvernement fédéral a joué un rôle actif pour décourager les affaires. En 2018, le ministère de la Justice de l’administration Trump a publié le « Granston Memo », qui encourageait le rejet d’un plus grand nombre de poursuites initiées par des dénonciateurs en vertu du False Claims Act.

En octobre, le procureur général Merrick Garland a officiellement annulé ce mémo pour être « trop restrictif », un geste largement considéré comme destiné à promouvoir une plus large application du False Claims Act.

L’érosion de la loi a donné lieu à un mouvement bipartisan, mené par le sénateur Chuck Grassley, Républicain-Iowa, visant à actualiser la loi afin de donner aux dénonciateurs une plus grande protection contre les représailles potentielles de l’industrie et de rendre plus difficile pour les entreprises accusées de fraude de rejeter les affaires pour des raisons de procédure.

Au début de l’année, alors qu’il présentait son projet de loi, M. Grassley a pris la parole au Sénat pour montrer des images de contrats de plusieurs milliards de dollars passés à la casse pour la guerre d’Afghanistan et des exemples de cas de fraude qui ont échappé à toute responsabilité en raison des contraintes judiciaires imposées à la False Claims Act.

« Les défendeurs s’en tirent en scalpant les contribuables parce que certains bureaucrates du gouvernement n’ont pas fait leur travail », a tonné le sénateur. « Au cours de mes nombreuses années d’enquête sur le ministère de la Défense, j’ai appris qu’un bureaucrate du Pentagone est rarement motivé pour reconnaître une fraude. C’est parce que l’argent ne sort pas de sa poche ».

La législation, le False Claims Amendments Act of 2021, ajuste la norme de matérialité pour inclure les cas dans lesquels le gouvernement a effectué des paiements malgré la connaissance de la fraude « si d’autres raisons existent » pour poursuivre le contrat. Le projet de loi étend également les protections anti-rétorsion de la loi, qui ne couvrent actuellement que les employés dénonciateurs d’une entreprise. Le projet de loi vise à empêcher une industrie de mettre sur une liste noire les anciens dénonciateurs à la recherche d’un emploi.

Cette initiative s’est heurtée à l’opposition des entreprises, dont une partie a été divulguée et une autre dissimulée au public. Pfizer a engagé Hazen Marshall, ancien directeur des politiques pour le leader de la minorité au Sénat, Mitch McConnell, R-Ky, pour faire du lobbying sur cette question, ainsi que le cabinet d’avocats Williams & Jensen, une puissance qui emploie une série d’anciens membres du personnel du Congrès.

Pfizer, qui s’est présenté comme un héros dans la lutte contre la Covid-19 et comme une entreprise citoyenne digne de confiance, n’a pas répondu à une demande de commentaire.

Lors d’un premier vote test, le projet de loi a été bloqué. En août, Grassley a proposé son projet de loi d’amendement sur les fausses réclamations en tant qu’amendement à l’accord bipartisan sur les infrastructures au Sénat. Le projet de loi n’a toutefois jamais été soumis au vote en raison d’une objection déposée au nom des Démocrates du Sénat.

En octobre, la législation a de nouveau trouvé une audience. Le sénateur Tom Cotton, R-Ark, a tenté d’effacer la majeure partie du projet de loi lors d’une réunion de la commission judiciaire. L’amendement proposé par Cotton visait à supprimer toutes les lignes substantielles du projet de loi, à l’exception du premier titre, qui est simplement la description de la législation. Au cours du débat en commission, Cotton a fait valoir que la Cour suprême « a pris la bonne décision » dans l’affaire Escobar et le critère de « paiement continu » pour la matérialité. La législation « pourrait potentiellement augmenter les coûts des soins de santé », a soutenu le sénateur, faisant écho aux affirmations de l’industrie selon lesquelles les litiges découlant de la False Claims Act forceraient les entreprises pharmaceutiques à augmenter leurs prix.

L’American Hospital Association aurait fait pression pour retarder le vote, mais le projet de loi a finalement été adopté par 15 voix contre 7 par la commission judiciaire du Sénat, avec le soutien de Grassley et de son principal co-sponsor, le sénateur Patrick Leahy (D-Vt).

