L’aube d’un futur orwellien
Exclusif : les médias traditionnels des États-Unis continuent de diffuser leurs propres « fausses nouvelles », comme le mensonge à propos d’un « consensus » de la communauté du renseignement sur le « piratage » par la Russie, alors que les algorithmes [de Google] commencent à marginaliser la dissidence.
Il semble que pour The New York Times un bon gros mensonge ne puisse pas mentir. Même après avoir été poussé à publier une correction embarrassante rétractant sa fausse affirmation selon laquelle il y avait un consensus parmi les 17 agences de renseignement des États-Unis pour dire que la Russie a piraté les courriels du parti démocrate et les a rendus publics pour aider Donald Trump à vaincre Hillary Clinton, le journal suggère exactement cela [qu’un bon gros mensonge ne peut pas mentir].
La stratégie actuelle du New York Times est de dire que la déclaration sur le piratage russe est un jugement « consensuel » de la communauté du renseignement des États-Unis sans citer le nombre d’agences dans le consensus. Par exemple, vendredi, le journal a publié un article de Matt Flegenheimer sur le vote du Sénat des États-Unis visant à empêcher le président Trump de lever les sanctions contre la Russie et a produit un énoncé trompeur :
« L’administration Trump s’est opposée aux sanctions contre la Russie, arguant qu’il a besoin de souplesse pour poursuivre une diplomatie plus collaborative avec un pays qui, selon un consensus des Agence de renseignement américaines, a interféré dans le cours de l’élection présidentielle de l’année dernière ».
Donc, au lieu de dire la vérité − à savoir que « l’évaluation de la communauté du renseignement » a été le travail d’un petit groupe d’analystes « sélectionnés » dans trois [sur 17, NdT] des organismes sous l’œil vigilant du directeur de la CIA, John Brennan et sous la surveillance du directeur national du renseignement, à l’époque James Clapper, le New York Times choisit de donner à ses lecteurs l’impression trompeuse qu’il y avait un « consensus » au sein de la communauté du renseignement des États-Unis.
En d’autres termes, à moins qu’un lecteur du journal ne connaisse la vérité en l’ayant lue dans un média alternatif, tel que Consortiumnews.com, il continuerait à croire que les 17 agences de renseignement étaient d’accord sur ce point fondamental dans l’affaire du Russiagate.
Marginaliser la dissidence
Et la poursuite de cette tromperie délibérée intervient au moment où le New York Times et d’autres médias importants font progresser leurs plans pour mettre en place sur Internet des algorithmes pour rechercher et marginaliser ce qu’ils considèrent comme des fausses nouvelles, y compris des articles qui remettent en question le pouvoir, dont disposent des médias traditionnels, de contrôler les narratifs dominants.
Un rapport du site World Socialist Web a révélé que « durant les trois derniers mois, depuis que Google, le monopoliste d’Internet, a annoncé son intention de bloquer aux utilisateurs l’accès aux ‘fausses nouvelles’, le classement mondial du trafic d’une large gamme d’organisations de gauche, progressistes, anti-guerre, ainsi que les organisations de défense des droits démocratiques ont considérablement diminué ».
La stratégie de Google consiste à dégrader les résultats de recherche, pour les sites Web ciblés, dans le but – supposé – de limiter l’accès des lecteurs à des informations de mauvaise qualité, mais les cibles incluent certains des sites d’actualité alternatifs de la plus haute qualité sur Internet, tels que, selon le rapport, Consortiumnews.com.
Google sponsorise la First Draft Coalition, qui a été créée pour contrer les présumées fausses nouvelles et se compose des organes de presse traditionnels, y compris le New York Times et le Washington Post, ainsi que des sites Web approuvés par l’establishment, tels que Bellingcat, en association étroite avec le Conseil Atlantique, russophobe et pro-OTAN.
Cette création d’un ministère moderne de la Vérité s’est produite dans le contexte de l’hystérie des médias traditionnels à propos des fausses nouvelles et de la propagande russedans le sillage de l’élection de Donald Trump.
Lors du dernier Thanksgiving, en 2016, le Washington Post a publié un article à la une citant les accusations d’un site Web anonyme, PropOrNot, qui aurait identifié 200 sites Web – y compris des piliers d’Internet tels que Truthdig, Counterpunchet Consortiumnews – en tant que diffuseurs de la « propagande russe ».
Apparemment, la règle de PropOrNot était de salir tous les médias d’actualités qui mettaient en cause le récit officiel du Département d’État sur la crise en Ukraine ou dans n’importe quel autre point chaud de la planète, mais le Washington Post n’avançait aucune donnée factuelle sur ce que ces sites Web avaient fait pour trouver leur place sur une liste noire de type maccarthyste.
Un avenir orwellien
Au début de mai 2017, le New York Times a claironné un article laudateur sur la façon dont les algorithmes sophistiqués pouvaient purger l’Internet des soi-disant fausses nouvelles – ce que les médias traditionnels estiment être une « désinformation ».
Comme je l’ai écrit à l’époque, « vous n’avez pas besoin de beaucoup d’imagination pour voir comment cette combinaison de pensée collective et d’intelligence artificielle pourrait créer un avenir orwellien dans lequel un seul côté d’une histoire est raconté et l’autre disparaît tout simplement de la vue ».
