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Vendredi, 27 Déc. 2024

Syrie : Le Temps, censure et délation…

Auteur : Richard Labévière | Editeur : Walt | Mardi, 05 Déc. 2017 - 22h25

Le 29 novembre dernier s’est tenu au Club suisse de la presse (CSP) à Genève une conférence sous forte et visible protection policière ! Il s’agissait pourtant seulement d’expliquer ce que sont réellement les Casques blancs syriens, engagés aux côtés d’Al-Qaïda en Syrie et plus particulièrement à Alep durant la libération de la ville par l’armée gouvernementale. Vanessa Beeley, journaliste d’investigation britannique – indépendante et grande connaisseuse de la Syrie -, le professeur Marcello Ferrada de Noli, responsable de Swedish Doctors for Human Rights, ainsi que l’auteur de ces lignes au nom de prochetmoyen-orient.ch, ont tour à tour rappelé un certain nombre de faits concernant l’étrange ONG, faux nez des groupes salafo-jihadistes engagés en Syrie.

Nous avons cité, notamment le philosophe berlinois Stefan Winter – spécialiste internationalement reconnu de la presse et de la communication – qui écrivait le 17 avril 2017 dans prochetmoyen-orient.ch : « les Syrian White Helmets ( SWH) ont été créés par James LeMesurier, un expert anglais de sécurité et de renseignement, en mars 2013, à la suite d’une rencontre avec des représentants du Syrian National Council (SNC) et de la Qatari Red Crescent Society. Les Qataris procuraient un financement de lancement à hauteur de 300 000 dollars, des financements provenant par ailleurs du Japon, de Grande Bretagne et des États-Unis. Le SNC a placé deux activistes – Raed Saleh et Farouq Habib – aux côtés de LeMesurier pour diriger des SWH. LeMesurier a entraîné les premières équipes de sauvetage ».

« Ensuite, les SWH ont été financés par la US Agency for International Development (23 Mio $ / 2014-15), par le British Foreign Office (Conflict Security and Stability Fund, 24 Mio $ / 2014-15, 32 Mio $ / 2016, 24 Mio $ / 2016-17), par l’UE (4,5 Mio $ / 2015), les Pays-Bas (4,5 Mio $ / 2016), l’Allemagne (7,6 Mio $ / 2016), le Danemark (n.a. / 2016), le Japon (n.a. / 2015), le Directorate-General for European Civil Protection and Humanitarian (n.a. / 2015-16) et le Jo Cox Fund (2,4 Mio $ / 2016). En 2016, The Syria Campaign a organisé une opération de relations publiques qui était censée aider les SWH à obtenir le prix Nobel de la paix. Les sauveteurs n’ont pas atteint cet objectif mais ont reçu le prestigieux Right Livelihood Award considéré comme le prix Nobel alternatif. Puis, The Syria Campaign a lancé une nouvelle action de relations publiques, censée aider les Casques Blancs à obtenir le prix Nobel de la paix de 2017 ».

« Le cinéaste Orlando von Einsiedel a tourné un documentaire sur les Casques Blancs. La première projection a eu lieu le 18 septembre 2016 sur Netflix. Le film présente les sauveteurs, sous le slogan to save one life is to save humanity, comme des défenseurs désintéressés de l’humanité. Il est vrai que chacun et chacune qui aide les blessés et récupère les morts mérite notre reconnaissance. Mais plusieurs critiques ont affirmé que derrière l’image des Casques Blancs, se profile aussi celle des jihadistes de Jabhat al-Nosra. Quand le directeur des Casques Blancs, Raed Saleh, est arrivé à Washington en avril 2016 pour la remise du Humanitarian Award (prix d’un groupe de 180 ONGs), le Department of Homeland Security lui a refusé l’entrée des États-Unis. Le porte-parole adjoint du Département d’Etat, Mark C. Toner, a déclaré : I’m broadening my language here for specific reasons, but any individual in any group suspected of ties or relations with extremist groups or that we had believed to be a security threat to the United States, we would act accordingly ».

