L’Allemagne recadrée par la Russie, la Grèce en faillite
Est-il possible d’endiguer les ambitions impérialistes de l’Allemagne? Poutine, à l’occasion du sommet de Riga, vient de le prouver grâce au seul langage que la Prusse comprend: la menace du recours à la force…
L’Allemagne et le sommet de Riga
Jeudi et vendredi se tenait à Riga un sommet européen consacré au « Partenariat Oriental », c’est-à-dire à une coopération renforcée avec la Moldavie, la Biélorussie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, l’Arménie et l’Ukraine, tous anciens pays membres de l’URSS. Le fait que ce sommet se tienne à Riga ne doit rien au hasard. Il aurait en principe dû se tenir en novembre prochain à Luxembourg, puisque le calendrier normal de sa tenue coïncidait avec la future présidence luxembourgeoise. Mais le pays qui préside actuellement l’Union, la Lettonie, tenait absolument à l’organiser sur son sol.
Cette décision ne manquait pas d’ironie. La Lettonie est aussi un ancien pays membre de l’URSS, conquis par Staline, en son temps, ce qui explique largement l’intérêt de cet Etat membre pour un partenariat avec des satellites de la Russie. Mais les Français ignorent trop souvent que la langue administrative de la Lettonie jusqu’en 1940 était l’allemand, même si, au 18è siècle, la Lettonie fut rattachée formellement à l’empire russe.
Ces petits détails sont importants là-bas, et expliquent pourquoi Angela Merkel a forcé la main de ses alliés pour admettre la Lettonie dans la zone euro au 1er janvier, alors que la crise économique y est cataclysmique. Simplement… l’Allemagne est toujours plus tendre avec ses anciennes possessions qu’avec ces incapables du sud de l’Europe.
Bref, le Partenariat Oriental fut conçu en 2009 comme une manoeuvre d’encerclement de la Russie qui n’est pas sans rappeler la logique militaire allemande de 1942, dont l’un des objectifs fut la conquête des champs de pétrole du sud Caucase. La finalité du processus (de 2009, pas de 1942…) consistait à préparer l’entrée de ces pays dans l’Union: d’ailleurs il était convenu que la Moldavie demande jeudi son adhésion à l’Union Européenne.
La Russie prévient l’Allemagne
Poutine n’y est pas allé par quatre chemins sur le sujet: il a fait miroiter un scénario à l’ukrainienne à tous ceux qui n’auraient pas encore compris la leçon. Il a donc confié la mission d’explication à son ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov, qui a pris la peine d’exposer clairement la doctrine russe sur le sujet:
Nous reconnaissons le droit de nos voisins, autrefois Républiques soviétiques, mais aujourd’hui Etats souverains, à pratiquer une politique extérieure plurivectorielle », a déclaré le ministre intervenant au Conseil de la Fédération (chambre haute du parlement russe). (…)
« Aussi comprenons-nous bien qu’ils (nos voisins, ndlr) peuvent entretenir des liens avec d’autres acteurs en Europe, en Amérique ou ailleurs. La seule chose que nous réclamons, c’est la transparence de ces processus, qu’ils n’aient aucun dessein caché ni schémas dissimulés, qu’ils tiennent pleinement compte des intérêts nationaux légitimes de la Russie que nous avons exposés ouvertement et honnêtement. Autrement dit, nous sommes prêts à harmoniser tous ces processus et à rechercher un équilibre des intérêts (…).
Du coup, les Moldaves ont prudemment battu en retraite et renoncé à leur demande d’adhésion.
L’Allemagne multiplie les gestes apaisants
Angela Merkel s’est sentie obligée d’arrondir les angles et de rétropédaler discrètement. Si elle a expliqué qu’elle ne voulait pas de Poutine sur le sol bavarois lors du prochain G7, en revanche… elle s’est employée à rassurer le nouveau tsar russe.
Tant que la Russie ne se conforme pas au droit international et n’agit pas selon ces principes, un retour au format du G8 n’est pas imaginable, a souligné Mme Merkel, dont le pays accueille début juin le G7 en Bavière (sud), sans la Russie exclue l’an dernier après l’annexion de la Crimée.
