Le Nouvel Obs se déchaine contre Alain Soral
Pilier du système Dieudonné, antisémite et fier de l’être, Alain Soral, bénéficie d’une renommée vénéneuse sur le web et dans les médias. Enquête.
Il n’aime rien tant que parler. Depuis plus de trente ans. Dans les fêtes branchées de la nuit parisienne, les réunions du PC puis du FN, à la télé et dans ses livres, sur les vidéos de son site internet qu’il enregistre à la chaîne. Au début d’Alain Soral était le verbe. Nourri aux meilleurs philosophes. Aux dires de ses anciens amis toujours bluffés par son "intelligence" et sa "culture", il les aurait tous lus. Aujourd’hui, ses mots ont un goût de sang. L’ex-noceur des années Palace qui venait pimenter les émissions de Dechavanne ou de Taddeï montre ce qu’il a décidé d’être : "national-socialiste"! Il le dit et le répète. Dans la France de 2014.Comment devient-on Alain Soral ? La question n’aurait que peu d’intérêt si sa logorrhée violemment antisémite était restée cantonnée dans les arrière-cuisines de la "fachosphère". Mais Soral s’est mué en prédicateur. Il est non seulement le maître à penser de Dieudonné mais aussi de milliers de fans qui le suivent sur la Toile. Mi-décembre, il y avait une queue de 200 mètres devant une librairie très comme il faut des beaux quartiers de Paris où il faisait ses dédicaces. Car, suprême consécration, Eric Naulleau, l’écrivain et "polémiste de gauche" habitué du petit écran, lui a offert une respectable tribune en acceptant de débattre avec lui dans un opus sorti cet automne, "Dialogues désaccordés". Un joli titre. Qui ne sert pourtant qu’à emballer les vénéneuses obsessions de Soral.
Petit minet abonné aux soirées des Bains-Douches
"Je suis un penseur", dit au "Nouvel Observateur" l’homme aux cheveux ras qui cultive ses muscles dans les salles de boxe. En cette mi-janvier, voici pourtant comment il raconte l’un des "moments clés" de son parcours d’"intellectuel". Nous sommes en 1984. Il a 26 ans. Petit minet abonné aux soirées des Bains-Douches, il lui vient l’idée d’écrire avec deux copains "les Mouvements de mode expliqués aux parents". Un best-seller. Mais seul l’un des trois coauteurs, Hector Obalk, aujourd’hui critique d’art, ira sous les sunlights d’"Apostrophes".
J’ai été manipulé par un juif qui a tiré la couverture à lui, explique très sérieusement Soral. A partir de ce jour-là, j’ai étudié le Talmud, l’histoire du sionisme. J’ai découvert que la trahison et la solidarité étaient au fondement de cette culture."
Juste affligeant de bêtise ? Le 11 janvier à Vence, lors d’un meeting sauvage, le même Soral crie au mégaphone : "Les juifs nous prennent pour des goyim, c’est-à-dire des sous-hommes. La Torah dit que notre destin est d’être leurs esclaves. Si on ne se révolte pas, ici, ce sera bientôt Gaza."Autre moment clé dans la vie d’Alain Soral. En 2001, il met en scène "Confession d’un dragueur" avec Thomas Dutronc en tête d’affiche. "Son scénario était prometteur, se souvient le producteur Jean-François Lepetit. Mais au moment du tournage, j’ai réalisé que ce que je croyais être de l’ironie était en fait du premier degré." Critique assassine ("grossier, sexiste, homophobe, scatologique, plat, verbeux, superficiel..."). Film déprogrammé au bout d’une semaine. Soral, qui se voyait cinéaste, sombre dans la déprime.Aujourd’hui, il éructe :
J’ai été massacré par les deux cliques qui tiennent ce milieu, les pédés et les juifs."
Dans le DVD qu’il a fini par éditer lui-même – "parce que "Confession" est devenu un film culte" (sic) - il explique qu’on ne lui a pas donné sa chance alors qu’il avait en lui autant de talent que Kubrick et Tarantino réunis... Sur ces échecs et ces vexations, le théoricien Soral a construit sa "pensée". On est loin de Bernard Lazare - l’auteur de "l’Antisémitisme, son histoire et ses causes" - dont il a la perversité de se réclamer. On est en revanche au coeur de ses névroses. "J’avais prévenu depuis longtemps ceux qui le trouvaient si drôle, se désole sa soeur Agnès, l’inoubliable punkette de "Tchao Pantin". Les Field, les Ardisson... Je leur disais : vous êtes en train d’enkyster sa paranoïa, la violence qu’il a en lui sera un jour dévastatrice." Mais, ajoute-t-elle, "il a même réussi à hypnotiser un grand analyste lacanien. Ils ont fini par sortir ensemble aux Bains-Douches !" , tandis qu’elle a passé sa vie "à se reconstruire" sur le divan. Leur père, un conseiller juridique franco-suisse poursuivi en fin de carrière pour malversations, piétinait sa femme, humiliait et battait ses enfants.
