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Vendredi, 26 Avr. 2024

Qui sont les « européïstes » d’aujourd’hui

Auteur : Alexandre Mamina | Editeur : Walt | Lundi, 18 Mars 2019 - 21h11

Qui sont les européïstes d’aujourd’hui ? Ou autrement formulé, quel support social et quelles options politiques sont inclus réellement dans le projet d’Union Européenne de nos jours ? Soulignons: de nos jours, parce que continuer à discuter en ayant comme références les déclarations d’intention et les espoirs du début signifie faire la politique de l’autruche, ou purement et simplement tromper les gens sciemment.

 

Les européïstes sont, en premier lieu, les représentants du capitalisme financier international qui, en accroissant son influence au niveau des gouvernements et de la Commission Européenne, sauve les banques quand elles risquent la faillite aux frais des contribuables de l’ensemble de l’Union. Quoi d’autre pourraient signifier les dettes souveraines, le Traité de stabilité fiscale, l’austérité, que le transfert dans les comptes publics, c’est à dire à la charge de tous les citoyens européens, des pertes subies par les banques qui avaient fait des investissements à risque en Grèce ou bien qui s’étaient engagées dans des opérations frauduleuses de type Bernard Madoff. Nous appelons ceci la capitalisation des bénéfices et la mutualisation des pertes, l’aspect le plus ironique étant que cette opération s’effectue en appelant à l’autorité publique. Donc l’Etat doit faire profil bas tant qu’il est question de la préservation des intérêts des milieux d’affaires, mais quand les banques ou les grandes entreprises ont besoin de son soutien, on renonce très vite à toute la phraséologie relative à la « main invisible » et aux bénéfices des marchés non-réglementés, et on appelle à l’aide cet Etat qui jusqu’alors gardait profil bas!

La vocation européenne est aussi le propre des sociétés multinationales, qui bénéficient de la suppression des taxes douanières, qui peuvent délocaliser leurs capacités de production sans aucune interdiction de la part des Etat d’où elles partent et qui, de ce fait, ont accès à une main-d’œuvre à bas prix et au marché des pays de l’Est. De plus, dans la foulée des délocalisations les organisations syndicales sont démantelées, augmentant la marge de manœuvre du patronat dans les négociations salariales. Ce qui est intéressant est le fait que l’européïsme se retrouve en grande partie parmi les employés des multinationales (connues également sous le nom de « corporatistes»), et auxquels on inculque une culture de l’individualisme matérialiste, étrangère à l’idée de solidarité commune sur laquelle ont été fondés les Etats-Nations. Cet individualisme visiblement transfrontalier, étranger à la tradition et réfractaire aux références d’identification collective, et plus précisément nationales, peut amener, et c’est ce qui se passe en Roumanie, à une forme extrême du darwinisme social, reconnaissable dans l’aversion vis-à-vis des projets sociaux et en général face à toute décision ayant une fonction de redistribution. Nous pouvons simplement rappeler les accusations ridicules selon lesquelles le Parti Social-Démocrate représenterait la « peste rouge »car il voudrait réintroduire l’impôt progressif sur le revenu, ou, plus récemment, imposer les banques avec une taxe sur la cupidité. Comme si un parti des nouveaux-riches post révolutionnaires et des barons locaux pouvait être réellement « rouge » !