Par ailleurs, le Partenariat oriental n’est pas un instrument de la politique d’élargissement de l’Union Européenne, a-t-elle affirmé, avant le début à Riga dans la soirée d’un sommet entre 28 pays de l’UE et six pays d’ex-URSS visant à leur rapprochement.
Nous ne devons pas éveiller de fausses attentes que plus tard nous ne serons pas en mesure d’honorer, a-t-elle déclaré. Nous devons le dire de façon claire à nos partenaires de l’Est, et je le fais d’ailleurs, a-t-elle ajouté, évoquant des partenariats sur mesure avec différents pays de l’ancien bloc communiste, en fonction de leurs particularités et de leurs souhaits.
Le partenariat oriental n’est dirigé contre personne, notamment pas contre la Russie. Je vais le dire et le répéter encore et encore : il ne s’agit pas de choisir entre d’un côté un rapprochement avec l’UE et de l’autre le souhait de la Russie d’un partenariat plus étroit avec ces pays.
Du coup, le sommet de Riga, plié en quelques heures, n’a débouché que sur un rappel des actions déjà engagées. Un sommet pour rien, au fond.
L’Ukraine fera faillite avant la Grèce, et l’Europe paie sans rien dire
Pendant ce temps, le deux poids deux mesures continue sous l’impulsion d’une Allemagne tout à fait d’accord pour plumer les pigeons européens lorsqu’il s’agit de protéger son Lebensraum. L’Union Européenne continue à faire pleuvoir les milliards sur un pays dont l’insolvabilité ne fait aucun doute pour personne, et qui ne pratique pas la moindre réforme structurelle: l’Ukraine.
«Ce système d’Etat, opaque et corrompu, est friand de fonds internationaux qui se noient dans le budget», explique Oleksandr Borovik, un ancien de Microsoft qui a travaillé comme vice-ministre de l’Economie pendant quelques mois, avant d’être remercié. «Les aides internationales servent à colmater les brèches, sans réformes structurelles. En alimentant le budget, le système des subventions publiques perdure aussi – celles-ci vont à des entreprises archaïques, non rentables, qui ne survivent que pour enrichir certains oligarques.»
On lira sur tous ces sujets l’excellent article du New York Times, qui permet de mesurer l’ampleur du mirage ukrainien.
L’Allemagne se venge sur la Grèce
Face à tous ces déboires, l’Allemagne a retrouvé tous les réflexes prussiens qui ont fait la gloire de l’armée allemande en 1943 et 1944: elle se venge sur les civils. Comme il fallait plier devant les Russes et avaler les mensonges ukrainiens, une victime était toute désignée pour payer: Alexis Tsipras, qui avait imprudemment sollicité un rendez-vous avec Angela Merkel et l’inutile François Hollande.
Jeudi soir, François Hollande et Angela Merkel se sont entretenus avec le premier ministre grec Alexis Tsipras. Plein d’espoir sur l’obtention d’une « solution politique », ce dernier s’est vu renvoyé dans ses buts, les deux dirigeants lui demandant de négocier un accord avec le FMI, la BCE et la Commission européenne. « Il reste beaucoup à faire », a prévenu la chancelière, « plus le programme de réformes serait complet et solide, plus la Grèce aura des chances de soutien à long terme », a fait écho François Hollande.
La stratégie de l’Allemagne consiste bien entendu à humilier la Grèce en la forçant à renoncer à toutes ses prétentions, sinon… on la sort de la zone euro. Il est assez curieux de voir François Hollande se prêter à ce petit jeu.
Tsipras n’aura bientôt plus que ses larmes pour pleurer:
Le gouvernement grec ne « répondra pas à des demandes irrationnelles », « n’acceptera pas de directives humiliantes » et insistera sur « les lignes à ne pas franchir », a promis le Premier ministre.
« Nous ne discuterons pas d’une dérégulation majeure du système salarial. Nous n’accepterons pas une nouvelle réduction des retraites », a-t-il détaillé, notamment à destination des membres de Syriza qui réclament une application stricte des promesses électorales du parti.
