Egypte : l'armée fait place nette, la direction des Frères musulmans pourchassée
Le Premier ministre égyptien Hazem Beblawi a assuré mercredi, dans une allocution télévisée, que la police avait agi avec "la plus grande retenue" lors de son opération sanglante de dispersion au Caire des partisans du président Mohamed Morsi destitué par l'armée.
Les forces de l'ordre ont mis mercredi matin leurs menaces à exécution et ont commencé à disperser les partisans de Mohamed Morsi, dans une opération qui a rapidement tourné au bain de sang avec des dizaines de morts.
Justifiant l'intervention, M. Beblawi a estimé qu'"aucun Etat qui se respecte n'aurait pu tolérer" l'occupation des deux places par des milliers de manifestants depuis un mois et demi. Le chef du gouvernement intérimaire a en outre promis de poursuivre la mise en oeuvre du processus qui doit conduire à des élections début 2014. Plus tôt dans la journée, le gouvernement égyptien a demandé aux pro-Morsi d'"entendre la voix de la raison".
Près de 280 personnes ont été tuées en Egypte dans la dispersion sanglante des manifestations réclamant depuis plus d'un mois le retour du président islamiste, ainsi que dans des violences qui ont vite gagné l'ensemble du pays.
Les autorités ont indiqué que 235 civils et 43 policiers avaient péri à travers le pays.
Mais ce bilan est probablement bien plus élevé, un journaliste de l'AFP ayant décompté 124 cadavres dans une morgue de fortune sur la seule place Rabaa al-Adawiya, où le ministère de la Santé a fait état de 61 morts.
Au total, les Frères parlent de 2.200 morts et plus de 10.000 blessés.
Au cours de la dispersion des manifestants, un caméraman de la chaîne britannique Sky News a été tué par balle.
Les Frères musulmans ont de leur côté annoncé que la fille de 17 ans d'un de leurs principaux leaders, Mohammed al-Beltagui, avait également été tuée par balle.
Ce dernier ainsi qu'un autre dirigeant de la confrérie, Essam el-Erian, ont été arrêtés après la dispersion meurtrière des sit-in, a rapporté l'agence Reuters citant une source sécuritaire égyptienne. Le prédicateur radical Safouat Hegazi a également été arrêté, a ajouté le responsable sécuritaire.
Après que des centaines de pro-Morsi ont quitté Rabaa, les forces de l'ordre leur ayant ménagé un couloir d'évacuation, les autorités -qui ont repris Nahda dans la matinée- ont annoncé contrôler également cette place. Les pro-Morsi ont aussitôt appelé à de nouveaux sit-in et manifestations.
Face à ce bain de sang, le prix Nobel de la paix Mohamed ElBaradei a démissionné de son poste de vice-président, refusant "d'assumer les conséquences de décisions avec lesquelles il n'était pas d'accord".
M. ElBaradei, qui avait apporté sa caution morale à la destitution de M. Morsi le 3 juillet par les militaires, a par sa démission mis au jour les profondes divisions au sein des autorités de transition, installées par la toute-puissante armée. Il avait à plusieurs reprises plaidé pour une solution politique à la crise, répétant que les Frères musulmans devaient participer à la transition.
Dans la matinée, une autre figure morale s'était désolidarisée de l'opération meurtrière des forces de l'ordre: l'imam d'Al-Azhar, plus haute autorité de l'islam sunnite, qui avait expliqué n'avoir pas eu connaissance des méthodes que les forces de l'ordre comptaient employer.
Pour tenter d'endiguer le flot de violence qui a gagné de nombreuses villes du pays en proie à des heurts meurtriers, les autorités ont décrété l'état d'urgence et un couvre-feu dans la moitié des provinces égyptiennes, dont le Caire et Alexandrie, de 19H00 à 06H00 (17H00 GMT à 04H00 GMT). Une heure après l'entrée en vigueur de ce couvre-feu, des responsables de la sécurité ont indiqué à l'AFP que le calme était revenu dans l'ensemble du pays.
"La sécurité et l'ordre dans la nation sont en danger en raison d'actes de sabotage délibérés, d'attaques visant des bâtiments publics et privés et de la perte de vies humaines, des actes perpétrés par des groupes extrémistes", selon un communiqé de la présidence publié plus tôt.
Outre l'état d'urgence et le couvre-feu, le gouvernement a annoncé que le trafic ferroviaire en direction et depuis le Caire était interrompu pour prévenir de nouveaux rassemblements.
Après la dispersion, des heurts avaient lieu dans différents quartiers du Caire et ont fait plusieurs morts dans d'autres villes du pays. A Alexandrie, la deuxième ville du pays dans le nord, des échanges de tirs nourris à l'arme automatique avaient lieu, a constaté un journaliste de l'AFP.
Au moins quatre églises ont été également attaquées, les militants accusant les pro-Morsi de mener "une guerre de représailles" contre les coptes, dont le patriarche avait lui aussi soutenu la décision de l'armée de destituer M. Morsi, toujours retenu au secret.
Mercredi en journée, dans l'hôpital de campagne du campement de la place Rabaa, les médecins débordés délaissaient les cas désespérés sur le sol maculé de sang, pour concentrer leurs efforts sur les blessures les plus susceptibles d'être soignées. Un homme qui respirait encore mais avait reçu une balle dans la tête n'a ainsi pas pu recevoir de soins, a constaté le journaliste.
Le correspondant en Egypte de Skynews a pu pénétrer dans le campement des partisans du président déchu sur la place Rabaa al-Adawiya. Sur son compte Twitter, il a évoqué des scènes de "chaos absolu". L'hôpital de campagne est "plein de cadavres" et de blessés graves. Les femmes et les enfants se cachent dans la mosquée, a-t-il poursuivi, ajoutant avoir vu au moins deux nourrissons morts, "pas en raisons de tirs, mais à cause de la chaleur et du manque d’eau". Le journaliste a également évoqué des snipers tirant à balles réelles, rendant plus difficile encore l'accès à l'entrée de l'hôpital.
Les partisans du président déchu ont été pris par surprise par les bulldozers des forces de l'ordre car les nouvelles autorités avaient promis des "sommations" afin de laisser partir ceux qui le souhaitaient, en particulier les femmes et les enfants.
"Ce n'est pas une tentative de dispersion mais une tentative d'écraser d'une façon sanglante toute voix opposée au coup d'Etat militaire", a dénoncé Gehad el-Haddad, porte-parole des Frères musulmans, sur Twitter.
En représailles à la dispersion, des islamistes ont commencé à bloquer des grands axes du Caire en incendiant des pneus en travers des routes pour tenter de paralyser le pays.
Le gouvernement et la presse quasi-unanime accusaient les Frères musulmans d'être des "terroristes" ayant stocké des armes automatiques sur les deux places et se servant des femmes et des enfants comme "boucliers humains".
Les nouvelles autorités, s'appuyant sur une grande partie de la population qui reprochait à M. Morsi d'avoir cherché à accaparer le pouvoir sans rien faire pour l'économie en crise, entendent lancer une période de transition devant mener à des élections début 2014.
- Source : L'Orient Le Jour