Comme tous les pervers narcissiques, poursuit la comédienne, il avait aussi un grand pouvoir de séduction. Adorait l’Histoire. Affabulait souvent. Provoquait les voisins en passant à plein volume un disque de chants nazis trouvé par hasard aux puces. En fait, il ressemblait terriblement à Alain."
A ses amis de jeunesse, Soral confiera parfois : "Quand on a eu une enfance comme la mienne, on n’a que deux choix : devenir victime ou bourreau. On m’a programmé pour être un monstre", s’est-il plaint ainsi, en 2004, dans une émission de Mireille Dumas. Soral se targue de mépriser la psychologie - cet "infini à la portée des gonzesses" - mais il ne se prive pas de l’appeler à la rescousse pour se donner des excuses. La faute à son père s’il est méchant. Puis à sa soeur qui, plus tôt et bien mieux que lui, a pris la lumière. Puis à ses amis qui l’ont "trahi" . La faute aux autres, toujours. La "faute aux juifs".A cette élite imaginaire "sur laquelle il a toujours fantasmé, dit Hector Olbak, son ancien coauteur. Parce que, dans son délire, il la juge supérieure et enrage de ne pas en être". Au point de s’exclamer devant Naulleau :
Le "suprématisme juif, je l’étudie, je l’admire même [...]. Les juifs intelligents me respectent pour ça, alors que toi, ils te méprisent, comme un goy, un gentil, cet éternel dominé jobard qui ne voit jamais rien !"
Cette "admiration", c’est en exécutant une "sodomie symbolique" (la tristement célèbre "quenelle"), devant le Mémorial de la Shoah à Berlin, qu’il l’a exprimée en décembre dernier. Récemment, lors d’une réunion publique, il en a détaillé plus précisément la signification : "Ce Mémorial n’a de toute façon été construit que pour humilier le peuple berlinois, la plus grande victime de la guerre. Et aujourd’hui, vous savez à quoi il sert, ce monument ? C’est l’endroit où les pédés se retrouvent pour s’enculer !" Rires dans l’assistance.Avec Soral, l’ignoble va souvent de pair avec l’insulte à connotation sexuelle ou, plus précisément, homosexuelle. "Pourtant quand il est arrivé à Paris, se souvient Alexandre Pasche (le troisième larron de "la Mode expliquée aux parents"), il avait pour meilleurs amis des gays, notamment un galeriste chez qui il vivait." Au milieu des années 1990, en revanche, Soral se vantera dans "Sociologie du dragueur" (son "analyse marxiste de la séduction") de "traquer sans relâche les femmes dans la rue".
Il jouit de ses abjectes transitions
Aujourd’hui, il semble n’avoir d’autre passion que lui-même. Chaque semaine ou presque, il s’installe sur son canapé, face caméra. Filmé par un intervieweur invisible qui lui donne du "président", il jouit de ses abjectes et incessantes transgressions : Israël qui "pour un peuple génocidé se porte bien" , Faurisson "injustement persécuté", Auschwitz où "l’on dit que 4 millions et demi d’êtres humains sont morts en moins de deux ans dans une pièce qui fait 100 mètres carrés. Le plus grand prodige de l’humanité !"...Certaines de ces prestations, diffusées sur son site Egalité et Réconciliation, ont été regardées jusqu’à un million de fois. Son blog est l’un des plus lus de France. Son avant-dernier essai, "Comprendre l’empire", compilation des sempiternelles cibles de l’extrême-droite, caracole, depuis sa parution en 2011, en tête des livres politiques sur Amazon. 70.000 exemplaires vendus, 200 réassorts par jour depuis l’affaire Dieudonné..."Alain ne fait jamais de bides", se félicite Franck Spengler, le patron des Editions Blanche, spécialisées dans la littérature érotique. Parmi ses auteurs, Soral, qui en est à son dixième livre, reste le plus rentable. Alors quand il a un "petit coup de déprime", l’éditeur, fils de Régine Deforges – "et donc biberonné à la liberté d’expression" regarde sur les sites de vente en ligne les scores de son poulain. "Avec 'Dialogues désaccordés', explique-t-il, grâce à Eric Naulleau, nous avons pu atteindre un lectorat plus 'mainstream'. Un temps, nous avions pensé à Eric Zemmour qu’Alain connaît bien. Mais le débat aurait été moins vif, ils sont quand même assez d’accord sur un certain nombre de choses... Alors on a pris l’autre Eric..." Le débat a eu lieu par mails interposés. Rien n’a été censuré, hormis un passage sur Anne Sinclair. "Je l’avais laissé passer, précise Spengler, mais on nous a signalé un risque juridique. On a mis des croix à la place. On s’est fait un petit plaisir." L’éditeur a aussi demandé à l’aimable Naulleau d’abréger "ses trop longues digressions sur la littérature bulgare. Je lui disais : Eric, ce n’est pas ça que les gens attendent..."
