L’Otan, suite et fin?
Les accords de Minsk ont fait resurgir une vérité oubliée un peu trop vite : les Etats européens ont un rôle fondamental et incontournable quand il faut gérer une crise sur ce continent. Paris et Berlin se sont en effet bien gardés d’inviter Washington et Bruxelles, c’est-à-dire l’Otan et l’UE, à ces négociations de Minsk, destinées à avancer vers un accord de paix, dans cette guerre civile qui se déroule en Ukraine.
Ironie de l’histoire: la Biélorussie, régulièrement taxée de « dernière dictature d’Europe », a accueilli une rencontre ayant permis aux puissances continentales de bloquer les velléités guerrières anglo-saxonnes. Prises entre l’enclume des faucons ukrainiens et le marteau de leurs sponsors américains, les élites ukrainiennes, qui auraient naïvement cru à la fable de leur intégration fraternelle au sein de la communauté euro-atlantique, doivent désormais déchanter.
Les rêves d’adhésion immédiate à l’Union européenne et à l’Otan sont partis en fumée, et le pays est maintenant très proche de la faillite.
Pire il y a l’Otan qui veut la guerre. Le commandant adjoint de l’Alliance atlantique en Europe, le général Adrian Bradshaw, a affirmé que la Russie pourrait être tentée d’envahir des pays membres du bloc. Façon de redonner à l’Alliance, ces temps-ci trop lézardée par des divisions internes, une raison d’exister et créer par des satellites interposées que sont la Pologne, et les Etats baltes un cordon « Otanien » autour de la Russie, avec en toile de fond l’apparition d’un projet de mur américain, qui remplacerait le mur de Berlin. Mais ce mur pourrait-il vaincre la Russie?
Rien n’est moins sûr : en effet l’Europe se retrouve face à une Russie en pleine mutation qui parallèlement au redressement économique spectaculaire qu’elle connait, est le témoin d’une mutation géopolitique. On l’imaginait devenir une puissance européenne ou quasi-européenne au début des années 2000 ; depuis quelques années, on constate au sein des élites russes une tendance géopolitique « eurasiatique » qui s’est beaucoup affirmée et qui tend à devenir dominante. Le retour de la Russie en tant qu’acteur géopolitique indépendant et autonome, ayant ses propres intérêts et les moyens de les défendre, est un élément clairement déstabilisant pour l’agenda américain en Eurasie et en Europe. Mais cette nouvelle donne place également l’Europe face à des choix stratégiques.
L’affaire ukrainienne le démontre, en contraignant l’Europe à naviguer entre l’unilatéralisme de Washington et ses intérêts propres. Ces derniers n’allant pas du tout dans le sens d’une guerre sur le continent et contre la Russie, avec laquelle l’interaction commerciale, politique et économique est croissante depuis une quinzaine d’années. Les Américains et les Européens ont globalement deux visions et des intérêts diamétralement opposés quant à l’avenir de leur relation avec l’Ukraine. Pour Washington, l’Ukraine est un pion stratégique fondamental du fait de sa position géographique. Une fois l’Ukraine affranchie de l’influence de Moscou, elle pourrait se transformer en satellite docile, à l’extrémité est du continent, pour introduire l’Otan en Eurasie, en commençant par la mer Noire, et ainsi refouler la Russie vers l’Est. Le plus loin possible du « mur de Washington ».
L’Ukraine ne revêt en revanche aucun intérêt stratégique fondamental pour Paris ou Berlin, ni sur le plan militaire, ni sur le plan sécuritaire. Sur le plan économique, le pays peut représenter un marché potentiel pour certains produits européens, et pourrait devenir une source importante de main d’œuvre bon marché pour l’Allemagne ou la France. Mais est-ce suffisant pour que Berlin et Paris se laissent entrainer dans une guerre sans merci contre la Russie? La sécurité de l’Europe a déjà beaucoup perdu dans le bras de fer Occident-Russie en Syrie pour que l’axe Paris-Berlin s’expose à des risques sécuritaires supplémentaires…
- Source : L'émancipé