Les présidents tunisien et français utilisent les attentats terroristes pour renforcer leurs liens militaires
Le président français François Hollande a participé à une marche contre le terrorisme organisée le 29 mars par son homologue tunisien, Beji Caid Essebsi, et inspirée de la marche «Nous sommes Charlie» qui avait eu lieu à Paris le 11 janvier. C’était en réaction à un attentat djihadiste sur le musée Bardo au centre de Tunis le 18 mars, qui a fait 22 morts et plus de 50 blessés, surtout des touristes étrangers.
Essebsi a retourné le compliment avec une visite d’Etat de deux jours en France les 7 et 8 avril. Suite aux soulèvements révolutionnaires qui ont renversé les dictatures soutenues par l’Occident en Tunisie et en Egypte en 2011, les gouvernements français et tunisien utilisent les attentats islamistes pour justifier l’augmentation des pouvoirs d’Etat policier, de la surveillance sans discernement et de l’utilisation de l’armée au pays et à l’étranger. Ceci est conçu avant tout pour intimider et réprimer l’opposition dans la classe ouvrière contre la guerre et l’austérité exigée par les banques et le Fonds monétaire international (FMI).
À Paris, Essebsi a déclaré, «La France est notre premier partenaire…. nous sommes ouverts à toute sorte de coopération… économique, politique sociale et même de sécurité», tandis que Hollande a promis «une coopération exemplaire» sur ces questions.
Déjà le 20 mars, deux jours après l’assaut du Bardo, l’impérialisme français était de retour en affaires en approvisionnant les forces répressives du régime tunisien. Hollande a dépêché son ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, à Tunis, où il a engagé la France à envoyer des policiers pour aider aux enquêtes sur les attaquants du Bardo et à fournir des conseillers et des formateurs pour la police des frontières et la sécurité de l’aéroport.
Le chef de diplomatie tunisienne, Taïbe Baccouche, a déclaré que les négociations pour les livraisons d’armes sont en cours avec la France et les Emirats arabes unis (EAU) pour bloquer les incursions djihadistes en provenance de la Libye et de l’Algérie. La France vient de signer un accord pour vendre 36 avions de combat Rafale aux Emirats arabes unis, quelques semaines seulement après avoir vendu 24 Rafales à la dictature meurtrière d’Abdel Fattah al-Sissi en Egypte.
Les intérêts impérialistes français en Tunisie, une ancienne colonie française, ont été sidérés par la révolte de masse de la classe ouvrière et de la jeunesse qui a forcé Zine el-Abidine Ben Ali à fuir en Arabie saoudite le 14 janvier 2011. Ceci a suscité des protestations de masse dans le monde arabe, surtout le soulèvement révolutionnaire dans la classe ouvrière qui a renversé le dictateur militaire égyptien Hosni Moubarak quelques semaines plus tard. Le Monde a récemment salué la transition de la dictature de Ben Ali à la coalition parlementaire actuelle du parti Nidaa Tounes d’Essebsi avec Ennahda islamiste comme une «transition politique modèle». En fait, la transition a été une lutte par les élites dirigeantes de priver la jeunesse et les travailleurs tunisiens des fruits de l’insurrection, et de rétablir l’appareil d’Etat policier redouté de Ben Ali. Les meurtres du Bardo sont exploités comme prétexte pour faire avancer ce processus.
Fondée en 2012 comme adversaire laïc d’Ennahda, Nidaa Tounes a uni les partisans de l’ancien régime de Ben Ali et d’autres forces procapitalistes et petites-bourgeoises critiques du gouvernement Ennahda de 2011 à 2014.
Ennahda a mené des politiques économiques réactionnaires et s’est avéré très impopulaire dans la classe ouvrière. Il a également peu fait pour découvrir l’identité des assassins des dirigeants du Front populaire Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi en février et juillet 2013, respectivement.
En termes de leur soutien à l’impérialisme et du capital financier et de leur hostilité envers la classe ouvrière, Ennahda et Nidaa Tounes sont impossibles à distinguer. Lors des élections législatives de cette année, Nidaa Tounes a attaqué l’islamisme d’Ennahda, ce qui lui a permis de remporter le plus grand nombre de sièges, mais pas la majorité. Essebsi a ensuite choisi de former un gouvernement de coalition avec Ennahda.
Zied Laâdhari, un porte-parole d’Ennahda, a été nommé ministre, tandis que trois autres députés d’Ennahda sont devenus secrétaires d’Etat.
Hollande et le Parti socialiste (PS) au pouvoir sont désireux de stabiliser en quelque sorte le régime bourgeois en Tunisie à travers une certaine coalition des forces néocoloniales favorables à l’impérialisme français. Ayant côtoyé longtemps le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) de Ben Ali, parti qui était membre de la soi-disant Internationale socialiste comme le PS, ils étaient heureux d’appuyer une coalition entre Ennahda et les partisans de l’ancien régime de Ben Ali, dirigée contre les travailleurs.
Hollande a dit sans sourciller à Essebsi, haut placé dans les dictatures de Bourguiba et de Ben Ali, qu’il avait «un parcours exemplaire en matière de démocratie».
En fait, le rôle du régime Essebsi est d’essayer de réprimer et, si nécessaire, écraser l’opposition dans la classe ouvrière aux conditions de pauvreté imposées sur les masses tunisiennes. C’est pour cette raison que les Etats français et tunisien intensifient leur collaboration en matière de sécurité.
Le nombre de personnes sous le seuil de pauvreté a augmenté de 30 pour cent depuis 2011. Les salaires n’ont pas suivi l’inflation, qui a progressé de 5 pour cent l’an dernier alors que le gouvernement Essebsi, à la demande des banquiers, envisage de réduire les subventions sur les besoins élémentaires. Le chômage est officiellement à 15 pour cent et 30 pour cent pour les diplômés.
Les 7 et 8 février derniers, de violents affrontements avec la police ont eu lieu à Ben Guerdane et Dehiba en raison d’une vague de répression sur le trafic de l’essence sur la frontière libyenne. Ce sont des zones désespérément pauvres où l’Etat tunisien a brutalement réprimé des révoltes, comme à Sidi Bouzid et Siliana en 2012 et Gafsa en 2013, sous Ennahda.
- Source : Antoine Lerougetel