Les européïstes sont bien entendu les bureaucrates travaillant à la Commission de Bruxelles, les parlementaires européens et probablement ceux qui travaillent dans leurs bureaux, dépendant de l’Union Européenne par les salaires qu’ils en reçoivent. Nous devons reconnaître qu’il existe, parmi les politiciens, certains qui croient sincèrement aux vertus des structures supra-étatiques, que l’Union offre le cadre optimal de résolution des problèmes économiques, sociaux et éventuellement écologiques inhérents à la mondialisation. Personnellement nous en connaissons un. Les européïstes sont également pour beaucoup des membres des réseaux universitaires et académiques, et en lien avec eux une série d’étudiants, en cours de maîtrise, de doctorat, qui accèdent ou espèrent accéder aux fonds européens le plus rapidement possible, pour gagner en notoriété et en influence, ou plus simplement pour améliorer leurs propres revenus. Les européïstes sont aussi, de manière tacite, beaucoup de gens pauvres, de chômeurs, qui n’espèrent pas en un avenir prestigieux, mais pour lesquels la liberté de circuler leur offre la possibilité d’aller travailler à l’étranger et de subvenir aux besoins de leurs familles. Les européïstes sont, à l’évidence, les journalistes et les commentateurs affiliés aux médias mainstream, engagés pour colporter des idées et des clichés favorables à ce système de pouvoir supranational, bénis comme il convient tant par le libéralisme globaliste que par la démocratie euro-atlantiste, et opposants à la contestation citoyenne et aux courants souverainistes afférents.

Pour que personne ne vienne nous décevoir : le projet d’Union Européenne correspond moins à des valeurs abstraites, qu’à des intérêts quantifiables, traduits de manière idéologique dans une atmosphère éthérée pétrie de grands principes. En vertu de cette prétendue altitude, assumée comme moteur psychologique auto-satisfaisant, les promoteurs médiatiques du système deviennent sujets à l’émotivité, la ferveur, le dramatisme, voire même entrent dans le registre apocalyptique de Valentin Naumescu [1], traversés par l’imminence de la lutte décisive entre l’atlantisme et « l’illibéralisme »,  ou bien ils se mettent dans le registre du pathétique qui caractérise le Professeur Universitaire Docteur Ioan Stanomir [2], terrassé comme s’il était victime d’une autocratie récurrente. Entre parenthèses, nous avons été informés que le Professeur Universitaire Docteur Ioan Stanomir s’est lui-même surpassé en matière d’élucubration conceptuelle, comparant le « régime Dragnea » non seulement avec celui de Ion I.C.Bratianu [3] ou celui de Ceausescu, mais également avec le national-socialisme. Il a à l’évidence raté provisoirement le Maoïsme, le Fidélisme, voir même le Titisme. En réfléchissant un peu il pourrait également avec celles-ci découvrir des affinités nationalistes et patrimoniales…

L’Union Européenne sert donc en priorité les intérêts de l’oligarchie financière et des technocrates qui la dirigent, à la table desquels, si nous pouvons nous permettre cette comparaison, il reste des miettes pour les autres.  Un reflet visible de l’encadrement social est constitué par le mépris manifesté par beaucoup d’européïstes devant les catégories dites populaires. Les gens simples, les fonctionnaires, les retraités sont considérés souvent comme idiots, incultes, manipulables, incapables de comprendre les raisons dites supérieures que représentent les nécessités historiques. Rappelons-nous les récriminations de ce genre adressées envers ceux qui ont voté la sortie de la Grande Bretagne de l’Union Européenne. Le double standard est évident, dans le sens où seuls ont droit à émettre ponctuellement des objections ceux qui appartiennent à cette prétendue élite, comme l’ont fait Adrian Papahagi [4], Mihai Neamtu [5] et Traian Razvan Ungureanu [6] à l’occasion du référendum sur le mariage. La contestation populaire, ses expressions politiques sont rapidement dénigrées et taxées de populisme ou bien d’attaque contre la liberté et l’Etat de droit. Le même Adrian Papahagi, par exemple, dans une émission sur le poste Trinitas TV [7], comparait le souhait de protection sociale des masses avec la nostalgie d’un « père », lui attribuant ainsi et de manière insidieuse une teinte autoritariste.