CENSURE SANS FRONTIERE

Voilà pour les faits précis, vérifiées et recoupées, donnant lieu à un débat riche et nourri devant une cinquantaine de personnes très intéressées. Alors pourquoi une telle présence policière ? Parce que la section suisse de Reporters sans frontière (RSF) n’a pas ménagé sa peine pour faire interdire – oui, interdire ! – la conférence. Directeur du CSP, Guy Mettan a évoqué en préambule de la conférence une situation inédite : « RSF a parfaitement le droit de ne pas souhaiter être associé à cet événement, mais les pressions pour faire annuler cette rencontre ont atteint un niveau inouï. Cette fois, ce sont des ONGs et des journalistes de pays démocratiques qui ont fait pression contre moi au travers du comité du Club et par le biais du Conseil d’État (1). Heureusement, ces démarches n’ont pas abouti ».

Invités par le CSP, des représentants des Casques blancs – pourtant présents à Genève dans les rangs de la délégation de l’opposition syrienne pour les pourparlers de l’ONU – n’ont pas daigné répondre, de même que RSF, également invité ! Déplorant « l’absence de transparence » du colloque, le président de RSF-Suisse, Gérard Tschopp a précisé que son ONG examinera « calmement » ses liens avec le CSP à la mi-décembre… Qui est ce considérable personnage ? Il a été directeur de la Radio suisse romande, mais « sans laisser une grande trace dans l’histoire du journalisme helvétique », précisent ses anciens collègues. En effet, ce sont souvent les journalistes les plus médiocres qui peuplent les instances censées représenter cette profession en inquiétante déshérence. On se souvient du président de RSF-France, Robert Ménard, aujourd’hui compagnon de route du Front national et des dirigeants actuels de RSF apportant soutien à… Omar Bongo, contre espèces sonnantes et trébuchantes (2), bien-sûr ! Du Maccarthysme du meilleur cru, de l’Orwellisation de haute tenue… On croit rêver, mais on ne rêve pas, tout cela est bien réel !

LES DEUX QUESTIONS DU « JOURNALISTE »

Présent lors de la conférence, un « journaliste » du quotidien lausannois Le Temps prend alors la parole pour se glorifier d’être le représentant de la « presse mainstream, toujours vivante !». Il pose deux questions : 1) quelle est la légitimité des intervenants ? 2) Quelle est la responsabilité personnelle de Bachar al-Assad dans les 300 000 morts de Syrie ? En dépit de toute considération morale, il était facile de répondre que le rôle des journalistes – censés faire de l’information et non pas la morale, justement – consistait à déconstruire la complexité de cette guerre civilo-globale pour en identifier les acteurs, les dynamiques et les intérêts, la compréhension de ce conflit relevant davantage de l’analyse géopolitique que de quelque posture morale et personnalisée que ce soit !

Sur la légitimité des intervenants, il était aussi très facile de retourner la question. Renseignements pris, ce « journaliste » du Temps est marié à une ressortissante américaine. C’est son droit le plus absolu, mais selon plusieurs sources indépendantes et sérieuses, il en a aussi épousé les certitudes. La Police fédérale sait, parfaitement que ce « personnage est un habitué de la Mission permanente des Etats-Unis auprès des Nations Unies à Genève et de l’ambassade américaine à Berne ». On a la légitimité qu’on peut ! Mais on comprend mieux, dès lors son insistance à mener une campagne personnelle contre le président du CSP – Guy Mettan – qui a écrit un livre magnifique sur la Russie (3). Et puis, les petites jalousies entre journalistes, surtout envers ceux qui prétendent écrire des livres font, sans doute le reste…

Toujours est-il que la campagne du Temps contre le CSP et Guy Mettan a porté ses fruits puisque la Commission des finances du Grand Conseil genevois (4) vient de recommander la suppression de la subvention annuelle de 100 000 francs suisses versée par le canton au CSP. « Nous sommes inquiets, car la subvention couvre 15% du budget annuel du CSP. Mais nous restons confiants dans la mesure où cette décision a l’allure d’un geste de mauvaise humeur passagère », réagit Denis Etienne, président du comité du CSP et rédacteur en chef adjoint de la Tribune de Genève.

Il n’est pas anodin, aussi de préciser que le petit censeur au ciseau de bois qui a mené la charge n’est autre qu’un député… socialiste !!! Auteur de l’amendement pour la suppression de la subvention au CSP, ce grand héros s’appelle Roger Deneys. Le député socialiste n’en est pas à son coup d’essai. « Le soutien de l’Etat assure surtout le salaire du directeur du CSP, une structure qui pourrait tourner avec des frais de fonctionnement plus limités. Je trouve aussi hypocrite de demander des économies à tout-va, sauf pour soi-même », ajoute-t-il sans rougir. Celui-là va certainement rester dans les annales historiques de la gauche mondiale… et de la liberté d’expression.

