Attentat de Tunis : la diplomatie française a-t-elle joué avec le feu ?
Après vingt-trois années de soutien au régime de Ben Ali, la diplomatie française conduite par Nicolas Sarkozy puis par Laurent Fabius a déroulé le tapis rouge devant le patron du mouvement islamiste Ennahdha, Rached Ghannouchi. Et a fait preuve d'une extrême complaisance envers le courant salafiste, dont une partie a versé dans le terrorisme.
« Un trou noir. » Voici l’expression brutale utilisée au Quai d’Orsay pour décrire l’anéantissement des autorités françaises lors de la fuite de « notre ami Ben Ali » en Arabie saoudite le 14 janvier 2011. Après vingt-trois années de complaisance avec le régime ultra-autoritaire qui régna à Tunis, la diplomatie française est condamnée à tourner la page. Ce qui fut fait à la hussarde, alors que Nicolas Sarkozy était encore au pouvoir. Après le choc du printemps arabe, la diplomatie française tente de ne pas renouveler les erreurs du passé et s’ouvre à toutes les tendances de la classe politique tunisienne, y compris au mouvement Ennahdha.
« Les islamistes, c’est un peu comme les rhumatismes lorsqu’on vieillit, il faut apprendre à vivre avec. » Cette confidence de l’actuel président tunisien, Béji Caïd Essebsi, à l’ancien ambassadeur de France Boris Boillon s’applique parfaitement au cours de la diplomatie française qui a vraiment accompagné les islamsites au pouvoir en 2012 et 2013.
Nos amis qataris
L’alliance privilégiée de Nicolas Sarkozy avec l’émir du Qatar, Hamad ben Khalifa al-Thani, avec lequel le président français avait déclaré la guerre à la Libye de Mouammar Kadhafi en juillet 2011, conforte encore le revirement des autorités françaises. Après tout, l’émirat du Qatar est le protecteur officiel des Frères musulmans dans le monde entier et notamment en Tunisie. Pourquoi combattre les amis de nos amis qataris ?
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Lanceurs d’alerte
Durant l’hiver 2014, des émissaires venus de Tunis qui comptaient parmi ses amis ont expliqué à la Direction centrale du renseignement intérieur française la gravité du risque terroriste en Tunisie. À cette occasion, les services tunisiens ont élaboré à l’intention de leurs homologues français un document inquiétant d’une quinzaine de pages, intitulé « Paysage politique en Tunisie et perspectives ». « Les premiers indices du terrorisme en Tunisie, lit-on notamment, firent leur apparition depuis 2011. Le phénomène se développa en 2012 puis s’accéléra en 2013 par le passage à l’acte. Un faisceau d’indices probants était disponible sous toutes les formes constitutives du terrorisme, notamment l’introduction d’armes, les camps d’entraînement, la formation sur les explosifs, le recrutement puis la planification des opérations terroristes. »
Ce document met en cause gravement les gouvernements islamistes qui ont précédé celui de Mehdi Jomaâ : « Les informations à ce sujet circulaient dans les milieux officiels et non officiels, mais aucune mesure préventive n’a été prise par les autorités qui ont toujours “sous-estimé” ou éludé la menace. » Au total, le mouvement Ennahdha est clairement mis en cause pour sa complaisance, et même « sa compromission », face aux menées des djihadistes violents : « Pis encore, les prévenus dans des opérations terroristes n’ont pas fait l’objet d’enquête rigoureuse et, quand bien même leur culpabilité fût établie, ils écopent de peines légères s’ils ne sont pas simplement relâchés par la justice. » Autant de mises en garde qui ont été entendues place Beauvau à Paris : « La situation sécuritaire en Tunisie est plus grave que nous ne le pensions, aggravée encore par le chaos qui règne en Libye. »
Depuis début 2014, des rencontres ont lieu régulièrement entre les représentants des forces sécuritaires de la Tunisie et de la France. Le dossier de la sécurité aux frontières est jugé prioritaire des deux côtés de la Méditerranée. Il s’agit de financer, et vite, un plan pour équiper les forces tunisiennes de véritables postes frontaliers avec l’Algérie et la Libye. Des crédits européens existent pour ce type de projet que la France est à même de déclencher. La question de la formation des policiers tunisiens est aussi l’objet des rencontres entre les deux pays. Ce qui est cocasse, c’est qu’en plein soulèvement populaire, en janvier 2011, Michèle Alliot-Marie, alors ministre de l’Intérieur, avait préconisé une telle coopération. C’était ni le lieu ni le moment, alors que l’ex-président Ben Ali faisait tirer sur des manifestants sans défense. Le contexte a radicalement changé. Face à une mouvance djihadiste naissante, qui menace la transition tunisienne, la question de la formation des forces spéciales tunisiennes se repose avec acuité. « L’Europe et la France ont là une belle occasion de s’engager aux côtés de la révolution tunisienne », explique un haut cadre du ministère tunisien de l’Intérieur.
Gaza trouble-fête
Hélas, l’embellie que connaissaient alors les relations franco-tunisiennes a été contrariée par la crise dramatique survenue cet été à Gaza. Du milieu politique à celui des affaires en passant par le monde de la culture, bien des personnalités tunisiennes ont décliné en 2014 l’invitation à la cérémonie du 14 Juillet à la résidence de l’ambassadeur de France. La raison en est le communiqué de l’Élysée indiquant que le président Hollande a « exprimé la solidarité de la France face aux tirs de roquettes en provenance de Gaza » lors d’un entretien téléphonique avec le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou. Le journaliste vedette tunisien Soufiane Ben Farhat a jeté un pavé dans la mare en appelant les représentants des partis politiques et de la société civile à boycotter cette célébration du 14 Juillet.
Plusieurs personnalités ont suivi le mot d’ordre ; Hamma Hammami, leader du Front populaire, la coalition de douze partis de gauche, et Jalel Bouzid, député d’Ettakatol, le parti le plus proche des socialistes français, ont également décliné l’invitation.
Les islamistes d’Ennahdha, fort proches des Frères musulmans du Hamas palestinien, ont eux répondu présent aux festivités !
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- Source : Nicolas Beau