Après la parution de mon article, j’ai reçu un appel d’un journaliste de la NPR [Radio Publique Nationale] qui planifiait un programme sur cette nouvelle technologie et discutait avec moi de mes préoccupations. Cependant, après avoir offert une explication détaillée sur la façon dont je voyais cela comme un cas classique dans lequel la cure était bien pire que la maladie, je n’ai pas été invité à participer au programme NPR.
En outre, même dans le nombre relativement restreint de fausses nouvelles produites de manière intentionnelle, aucune ne semble remonter jusqu’à la Russie malgré les efforts déployés par les médias américains traditionnels pour établir la connexion. Lorsque ces médias ont retrouvé une source de fausses nouvelles, il s’est avéré qu’il s’agissait d’un jeune entrepreneur essayant de gagner de l’argent en récoltant beaucoup de clics sur internet.
Par exemple, le 26 novembre 2016, alors que l’hystérie russophobe reprenait du poil de la bête dans les semaines suivant l’élection de Trump, le New York Times a publié un article relativement responsable révélant qu’un site Web de fausses nouvelles n’était pas lié à la Russie, mais plutôt à un effort lucratif d’un étudiant géorgien au chômage qui utilisait un site Web à Tbilissi pour gagner de l’argent en promouvant des histoires pro-Trump.
Le propriétaire du site Web, Beqa Latsabidse, âgé de 22 ans, a déclaré qu’il avait d’abord essayé de propager des histoires favorables à Hillary Clinton, mais cela s’est révélé non rentable, donc il a changé son fusil d’épaule pour publier des articles anti-Clinton et pro-Trump, qu’ils soient vrais ou faux.
Bien que les créateurs de fausses nouvelles intentionnelles et de théories de la conspirationsans fondement méritent une condamnation sincère, l’idée de donner au New York Timeset à un groupe de médias d’actualité approuvés par Google, le pouvoir d’empêcher l’accès public à une information qui conteste ces groupes de réflexion stupides est une perspective glaciale et dangereuse.
Doutes sur le Russiagate
Même si le gouvernement russe a piraté les e-mails du parti démocrate et les a fait fuiter vers WikiLeaks – une accusation que nient le Kremlin et WikiLeaks – personne ne prétend que ces courriels sont faux. En effet, toutes les preuves montrent qu’il s’agissait de courriels réels valant la peine d’être divulgués.
Couple marchant le long du Kremlin, 7 Décembre 2016. (Photo de Robert Parry)
Pendant ce temps, les accusations du gouvernement américain contre le réseau russe, Russia Today, ont porté davantage sur la couverture de sujets qui peuvent donner une mauvaise image de l’establishment – tels que les protestations d’Occupy Wall Street, la fracturation du gaz naturel et les opinions des petits candidats à la présidentielle – que de publier des histoires fausses.
Dans certains cas, les fonctionnaires du département d’État ont même fait leurs propres fausses allégations en attaquant Russia Today.
La frénésie actuelle du Russiagate est un exemple particulièrement effrayant de la façon dont les conclusions gouvernementales douteuses et les mensonges des médias traditionnels peuvent mener le monde à la destruction nucléaire. La certitude des médias traditionnels quant à la culpabilité de la Russie dans la divulgation des courriels du parti démocrate est un cas d’école, même si de nombreux experts bien informés ont exprimé de sérieux doutes – bien que presque toujours dans des sites de médias alternatifs.
Voyez, par exemple, l’avertissement de l’ancien inspecteur US des WMD [armes de destruction massive], Scott Ritter, concernant les leçons ignorées de la débâcle en Irak ou l’opinion des anciens vétérans du renseignement US qui ont remis en question l’exactitude du rapport du 6 janvier sur le piratage russe.
Peut-être que ces préoccupations sont mal venues et que le rapport du 6 janvier est correct, mais la poursuite de la vérité ne devrait pas simplement consister à récolter l’opinion de certains analystes triés sur le volet travaillant pour des personnes nommées par les politiciens, comme Brennan et Clapper. La vérité devrait être soumise à des tests rigoureux face à des points de vue alternatifs et à des arguments contradictoires.
Cela a été un principe fondamental depuis l’époque des Lumières, la vérité ressort mieux des défis consistants lancés sur le marché des idées. L’inversion de cette ancienne vérité – en utilisant aujourd’hui des algorithmes pour faire respecter le récit officiel – est une menace beaucoup plus grande pour un électorat informé, et pour la santé de la démocratie, que le nombre relativement faible de fois où un jeune homme raconte une histoire fausse pour augmenter son trafic Web.
Et si ce nouveau processus de marginalisation des opinions dissidentes est couronné de succès, qui tiendra le New York Times pour responsable lorsqu’il mentira intentionnellement à ses lecteurs avec un langage trompeur au sujet du consensus de la communauté du renseignement américain concernant la Russie et les e-mails démocrates ?
L'auteur, Robert Parry, est journaliste d’investigation. Il a dévoilé de nombreuses histoires au sujet de l’Irangate pour The Associated Press et Newsweek dans les années 1980.
Traduit par jj, relu par Catherine pour le Saker Francophone
- Source : Consortiumnews (Etats-Unis)