Pologne, la prison secrète de la CIA
La justice polonaise soupçonne fortement les États-Unis d’avoir installé un centre de détention ultra secret en Pologne, à Stare Kiejkuty (180 kilomètres de la capitale Varsovie). À l’intérieur, des personnes suspectées d’entretenir des liens avec le terrorisme auraient été torturées entre 2002 et 2005: l’un affirme avoir été soumis à des simulacres d’exécution avec des armes de poing et une perceuse électrique ; un autre aurait connu au moins à quatre-vingt-trois reprises le waterboarding (simulation de noyade), technique déjà utilisée par les soldats américains sur les combattants vietnamiens. Un troisième homme a demandé au parquet polonais de lui octroyer un statut de victime, a indiqué son avocat. Une enquête a été ouverte.
Mais le moins que l’on puisse dire est que cette dernière traîne en longueur. Les organisations de défense des droits de l’homme craignent d’ailleurs que les retards et le peu de renseignements fournis jusqu’alors par la justice américaine rentrent dans les plans d’une tactique officielle pour éviter d’avoir à rendre compte de la collaboration entre les États-Unis et la Pologne dans le contexte de la « guerre contre le terrorisme ».
Amnesty International a exhorté le gouvernement polonais à assumer pleinement ses responsabilités. Les nombreux comptes rendus de presse, les rapports d’organisations intergouvernementales et non gouvernementales jusqu’aux entretiens qu’ont pu donner les plus hautes autorités polonaises de l’époque laissent en effet planer peu de doutes sur les accords secrets qu’ont conclus les États-Unis et d’autres pays pour arrêter illégalement des individus avant de les transférer dans des lieux pour les soumettre à des interrogatoires niant toute dignité humaine.
Les événements du 11 Septembre ont donné lieu à des mesures exceptionnelles : détentions sans limites et sans chef d’accusation sur un territoire ne relevant (théoriquement) pas de la législation étasunienne de tous les « combattants illégaux » capturés, centres d’internement clandestins (black sites), techniques d’interrogatoires assimilables à la torture, aveux obtenus sous la contrainte, etc. On connaissait jusqu’à présent les mauvais traitements subis par les prisonniers à Guantanamo, mais l’Europe n’est pas en reste.
On parle d’un centre de rétention à Stare Kiejkuty depuis 2005. Il a fallu trois ans pour que soit diligentée une action en justice. Et celle-ci n’a mystérieusement pas débuté sans encombre : remplacement des enquêteurs, transfert de juridiction entre Cracovie et Varsovie, manque de coopération des autorités étasuniennes qui ont invoqué régulièrement le « secret défense ».
Deux hommes sont actuellement sous les feux de la rampe.
Le premier est Abd al-Rahim al-Nashiri, un ressortissant saoudien considéré comme le cerveau de l’attentat d’octobre 2000 contre le destroyer USS Cole dans le port d’Aden (Yémen). Il affirme avoir été interrogé en Pologne et soumis à des « techniques renforcées d’interrogatoires », à des simulacres d’exécution et autres traitements dégradants (menaces de sodomie et de viols sur certains membres de sa famille).
Zayn Al-Abidin Muhammad Husayn, connu sous le nom d’Abou Zoubaydah, est un citoyen saoudien. Lui aussi affirme avoir fait l’objet d’un transfert en Pologne. L’ancien président George Bush a d’ailleurs admis dans ses mémoires publiées en 2010 qu’Abou Zoubaydah avait lui goûté au supplice du waterboarding pendant qu’il était dans les griffes de la CIA. Ce même président avait reconnu, quatre ans auparavant, l’existence de prisons secrètes contrôlées par la célèbre agence de renseignement étasunienne.
Walid bin Attash, un ressortissant yéménite détenu par l’armée américaine, a quant à lui demandé le statut de victime. L’annonce en a été faite récemment par Amnesty International dans un communiqué. « Les autorités polonaises doivent cesser de dissimuler la vérité derrière le voile de la « sécurité nationale. Il est grand temps que la lumière soit faite sur leur collaboration avec le programme de détention secrète de la CIA une bonne fois pour toutes », a indiqué Julia Hall, spécialiste de la question de la lutte antiterroriste et des droits humains pour l’ONG.
Dans son discours du 23 mai 2013, Barack Obama avait reconnu l’existence de pratiques illégales : « je crois que nous avons compromis nos valeurs fondamentales, en ayant eu recours à la torture lors d’interrogatoires de nos ennemis ou aux détentions contraires à l’État de droit ». Il ne tient désormais plus qu’aux autorités polonaises de faire leur mea culpa pour toutes les violations des droits humains commises avec leur complice étasunien.
- Source : Résistance politique