Bonne résolution Par Jacques Sapir
Les Nations-Unies se sont, enfin, saisies de la situation au Donbass. La résolution du Conseil des Nations-Unies sur l’application de l’accord de Minsk et du cessez-le-feu décidé lors de ces accords du 12 février est une bonne chose à bien des égards. Elle insiste sur la nécessité de respecter le cessez-le-feu et de traiter humainement les combattants. Or, trop souvent, des combattants insurgés capturés par les « bataillons punitifs » de la Garde Nationale du régime de Kiev ont été torturés et assassinés. Des faits analogues semblent aussi s’être produits, en représailles, avec des membres des « bataillons punitifs » capturés par les insurgés. Il est important d’insister sur le fait que les combattants capturés des deux bords doivent être traités humainement. Cette résolution insiste de plus, et c’est là toute son importance, sur l’application intégrale de l’accord de Minsk. Or l’on sait que des membres éminents du gouvernement de Kiev s’y sont refusés, de même que le groupe d’extrême-droite « Secteur Droit », par la voix de son chef, Dmitro Yarosh. Ces faits jettent un doute certain quant à l’application réelle et honnête de cet accord. Il est clair que des forces puissantes sont en mouvement à Kiev même pour saboter l’accord et pour plonger l’ensemble de la région dans la guerre.
La nécessaire internationalisation du conflit
Devant l’impossibilité de régler actuellement le conflit entre ukrainiens, chose que l’on peut regretter mais que l’on doit constater, il est donc nécessaire d’internationaliser le cadre des discussions. C’est le sens de cette résolution des Nations-Unies. De ce point de vue, la tentative de l’Allemagne et de la France d’aboutir à un règlement dans le cadre européen semble avoir elle aussi échouée. On pouvait comprendre la volonté de Mme Merkel et de M. Hollande de trouver une solution à ce conflit. Mais, pour qu’il en soit ainsi, il aurait fallu que les Etats-Unis soient restés à l’écart, ce qui n’est pas les cas. Il est clair pour tous aujourd’hui que les Etats-Unis sont aujourd’hui une partie prenante à ce conflit par leur soutien financier et politique, et aussi indirectement militaire, au gouvernement de Kiev. On estime entre 150 et 400 les conseillers civils (qu’ils soient américains ou financés par des institutions américaines), qui œuvrent auprès du gouvernement dans les différents ministères, et de 400 à 600 les conseillers militaires, qui entrainent les unités de Kiev. Les Etats-Unis sont les seuls qui ont aujourd’hui la capacité d’exercer des pressions suffisantes sur le gouvernement de Kiev pour le convaincre d’appliquer cet accord. Il faut reconnaître ce fait, qui correspond à l’inefficacité de la diplomatie européenne. Si Paris et Berlin s’étaient émancipés de la tutelle de Bruxelles (et de celle de l’OTAN) et avaient dès le mois de juin œuvré pour une approche globale et raisonnable, peut-être qu’ils auraient pu tenir les Etats-Unis à l’écart de la crise ukrainienne. Aujourd’hui, ce n’est plus les cas.
Vers la désignation de casques bleus ?
Alors que les insurgés semblent avoir triomphé dans la « poche » de Debaltsevo, et que les unités de l’armée de Kiev soit se sont rendues soit en train de le faire, les conditions sont probablement réunies pour une application réelle du cessez-le-feu. Le sang des soldats de Kiev pourrait enfin convaincre le gouvernement de Petro Porochenko qu’il n’a rien à gagner à une poursuite des combats. Si tel est le cas, ce sang n’aura pas été versé en vain. Je l’ai dit et écrit depuis près de 6 mois : l’application réelle du cessez-le-feu nécessitera l’envoi d’une force de Casques Bleus par les Nations-Unies. Il est capital que des forces d’interposition puissent prendre place entre les deux belligérants et puissent vérifier le retrait des armes lourdes (artillerie, lance-roquette multiples) dont les forces de Kiev se sont servies pour bombarder les populations civiles et détruire une large part des infrastructures civiles (hôpitaux, crèches) dans les zones aux mains des insurgés. De ce point de vue, la résolution du Conseil de Sécurité, qui n’a pu être votée qu’avec l’accord de la Russie et de la Chine, peut être le premier pas conduisant à l’envoi de cette force d’interposition, et par là, le premier pas ver un accord politique dont les bases ont été dessinées dans l’accord de Minsk du 12 février. Cette force d’interposition devra être acceptable par tous. Cela exclut à priori la Russie et les pays de l’OTAN. Il faudra donc trouver au sein de ceux que l’on appelait autrefois les « non-alignés » et que l’on désigne désormais sous le nom de « BRICS », les pays qui pourraient contribuer à cette force. Actuellement on peut en considérer 2, l’Inde et la République d’Afrique du Sud. Les armées de ces deux pays ont une longue expérience des missions délicates et pourraient fournir des contingents de Casques Bleus qui seraient rapidement opérationnels. Le plus vite une décision en ce sens sera prise, le mieux sera vaudra tant pour les populations civiles du Donbass que pour la paix en Europe.
- Source : Jacques Sapir