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Regarder Mélenchon avec les lunettes de M. Le Sauvage

Auteur : Philippe Huysmans | Editeur : Walt | Mardi, 21 Nov. 2017 - 00h04

Se mettre dans la peau de M. Le Sauvage (1), c’est adopter le point de vue naïf d’un observateur qui serait totalement étranger à notre civilisation et en ignorerait forcément tous les codes. On n’imagine pas à quel point nous sommes conditionnés, et parfois enfermés dans des pièges dialectiques mortifères par la simple adhésion à des idées reçues dont personne ne penserait plus à vérifier le bien-fondé. Ainsi sommes-nous souvent décontenancés par les questions posées par nos enfants, à un âge où ils n’ont pas encore été formatés par ces codes.

Ce sont deux drôles d’animaux bien bêtes que l’homme et le lapin une fois qu’ils sont pris par les oreilles. (Mirabeau)

Le présent article résulte donc d’une simple question, question qu’un enfant de 5 ans aurait pu poser; et c’est également une tentative d’y apporter une réponse, quitte à ce qu’elle soit dérangeante. J’ajoute que s’agissant de personnages politiques, il vaut mieux s’en tenir aux faits qu’aux grandes déclarations des intéressés quant à leurs idéaux ou à leur probité.

Tout est parti d’un article du Point – Mélenchon juge que Macron «  a le point pour l’instant  »

Emmanuel Macron a réussi à mettre en place ses réformes libérales et « a le point pour l’instant » , a dit dimanche le chef de file de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon sur France info.

Dans lequel on comprend que la résignation serait acceptable, serait une ligne politique, un moyen d’action, que dis-je, un moyen de ne surtout pas bouger. C’est juste révoltant, quand on y songe, et de fil en aiguille, je me suis surpris à poser la question qui tue, celle que tout militant devrait se poser à son tour, à charge pour lui de tenter d’en trouver une qui le satisfasse, ce que je ne suis pas parvenu à faire.

Révolution ou anesthésie des forces vives ?

Au premier tour de l’élection présidentielle, ce sont 7 millions d’électeurs qui se sont exprimés en faveur de Jean-Luc Mélenchon. On peut raisonnablement penser que parmi eux, on ne sera pas en peine de trouver au moins 2 millions de militants/sympathisants actifs. Deux millions de personnes déterminées dans un pays comme la France, c’est plus qu’il n’en faut pour représenter une opposition de fait, capable de changer la donne, voire de renverser un gouvernement, et imposer un infléchissement significatif de la politique en faveur d’une société plus juste.

La question étant alors de savoir pourquoi l’intéressé ne fait rien, strictement rien, de ce pouvoir formidable de mobilisation ?

Eh oui, JLM sait mieux que tout autre qu’il participe à un jeu dont les règles ont été écrites par le pouvoir à son seul usage, et que les dés sont pipés, ne serait-ce qu’en raison de la concentration de tous les médias aux mains de quelques milliardaires qui font la pluie et le beau temps dans l’opinion.

Qui a dit qu’il fallait gagner les élections pour faire la révolution ? Ce serait bien une première, il me semble. Ah il aurait eu une belle tête, le « Che »  : on l’aurait probablement retrouvé comme petit médecin de campagne souffreteux quelque part dans l’Altiplano, et quant à Fidel, il serait devenu un petit avocat vivotant sur des affaires de divorces dans la banlieue de Miami. Sacré farceur !

Pour le dire autrement, on nous fait prendre des vessies pour des lanternes, et l’élection pour une fin en soi quand ce n’est qu’un moyen politique (2). Et c’est le premier devoir d’un authentique leader révolutionnaire que d’adopter tout moyen propre à servir la cause. Je ne parle pas ici de révolution façon cubaine, ou façon 1789, mais tout simplement d’étendre le domaine de la lutte sur tous les terrains où l’on peut marquer des points, de manière très concrète. Manifestations, grèves tournantes, désobéissance civile, le tout pacifiquement, dans l’esprit d’Étienne de La Boétie.

Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. Je ne vous demande pas de le pousser, de l’ébranler, mais seulement de ne plus le soutenir, et vous le verrez, tel un grand colosse dont on a brisé la base, fondre sous son poids et se rompre.

On peut aisément imaginer mille façons de renverser sans coup férir tel gouvernement qui voudrait ramener la France où elle était à l’époque de Zola, dirigée par une petite clique de banquiers à la solde des multinationales, un pouvoir toujours plus répressif, détruisant méticuleusement les conquis sociaux, paupérisant la classe des travailleurs en s’appuyant sur une élite elle-même jetable.

Imaginez un instant que deux millions de Français décideraient de ne plus payer leurs impôts, mais de les centraliser comme trésor de guerre à la façon des syndicats pour aider ceux d’entre eux qui seraient poursuivis par l’État. Oh, les juges feraient bien leur office, sans doute, il y aurait des saisies, et peut-être même quelques peines de prison pour l’exemple… Mais si ces deux millions ne cèdent rien, et s’engagent à aider ceux qui seraient dans des difficultés suite à la répression, que se passerait-il ? Game over, vous avez compris.

Révolutionnaire en carton

Je ne doute pas un seul instant des convictions et de la bonne foi de l’immense majorité des sympathisants/militants de la France Insoumise mais je pense qu’ils sont les victimes encartées d’un manipulateur en carton, qui en imposant l’immobilisme, se place en allié objectif du pouvoir. Une amusette, comme je l’avais déjà écrit à son sujet. Une opposition fantoche placée là pour empêcher l’émergence d’une gauche véritablement révolutionnaire, qui serait, par essence, incontrôlable.

Être révolutionnaire ce n’est pas débouler à l’Assemblée Nationale débraillé et sans cravate, avec un paquet de pâtes et une boîte de cassoulet; ou faire un esclandre sur un chiffon bleu. Ce n’est pas dire «  nous avons échoué  » quand le seul qui ait jamais échoué, c’est lui, et que ceci impliquerait que l’opposition devrait se complaire durant cinq ans dans l’immobilisme total, en attendant pour le Lider une énième occasion de se prendre un rateau à la présidentielle.

Je n’ai que peu de respect pour les dirigeants de droite, et aucun pour leurs idées, mais j’en ai moins encore pour les gens qui se disent de gauche tout en faisant le jeu de la droite. Il s’agit là d’une caractéristique qu’on retrouve presque systématiquement chez les trotskistes.

Notes:

[1] Est un clin d’oeil au personnage d’Aldous Huxley dans Le Meilleur des Mondes, une dystopie écrite en 1931.

[2] Notez que si le moyen de l’élection ne sert que les ambitions d’un homme, la cause, qui est la fin en soi, vise l’intérêt général. Confondre les deux est un puissant révélateur.


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