Les chambres à gaz sont "un dossier qui pue la merde"
Ainsi, Soral a-t-il pu faire imprimer, par une maison qui a pignon sur rue, ce qu’il martèle ad nauseam sur son site. Les "révisionnistes sont les prisonniers politiques de l’Occident contemporain". Les chambres à gaz sont "un dossier qui pue la merde et qui ne tient que par la terreur morale et judiciaire". L’assassinat de trois enfants dans une école juive par Mohamed Merah résulte d’une "opération conjointe franco-israélienne, dans le but de diaboliser les musulmans. C’est la version française, petit budget, des attentats du 11 septembre !"... Comme dans une officine de la Gestapo, et sous les yeux de Naulleau, il a pu dresser ses listes : "Madame Rosenberg (le vrai nom pas du tout catholique de Madame Sinclair)" , Christine Angot, née "Schwartz" , Emmanuel Todd "petit-fils du rabbin de Bordeaux" , Salman Rushdie "tête de cafard, suceur de sioniste", Marcela Iacub "Juive argentine"...Il a pu conspuer, balayant d’un trait de plume les protestations de son impuissant contradicteur, "cette putain fardée qu’est la raie publique parlementaire - en réalité la domination des réseaux sionistes et maçonniques". Rien de nouveau depuis "la France juive" d’Edouard Drumont, les ligues factieuses des années 1930, l’antisémitisme de Vichy, ou même le "national-socalisme" dont il se réclame désormais ouvertement même s’il prend le soin de préciser qu’il est "à la française"... Rien de nouveau si ce n’est - et encore - son copinage avec les dictatures du monde arabe. L’alliance "rouge-brun-vert".
Il claque la porte du FN en 2009
En 2006, par exemple - il se garde bien d’en faire état dans son livre -, on le voit à Damas avec des dignitaires du régime syrien. Un an plus tard, il crée le club Egalité et Réconciliation pour convertir au "nationalisme politique" les Français issus de l’immigration. Entre-temps, il a rejoint le FN avant d’en claquer la porte, en 2009, pour se présenter aux européennes sur une Liste antisioniste avec Dieudonné. Une campagne financée par les Iraniens à hauteur de "3 millions d’euros" comme il l’a récemment affirmé sur son site ? "Où est passé ce butin de guerre ?", lui demande aujourd’hui l’un de ses anciens colistiers, Ahmed Moualek, président de l’association La banlieue s’exprime. La Liste antisioniste (qui avait récolté seulement 1,3% des voix en Ile-de-France) n’a, en effet, officiellement déclaré que 5.796 euros de dons. "Soral est avant tout un homme d’affaires, accuse Moualek. Il va chercher l’argent là où il y en a."Aujourd’hui, le "président Soral" assure en avoir fini avec les joutes électorales. Le web lui offre une arène à sa mesure. Ses conférences, le contact direct avec ses fidèles. Celle qu’il a tenue, mi-janvier, dans les quartiers Nord de Marseille s’intitulait "Vers l’insoumission généralisée" (10 euros l’entrée)... Son public est souvent jeune, plutôt masculin. Chômeurs mais aussi étudiants ou cadres diplômés. Il a parmi ses relais un chirurgien-dentiste, Salim Laïbi, compulsif blogueur obsédé par les "réseaux occultes", Camel Bechikh, président de Fils de France, l’"association des musulmans patriotes", mais aussi Farida Belghoul, l’une des figures de la Marche des beurs de 1983.
