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La pseudo-gauche et la catastrophe libyenne

Auteur : Bill Van Auken | Editeur : Walt | Vendredi, 24 Avr. 2015 - 08h54

Outre Barack Obama et Hillary Clinton, Nicolas Sarkozy en France et David Cameron au Royaume-Uni, il y en a d'autres qui ont le sang des réfugiés noyés en Méditerranée sur les mains. Il s'agit de la fraternité internationale des intellectuels et des groupes de la pseudo-gauche qui ont applaudi les interventions impérialistes, soutenu la guerre des États-Unis et de l'OTAN contre la Libye comme une mission de sauvetage « humanitaire » et ont même proclamé que les événements libyens étaient une « révolution ».

Le professeur Juan Cole de l’Université de Michigan est représentatif de cette couche sociopolitique. Il avait transformé son site web très regardé Informed Comment (Commentaire éclairé) en véhicule déclaré de propagande pour la guerre impérialiste.

« J’encourage sans complexe le mouvement de libération et je suis content que l’intervention autorisée du Conseil de sécurité [des Nations Unies] les ait sauvés d’un écrasement », écrivait le professeur Cole en mars 2011, dans une « Lettre ouverte à la gauche ».

Il écrivait avec sarcasme qu’il voulait « exhorter la gauche à apprendre à mâcher du chewing-gum et à marcher en même temps ». Il voulait dire par là qu’il fallait apprendre à s’arranger de façon pragmatique avec l’impérialisme, à décider quelles guerres américaines de changement de régime on devrait soutenir en s’appuyant sur ce qu’il appelait le « cas par cas ».

Il rejetait toute suggestion que son « mouvement de libération » était mené par des éléments liés à Al-Qaïda, malgré les nombreuses preuves existant à l’époque, pour ne pas mentionner la confirmation sanglante donnée depuis. Il avait attaqué de la même façon toute suggestion que l’administration Obama avait été motivée par autre chose que les plus pures « préoccupations humanitaires ». Cole a qualifié de « bizarres » les accusations que les USA et leurs alliés impérialistes visaient à établir leur domination sur la Libye et ses réserves de pétrole et de priver leurs rivaux, principalement la Chine, de l’accès à ces ressources.

Ne laissant aucun doute quant à sa loyauté, Cole avait proclamé fièrement : « Si l’OTAN a besoin de moi, je suis là. »

Le dernier article majeur de Cole sur la Libye a été écrit en juin 2012. Après avoir passé quelques jours dans le pays, il a écrit un compte-rendu enthousiaste où il raillait « une sorte de légende noire de la Libye, qui serait devenue un État défaillant chaotique, où il y a des miliciens armés partout, où tout le monde est un sécessionniste, où le gouvernement de transition ne fait rien, et où les gens d’origine subsaharienne sont molestés dans les rues, etc., etc. ».

Maintenant que tous les éléments de cette « légende noire » sont manifestes et incontestables, quelle est l’évaluation de Cole ?

En février dernier, dans un billet sommaire sur le bombardement égyptien de la Libye en réponse à la décapitation de masse de chrétiens coptes, Cole a écrit que ISIS (l’Etat islamique) avait gagné « des petites têtes de pont en Libye en raison d’un vide du pouvoir ». Il ajoutait de façon rassurante que « les États révolutionnaires tombent souvent dans la violence politique, comme en témoigne la Vendée en France après 1789, dans le cadre du processus de création de nouvelles formes de légitimité ».

Cole, qui est historien, prostitue sans vergogne sa crédibilité universitaire pour répondre aux besoins du département d’État américain en matière de propagande. S’il y a un « vide du pouvoir » en Libye, c’est précisément parce qu’il n’y pas d’« État révolutionnaire » qui commande l’allégeance du peuple libyen. Comparer le présent affrontement entre bandes d’islamistes et chefs de guerre nombreux pour le contrôle des puits de pétrole et du territoire libyens avec la suppression par les Jacobins du soulèvement paysan, dirigé par les catholiques et les royalistes, contre la Révolution française, est un acte de crétinisme intellectuel.

Cole n’a pas été, loin s’en faut, le seul à prendre le train de la guerre « humanitaire » des USA et de l’OTAN. Le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) était un partisan enthousiaste de la guerre contre la Libye. Alors que la guerre se dirigeait vers son dénouement sanglant, le NPA a déclaré qu’en conséquence de ce « processus révolutionnaire », c’était une nouvelle vie qui s’ouvrait pour le peuple libyen. Il s’est enthousiasmé, disant que la liberté, les droits démocratiques, l’utilisation des richesses dues aux ressources naturelles pour la satisfaction des besoins fondamentaux du peuple étaient maintenant à l’ordre du jour.