L’hypocrisie majeure repose dans le fait que la propagande européïste cache sous une apparence de démocratie des ressorts et des objectifs inégalitaires. Elle accuse les souverainistes d’être nationalistes et extrémistes, qu’ils veulent porter atteinte à l’indépendance de la justice, et elle élude les motifs profonds des souverainistes. Qu’il existe des extrémistes parmi les souverainistes, c’est possible, que Viktor Orban ait des tendances autoritaires, c’est évident. (C’était déjà le cas quelques années en arrière, quand il recevait les louanges de l’Occident. Entre temps il a dérangé les cercles financiers internationaux, quand il a voulu faire passer la Banque Centrale de Hongrie sous le contrôle du gouvernement, du coup la presse l’a catalogué comme étant un ennemi de la démocratie.) Ces aspects ne tarissent toutefois pas les mouvements souverainistes de masse, générés non pas par une tendance des masses aux idée totalitaires, mais par la dégradation des conditions de vie, notamment à l’ouest du continent, par le mécontentement croissant face au système actuel, et dans lequel les hommes simples supportent les rigueurs de l’austérité, à la grande différence des banques et des multinationales, lesquelles prospèrent. Au final, parmi les souverainistes d’aujourd’hui nous retrouvons nombre d’européïstes d’hier, déçus face à ce qu’ils en attendaient. Une réelle démocratie aurait signifié que les leaders politiques prennent en considération les problèmes de ceux qu’ils prétendent représenter, entamer un dialogue social, modifier en dernier ressort leur agenda, y compris en ce qui concerne l’organisation et la politique de l’Union Européenne. Non seulement ils ne procèdent pas ainsi, mais ils cherchent à compromettre et à délégitimer les critiques et les protestations, allantmêmejusqu’à les interdire. Que fait à l’heure actuelle le champion de l’européïsme, le président français Emmanuel Macron ? Il parlent joliment des valeurs de la civilisation européenne, de la façon dont le peuple doit faire pour prendre le contrôle des affaires publiques, et concrètement il refuse l’augmentation du SMIC et la réintroduction de l’impôt sur la fortune, en pratiquant en même temps contre les manifestants de rues la plus violente répression de ce dernier quart de siècle.

Nous ne contestons pas le fait que, aux côtés des profiteurs et des propagandistes mal intentionnés, il existe des européïstes ayant de bonnes intentions. Nous n’interdisons à personne le droit de défendre ses propres intérêts, que ce soient ceux du patronat ou des employés. Nous cherchons à clarifier comment les choses se présentent en réalité, loin de la rhétorique ou des illusions. Le souverainisme ne garantit pas intrinsèquement la démocratie, mais il contient un potentiel démocratique du fait qu’il assure de meilleures conditions de mobilisation du peuple par les partis et les syndicats. L’européïsme, au contraire, écarte le citoyen du niveau de décision et permet des interconnections plus simples entre les politiciens et le milieu d’affaires.Ces constats équivalent pratiquement à une description. Plus avant, chacun se positionnera comme il le souhaite.

L'auteur, Alexandre Mamina, est historien, directeur de recherche à l’Institut d’histoire « Nicolas Iorga » de Bucarest, Roumanie.

Traduction du roumain en français par Gérard Luçon

Cet article est paru sur le Blog de La Pensée Libre (www.lapenseelibre.org )

Notes:

[1] Maître de conférence à la Faculté d’Études Européennes de l’Université Babes-Bolyai de Cluj-Napoca, diplomate, partisan du « libéralisme globaliste ».

[2] Professeur à la Faculté des Sciences Politiques del’Université de Bucarest, politicien conservateur-libéral, auto-déclaré modéré et lucide, adversaire des surenchères révolutionnaires.

[3] Homme politique Roumain, président du Parti National Libéral, président du Conseil des Ministres pendant la Prémière Guerre Mondiale et dans les années 1920.

[4] Politicien conservateur d’inspiration chrétienne.

[5] Politicien conservateur d’inspiration chrétienne.

[6] Journaliste et euro-parlementaire, membre du groupe populaire.

[7] Chaîne de télévision de l’Église orthodoxe roumaine.


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