Le mariage pour tous ? Une machination "maçonnique, satanique, antichrétienne"
Dans sa besace, il a également de quoi satisfaire les tenants de ce qu’il appelle la "droite des valeurs" (notamment l’essayiste Marion Sigaut, membre, jusqu’à il y a encore quelques mois, du bureau national de Debout la République, le mouvement de Nicolas Dupont-Aignan). A ceux-là encore, il désigne les mêmes coupables. Le mariage pour tous ? Une machination "maçonnique, satanique, antichrétienne". Le féminisme ? Une invention du même "lobby talmudo-sioniste" pour "déviriliser le peuple" et mieux lui imposer sa loi...S’il sait tout cela, dit-il, c’est aussi parce qu’il a été, dans sa jeunesse, "journaliste d’investigation". En réalité, il a pigé pour le magazine féminin "20 ans" où il écrivait, se souvient l’un de ses anciens confrères, des billets d’humeur sur les crottes de chien ou le dalaï-lama, avant d’émarger à "Entrevues", le journal d’Ardisson. A la rubrique "Rumeurs".
Un "bon client" à la télé, scandale et buzz garantis
L’âge venant, Soral a feint de s’étonner de ne plus être invité à la télévision. Il a pris la posture de l’éternel ostracisé. Un comble. Pendant des années, il a eu table ouverte dans la plupart des talk-shows. Etiqueté "bon client". Excitateur d’Audimat. Avec lui, c’était le scandale et le buzz garantis. "Tout le monde le faisait venir", plaide Frédéric Taddeï. Lui l’a reçu dans "Ce soir ou jamais" jusqu’en 2011. Patrick Cohen, l’animateur de la matinale d’Inter, est l’un des seuls à le lui avoir reproché. Lui, disait-il, ne laisserait jamais Soral entrer dans son studio. "Faute professionnelle !" s’était aussitôt écrié Daniel Schneidermann qui, du haut de sa chaire d’"Arrêt sur Images", avait fait la leçon à son confrère de la radio publique : lorsqu’on est "un journaliste payé par le contribuable", on ne peut pas "se priver d’invités intéressants parce qu’on n’est pas d’accord avec eux". Intéressant ? A l’époque, Alain Soral avait déjà été poursuivi (en 2004), puis condamné (en 2007) pour incitation à la haine raciale ! Peu à peu, il a perdu, au moins à la télé, la place qu’il n’aurait jamais fallu lui donner.
Aujourd’hui encore, il fait semblant de ne pas comprendre, essaie d’entraîner ceux qu’il pense avoir contaminés :
Tous les néo-reacs du PAF se sont, plus ou moins, engouffrés dans les brèches que j’avais ouvertes : sur la critique du communautarisme, de la culture victimaire, du féminisme, j’ai fait le boulot avant tout le monde !"
Il assure qu’il a des "dossiers" sur "ces animateurs, ces hommes politiques, ces célébrités du showbiz" qui se seraient laissé aller en sa compagnie. "Je raconterai tout dans un livre posthume." Ardisson, qui lui a interdit son émission depuis dix ans, rigole : "Il a inventé que le deuxième prénom de mon fils était Benito !"
Calomnies, chantages, menaces
Calomnies, chantages, menaces. Frédéric Beigbeder n’a pas oublié comment, lors d’une soirée littéraire, en 2004, Soral l’a attrapé au collet. "J’avais dit du mal de l’un de ses ouvrages dans 'Voici'." L’écrivain Simon Liberati a dû lui aussi subir ses colères : "Nous avons été très amis. Mais je ne l’ai pas cité dans les remerciements de mon premier roman parce qu’il était déjà trop sulfureux. Il m’en a voulu."Dans le Tout-Paris, il ne faut pas trop chercher, malgré tout, pour trouver d’autres anciens proches qui dressent, désormais sous le couvert de l’anonymat, le portrait d’un homme qui, "dans l’intimité", sait se "montrer charmant, drôle, respectueux envers les femmes". "Il y a deux Alain, dit l’une d’entre elles. Celui qui s’exhibe en public ne ressemble pas à celui que je connais." Comment y croire ? Depuis quelques jours, Soral ose poser sur son site en tenue de déporté, avec un numéro de matricule et un triangle marqué d’un F sur la poitrine. Au bas de l’écran, un compteur s’affiche avec une demande de dons pour le soutenir dans les "épreuves qui l’attendent". Alain Soral est ce qu’il a choisi d’être.
- Source : Le Nouvel Obs