Le scénario alternatif à la faillite grecque
La presse européenne se fait l’écho de façon insistante d’un autre plan possible pour la Grèce, consistant à ne pas trancher, et à maintenir les mesures d’urgence jusqu’à l’automne (au moins). Ce plan, rapporté par Romaric Godin, prolongerait le plan d’aide d’urgence à la Grèce, permettant ainsi le versement de 4 milliards d’euros (somme insuffisante pour rembourser les créanciers d’ici à septembre, toutefois…). En contrepartie, la Grèce mènerait un plan de 5 milliards d’économie, avec une réforme de la TVA et un maintien de l’impôt foncier (l’Enfia, sur les résidences principales) que Syriza avait promis de supprimer.
En contrepartie, la Grèce ne pratiquerait pas de réforme des pensions ni du marché du travail. Ce scénario ne semble toutefois pas émaner du camp prussien. Et c’est bien ce dernier qui pèse.
L’Allemagne et la France préparent le « Brexit »
Puisqu’on en est au grand nettoyage, l’Allemagne et la France ont décidé (il serait plus exact de dire que l’Allemagne a décidé et que la France suit) de renvoyer David Cameron dans ses buts. Cameron est arrivé à Riga avec des revendications sur le fonctionnement de l’Union qui n’étaient pas inscrites à l’ordre du jour… et qui n’ont donc pas été traitées.
Entre autres, David Cameron veut revenir sur la libre circulation des personnes au sein de l’Union et obtenir le droit de limiter l’accès au système de protection sociale britannique pour les ressortissants de l’UE qui s’installent au Royaume-Uni. Le marché est clair: soit il obtient ce qu’il veut, soit il organise un referendum sur la sortie de l’Union.
Ce chantage a évidemment perdu de sa force à la simple lecture de la presse où les investisseurs britanniques, clés de la prospérité du pays, se mettent publiquement debout sur le frein en comptant leurs pertes dans l’hypothèse où ce scénario se réaliserait. Merkel n’a pas manqué de le laisser entendre, et a laissé François Hollande se montrer loquace sur ce sujet où il s’agit de jouer aux autoritaires:
De tels entretiens [sur une réforme de l’Union], « il n’y en a pas eu, c’est une évidence, en réunion plénière, mais même dans des apartés, il n’y a eu aucune discussion », a déclaré M. Hollande aux journalistes, « et d’ailleurs, ce n’était pas le lieu et ce n’était pas le moment ».
« S’il y a des discussions, elles auront lieu d’abord à un niveau bilatéral puisque je recevrai David Cameron le 28, la chancelière le recevra le 29″, a-t-il poursuivi, prédisant que d’autres discussions auront sûrement lieu avec la Commission européenne « dans les prochaines semaines ».
Quant au référendum sur une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l’UE, « l’Europe n’est pas intéressée par un vote. S’il a lieu, il faudra y répondre mais là, pour l’instant, je ne suis pas saisi d’une proposition particulière de la Grande-Bretagne », a déclaré le président français.
« Ça viendra. J’imagine que David Cameron va venir avec un certain nombre de propositions », a-t-il ajouté.
La BCE inquiète les marchés
Ultime mauvais signe pour l’Europe: la Banque Centrale Européenne a des relations tendues avec les Etats membres et les marchés financiers. La politique d’assouplissement quantitatif et de rachat d’obligations souveraines sur les marchés fabrique en effet très consciencieusement et très rapidement une bulle spéculative dont le premier effet est de favoriser la volatilité des marchés.
Pour Mario Draghi, ce n’est manifestement pas le problème majeur. Selon lui, l’amélioration économique rapide due à sa politique monétaire pose un problème plus grave: les Etats membres les plus endettés ou les plus déficitaires repoussent les réformes structurelles indispensables grâce à l’argent facile qui circule. Les Français ne pourront guère le nier.
Pour les marchés, l’extrême volatilité met en danger l’ensemble du système. La polémique qui a suivi les propos tenus par Benoît Coeuré, membre du directoire de la BCE, devant quelques happy few, sur la politique à venir de la BCE l’a montré: les « initiés » procèdent à des ventes ou des achats massifs à la moindre modification qui intervient sur le marché.
Et c’est probablement la principale leçon à retenir de cette semaine: l’Europe est entrée dans un cycle d’hyper-sensibilité où tout est prétexte à l’excès…
- Source : Éric Verhaeghe