« C’est un effort de lobbying très concerté qui a vraiment pris nos partisans au Capitole par surprise », a déclaré Stephen Kohn, un avocat spécialisé dans les dénonciations au cabinet d’avocats Kohn, Kohn & Colapinto.

Bon nombre des entreprises engagées dans ce lobbying ont choisi de dissimuler leurs efforts par le biais de groupes tiers non déclarés, tels que la Chambre de commerce des États-Unis, qui a fait du projet de loi Grassley l’une de ses principales cibles pour la faire échouer. La chambre ne divulgue pas le nombre de ses membres ni les sociétés qui dirigent ses activités de plaidoyer, mais des rapports précédents indiquent que des sociétés telles que Halliburton, Lockheed Martin et JPMorgan Chase, entre autres, ont été confrontées à des violations de la False Claims Act dans le passé.

D’autres groupes commerciaux – dont l’American Hospital Association, le Healthcare Leadership Council, le Pharmaceutical Research and Manufacturers of America et l’American Bankers Association – ont fait pression contre le projet de loi sans divulguer les entreprises qui dirigent leurs actions.

Les entreprises connues qui ont fait pression contre le projet de loi Grassley sont Pfizer, Amgen, AstraZeneca, Merck et Genentech. Ces entreprises ont pâti de la législation sur les divulgations de lobbying. Toutes les cinq ont payé des sommes à neuf chiffres pour des fraudes en matière de soins de santé mises en lumière par la loi sur les fausses réclamations.

« Les sociétés pharmaceutiques sont connues pour verser des pots-de-vin, c’est-à-dire pour donner des avantages en échange d’un avantage concurrentiel. Ce n’est pas pour rien que les sociétés pharmaceutiques et les entreprises de soins de santé représentent environ 80 % des sommes recouvrées au titre de la False Claims Act », a déclaré M. Kohn.

Dans le cas du règlement record de Pfizer, les dénonciateurs ont accusé la société d’avoir fait la promotion du Bextra pour des utilisations non approuvées par la FDA, exposant les patients à des risques de crise cardiaque et d’accident vasculaire cérébral. La société aurait versé des pots-de-vin à des médecins pour des utilisations non autorisées. Le False Claims Act, accorde aux dénonciateurs une partie de l’argent que le gouvernement récupère à la suite de poursuites judiciaires.

« Toute la culture de Pfizer est axée sur les ventes, et si vous ne vendiez pas de médicaments illégalement, vous n’étiez pas considéré comme un membre de l’équipe », a déclaré John Kopchinski, l’un des dénonciateurs de Pfizer, après le règlement.

L’initiative de Grassley est défendue par un large éventail de groupes de surveillance du gaspillage gouvernemental. Taxpayers Against Fraud, le National Whistleblower Center, le Project on Government Oversight et le Government Accountability Project figurent parmi les groupes qui soutiennent officiellement la mise à jour de la loi anti-fraude.

Mais les défenseurs ont exprimé leur confusion quant à l’implication de plusieurs autres organisations censées protéger les contribuables. Citizens Against Government Waste et Americans for Tax Reform, deux groupes conservateurs qui ne divulguent pas les informations sur leurs donateurs, ont envoyé une lettre aux législateurs pour les inciter à rejeter la mesure de Grassley.

Bien que Citizens Against Government Waste se concentre officiellement sur la lutte contre le gaspillage gouvernemental, l’objectif du False Claims Act, la branche de lobbying du groupe a fait valoir dans une lettre que le projet de loi n’était pas approprié pour être inclus dans le paquet d’infrastructures parce qu’il n’est « pas lié aux infrastructures traditionnelles » et que le projet de loi n’est pas pleinement « compris par les 95 sénateurs qui n’ont pas coparrainé » la législation. Americans for Tax Reform a également fait valoir que la législation n’avait pas « fait l’objet d’un débat approprié ».

Ni Citizens Against Government Waste ni Americans for Tax Reform n’ont répondu à une demande de commentaires expliquant pourquoi ils ont fait pression de manière si agressive contre la législation sur la protection des contribuables et si des intérêts de donateurs sont impliqués.

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone


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