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Poutine / Merkel : fin du mythe des bonnes relations germano-russes

Auteur : Karine Bechet-Golovko | Editeur : Walt | Mercredi, 13 Mai 2015 - 09h35

Le discours sur l'Ukraine et la Crimée se radicalise et empoisonne les relations entre les pays de l'Union européenne et la Russie. C'est d'un autre côté le but recherché. Et le prix à payer. La dernière rencontre entre V. Poutine et A. Merkel est en ce sens révélatrice de l'évolution du discours. Et de l'impasse pour l'Europe.

Les mots ont un pouvoir créateur. Selon le contexte, les termes employés vont revêtir un sens différents et auront pour effet de créer une réalité particulière. Les mots deviennent de plus en plus fort, lorsqu'ils doivent créer une réalité qui s'écarte de plus en plus des faits. C'est exactement ce qui se passe dans les discours politiques autour de l'Ukraine aujourd'hui.

P. Poroshenko, Président de l'Ukraine, devant exécuter les accords de Minsk prévoyant un plan de route pour une résolution politique du conflit en Ukraine, remercie le ministre des affaires étrangères canadien pour l'aide militaire que lui apporte son pays, tout en l'assurant de l'exécution des accords de Minsk. Il faut créer le discours de l'exécution par l'Ukraine de ces accords, le répéter en préambule et ensuite parler de ce qui intéresse réellement. Ce mythe est fondamental pour le discours des "partenaires" occidentaux. Les accords sont ainsi sauf et seuls les "méchants séparatistes" les violent. Et pendant ce temps-là, les observateurs de l'OSCE tombent sous le feu de l'armée ukrainienne dans le Donbass, près de Lugansk. Pour explication, le soldat ukrainien responsable explique qu'il ne savait pas qu'il y avait des observateurs de l'OSCE à ce moment-là à cet endroit. Effectivement ça change tout, car les différentes réalités s'entrecroisent alors et il est difficile de masquer les faits.

Pour que le mécanisme fonctionne, il faut que la "réalité" nouvellement créée reste dans son espace et ne croise pas l'espace du fait. Alors, chacun peut prétendre à la création de son monde. Autre exemple. Le jour de l'anniversaire du référendum reconnaissant l'indépendance de Donetsk et Lugansk, Pouchiline affirme que les républiques de Donetsk et Lugansk seraient d'accord s'il y avait plus d'indépendance dans le cadre ukrainien. La déclaration faite justement le jour anniversaire permet également de garder un discours posant la résolution politique du conflit comme faisable, malgré la radicalité des faits posés par le référendum. Théoriquement possible. Si le régime de Kiev change d'idéologie (pour ne plus vouloir détruire les russes ethniques), accepte la fédéralisation (quand Poroshenko parle d'Etat unitaire). Autrement dit, c'est impossible. Mais le discours est maintenu. Il permet de garder une porte ouverte, si/quand le régime tombe/ra. Il permet également de maintenir les apparences pendant que le processus d'étatisation des petites républiques est en marche. Là c'est le monde des faits.

Tout cela atteint son apothéose avec la conférence de presse commune de V. Poutine et A. Merkel à Moscou lors de la visite de la chancelière le 10 mai. Pas le 9, les Etats Unis étaient contre la visite des chefs d'Etat européen en Russie pour célébrer la victoire du monde libre contre le nazisme et le fascisme. Question de symbole, donc de pouvoir, Moscou ne peut être le lieu de cette célébration. Mais il faut garder les apparences, donc Merkel vient le 10, regrette les atrocités nazies, pose des fleurs, bref fait tout ce qu'il faut ... mais ni quand il le faut ni comme il le faut. Donc l'effet est radicalement différent et le message n'est pas celui de l'unité face à l'horreur.

V. Poutine commence par souligner le fait que les relations germano-russes ne vivent pas leurs meilleures heures, en raison des différences d'interprétation de la situation en Ukraine. Il insiste sur la chute du volume d'échange commerciaux, chute de 6,5%, alors que le business est contre les barrières politiques arbitrairement mises en place par l'Union européenne. Et chose surprenante, alors que la Russie avait reconnu les élections présidentielles ukrainiennes, peut être un peu vite, le président V. Poutine insiste et recoure expressément à l'expression "coup d'Etat inconstitutionnel" à Kiev, "coup d'Etat" qui est interprété différemment selon les pays. L'ambiance est posée. Et A. Merkel continue dans le même sens parlant de "l'annexion de la Crimée par la Russie" en face de V. Poutine, ce qui est très fort et à la limite de l'insulte en diplomatie. Bref, le divorce est consommé. Le mythe des bonnes relations germano-russes malgré le contexte géopolitique a pris fin. Une nouvelle réalité est née, plus proche des faits.

L'Europe, l'Allemagne en tête prend fait et cause pour le camp américain. La Russie en prend acte et démontre ne pas vouloir modifier sa politique européenne pour autant, actant dans le même temps son virage asiatique. La nouvelle carte est officiellement posée. Les jeux sont faits. Le 12 mai, J. Kerry vient en Russie. A l'ordre du jour beaucoup de questions, notamment l'Ukraine. Mais pas les sanctions. Ce qu'affirme le porte-parole du Kremlin. Traduction : la Russie ne va pas vendre sa position, elle n'est pas là pour s'abaisser à négocier un "pardon".


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