ENCORE BRAVO LE TEMPS !

Le 27 mai dernier à Paris, lors d’une conférence de presse dans les salons du Bristol (c’est plus chic !), les patrons du groupe Ringier (propriétaire du Temps) se félicitaient de la disparition de L’Hebdo (pas suffisamment de pub !) et – surtout – qu’on puisse enfin aujourd’hui « faire de l’information sans journaliste, grâce aux algorithmes ». Sous le regard médusé de l’auteur de ces lignes, ces cyniques prophéties ont été prononcées devant Jacques Pilet (créateur de L’Hebdo) qui, très vaillamment enchaînait sur les miracles infinis des nouvelles technologies ! Le voir et l’entendre pour le croire ! Relevons aussi, que tous ces braves gens – parfaitement francophones – n’ont pas hésité à baptiser leur quotidien en sursis LE TEMPS, ne pouvant ignorer que ce titre avait relayé la propagande de Vichy (5). Mais de nos jours, qui – dans la presse moderne – se soucie encore de l’Histoire ?

Illustration symptomatique du néo-pétainisme postmoderne, le journal lausannois Le Temps participe donc lui-aussi à la censure ordinaire des petits chiens de garde qui disent quotidiennement ce qu’il faut penser et croire avant même d’informer et de proposer à leurs lecteurs du contenu original vérifié, recoupé et analysé ! Drôle d’époque où la révolution technologique était censée favoriser la production, la vérification et le diffusion de l’information…

Ce qui est moins ordinaire est de voir le quotidien lausannois mener aujourd’hui une campagne de délation, de calomnie et d’accusation contre une institution et son directeur qui, depuis plus de vingt ans donnent, justement la parole aux acteurs, observateurs et créateurs les plus multiples et divers de notre monde mondialisé…

Désormais, la disparition à venir du Temps ne fait plus aucun doute. En temps normal, la fin de ce titre, comme de toute autre publication, aurait inquiété tout homme libre. Dans notre actualité implosée, numérisée et anormale où les médias mainstream sont devenus autant d’outils de censure, de contrôle et d’asservissement, la disparition du Temps n’inquiètera personne… Tout au contraire, le naufrage du Temps exprimera un soulagement et sonnera comme un coup de ressaisissement et de défiance vis-à-vis des puissants et des lâches.

Cette évolution lève un paradoxe lancinant et récurrent. Aujourd’hui, les belles âmes qui s’émeuvent de la disparition des journaux – dans leurs versions papier – le font, généralement en déplorant l’emprise grandissante des nouvelles technologies et la baisse des budgets publicitaires. Certainement, ce sont bien quelque unes des difficultés actuelles de la presse, mais rares sont les esprits lucides qui ont le courage – oui, le courage ! – de dire clairement que ces journaux disparaissent – les uns après les autres – parce que leur contenu est devenu parfaitement nul, vide et creux, parce que la morale et les bien-pensances ont supplanté l’information et l’analyse critique, parce que ces titres se sont transformés en autant de vecteurs de trafics d’influences, d’idéologies dominantes et de propagande. Donc, la prochaine disparition du Temps ne nous tirera pas une larme… c’est le moins que l’on puisse dire.

Dans sa préface à la Phénoménologie de l’esprit, Hegel écrit : « le temps est le concept même qui est là et se présente à la conscience comme une intuition vide… »

Bonne lecture néanmoins et à la semaine prochaine.

Notes:

(1) Conseil d’Etat : pouvoir exécutif de la république et canton de Genève.

(2) Lire le papier de Jacques-Marie Bourget : « Caution de Bongo, RSF défend le pire ». Dans International, le 14 octobre 2015.

(3) Guy Mettan : Russie-Occident, une guerre de mille ans : La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne. Editions des Syrtes, 2015.

(4) Grand conseil : pouvoir législatif de la République et canton de Genève.

(5) Après la guerre, le journal tombe sous le coup de l’ordonnance du 30 septembre 1944 sur les titres ayant paru sous l’occupation de la France par l’Allemagne. Ses locaux situés 5 rue des Italiens sont réquisitionnés et son matériel est saisi. Le Monde, qui commence à paraître en 1944, sera le bénéficiaire de cette confiscation : la typographie et le format resteront longtemps hérités du Temps.


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