Fausses nouvelles et vraies actions
Le président Trump n’a pas inventé les fausses nouvelles. Cela dit, la place accrue qu’elles prennent dans l’espace public nécessite de revoir le fonctionnement des environnements dans lesquels circulent les informations. Afin de baliser les tendances qui font la belle vie aux faussetés, les décideurs publics et privés doivent se donner les moyens d’agir sur les services en ligne qui jouent un rôle crucial dans la dissémination de l’information.
L’expression « fausse nouvelle » renvoie à des réalités fort différentes. Il faut distinguer ce qui relève de la satire ou de la parodie de ce qui constitue de la fabrication éhontée dans le but d’induire le public à croire quelque chose.
Une première catégorie souvent visée lorsqu’on parle de fausses nouvelles est la satire ou la parodie. Sur Internet, des sites présentent des parodies inspirées de la réalité et utilisent un environnement graphique semblable à ceux des sites de médias connus pour diffuser des messages critiques sur un ton loufoque. Certains peuvent être induits en erreur. Mais c’est souvent parce qu’ils ont été peu attentifs aux détails qui auraient dû les alerter du caractère humoristique du propos.
Plus préoccupante est la fabrication de nouvelles fondées sur des faits inventés. Par exemple, à la veille de la première guerre du Golfe, une prétendue infirmière avait publiquement livré en larmes un témoignage selon lequel des soldats irakiens entrés au Koweït avaient laissé mourir des nouveau-nés sortis de force de leurs incubateurs. Il a plus tard été démontré que ce « témoin » était en réalité la fille de l’ambassadeur du Koweït à Washington et que tout cela relevait de la mise en scène en vue de tromper l’opinion publique.
La manipulation des images pose aussi des défis. Les technologies numériques mettent à la portée de pratiquement tout le monde une capacité de forger ou de modifier des images avec une telle perfection que même les observateurs avertis peuvent aisément tomber dans le panneau.
On convient que les différentes catégories de « fausses nouvelles » n’appellent pas toutes les mêmes interventions. Alors que la capacité de distinguer le propos satirique relève d’une stratégie de promotion de l’amélioration des capacités de lecture des internautes, la lutte contre la falsification volontaire passe par des régulations plus conséquentes.
Bien sûr, on ne parviendra jamais à supprimer le mensonge et le sophisme : ces travers semblent inhérents à la nature humaine. Mais pour limiter les dégâts engendrés par les faussetés, il importe de comprendre et d’agir sur la régulation des flux d’information dans l’espace des réseaux.
Les processus algorithmiques
L’information circule de plus en plus sur les plateformes Internet. Elle se répand par viralité au moyen des partages qu’en font les usagers et les acteurs dominants du réseau. Des algorithmes traitant des masses d’informations sont utilisés afin de déterminer celles qui seront présentées aux différents individus. Ces outils numériques fonctionnent en pleine opacité. Protégés par le secret commercial, ces algorithmes sont aux mains d’entreprises privées qui les utilisent principalement pour créer de la valeur, notamment aux fins de vendre l’attention des internautes aux publicitaires.
Les processus algorithmiques marquent un changement majeur dans les modes de circulation des informations relatives aux affaires qui concernent la collectivité. L’information ne circule plus en fonction de l’importance qu’elle peut avoir aux yeux d’éditeurs qui la vérifient et la hiérarchisent en fonction de ce qu’ils conçoivent comme correspondant à l’intérêt public.
Les processus algorithmiques induisent plutôt une circulation de l’information en fonction de ce qui attire l’attention, de ce qui conforte chacun des individus. La hiérarchisation de l’information n’est plus aux mains d’intermédiaires comme les journalistes et les éditeurs de médias qui sont appelés à rendre compte de leurs décisions. L’information est de plus en plus aiguillée en fonction des préférences individuelles, calculées au moyen des processus algorithmiques et des masses de données générées par les activités connectées. Ces processus qui utilisent pourtant des ressources collectives comme les données massives sont pour la plupart fondés sur des critères tenus secrets.
Envisagé ainsi, le phénomène des fausses nouvelles requiert que les autorités publiques et l’ensemble des institutions démocratiques insistent pour imposer des obligations de transparence aux différents acteurs faisant usage de processus algorithmiques. Lorsque ces processus jouent un rôle aussi crucial dans la circulation de l’information, il devient irresponsable de les exempter des obligations de transparence qui devraient incomber à tous dans une société démocratique. Lutter contre le fléau des fausses nouvelles requiert des régulations garantissant l’imputabilité des algorithmes.
- Source : Le Devoir (Canada)