Que dit le NPA maintenant sur ses prédictions élogieuses ? La « nouvelle vie » qu’il a promise aux Libyens n’est qu’une réalité de violence incessante, d’effondrement économique et de dévastation sociale.

La liberté et les droits démocratiques ? La torture, les exécutions sommaires et les emprisonnements arbitraires sont monnaie courante. Pour ce qui est de la richesse des ressources naturelles, l’économie est en chute libre, s’étant contracté de 30 pour cent l’année dernière. La production de pétrole, qui représente quelque 80 pour cent du produit intérieur brut du pays, est tombée à moins d’un cinquième de ce qu’elle était avant la guerre des États-Unis et de l’OTAN. Les écoles et les hôpitaux, autrefois les plus avancés dans la région, ont été fermés dû aux combats. Les pannes d’électricité sont fréquentes, tout comme les pénuries de nourriture, de carburant et de fournitures médicales.

Le parti La Gauche en Allemagne, l’International Socialist Organization aux États-Unis, le Socialist Workers Party en Grande-Bretagne et un certain nombre d’autres groupes de la pseudo-gauche ont tous pris du service pour l’impérialisme. Ils ont soutenu les « rebelles » pro-impérialistes et aidé à habiller une intervention brutale pour des intérêts pétroliers et géostratégiques en une croisade pour la protection des civils et la promotion de la démocratie et des droits de l’homme.

Cette orientation vers l’impérialisme « humanitaire » n’a ni commencé ni fini avec la guerre criminelle en Libye. Cette nouvelle base de l’impérialisme avait fait ses débuts avec le soutien de ces organisations pour les bombardements « humanitaires » des USA et de l’OTAN contre l’ex-Yougoslavie en 1999. Tout comme pour la Libye, l’intervention avait été organisée sous prétexte de sauver les Albanais du Kosovo d’un massacre supposé aux mains des Serbes et a occasionné par la suite une hausse vertigineuse du nombre de morts.

Quel a été le résultat de cette guerre « humanitaire » et de « libération », conclue il y a 15 ans ? Le Kosovo, un territoire où vivent 1,8 millions de personnes, reste économiquement, politiquement et socialement non viable, dominé par la pauvreté, le crime organisé et la corruption. Le taux de chômage y est de 45 pour cent – 60 pour cent pour les jeunes – et des dizaines de milliers de personnes quittent le pays en flux continu.

Et, bien sûr, en Syrie, toutes ces organisations politiques se sont alignées sur une guerre par procuration pour un changement de régime soutenu par les États-Unis, leurs alliés européens et ceux des régimes monarchiques les plus réactionnaires du Moyen-Orient. Une fois de plus, elles ont qualifié de « révolution » une sale guerre impérialiste et ont rejeté les preuves accablantes qui montraient que les principales forces armées mobilisées contre le régime Assad se composaient de milices islamistes liées à Al-Qaïda. Comme en Libye, le résultat a été la dévastation de toute une société.

La tentative des groupes de la pseudo-gauche de faire passer l’intervention impérialiste pour une « révolution » a atteint son apogée ou plus précisément son nadir avec le coup d’État orchestré par les États-Unis à Kiev. Il a été soutenu par ces groupes comme une révolte de masse d’Ukrainiens pour la démocratie, selon le NPA. Le chef d’une organisation pabliste russe [organisation sœur du NPA] est allé jusqu’à faire l’éloge des voyous néo-fascistes qui ont dirigé le coup d’État comme étant « la partie la plus combative et la plus militante du mouvement ».

Toutes ces organisations portent la responsabilité morale et politique des catastrophes que ces interventions impérialistes ont provoquées dans un pays après l’autre. Leur alignement sur les guerres sanguinaires d’agression au nom des « droits de l’homme » n’est pas un hasard et ne peut être attribué à la simple bêtise politique. Il reflète l’alignement sur l’impérialisme d’une couche de la classe moyenne supérieure privilégiée, y compris des éléments du milieu universitaire et des médias, dont les intérêts sociaux s’expriment dans la politique de ces groupes.


- Source : Bill Van Auken

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