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Samedi, 21 Déc. 2024

Un autre monument de Lavrov

Auteur : Bruno Bertez | Editeur : Walt | Lundi, 18 Nov. 2024 - 14h31

Quand on lit un texte de cette qualité on comprend pourquoi il faut le censurer, pourquoi il ne faut pas qu’il soit lu et diffusé ; il ferait réfléchir ! Quelle vision, quelle culture !

Lavrov comme Poutine s’adresse non à nos perceptions imbéciles, à nos affects mais à notre intelligence, à notre capacité intellectuelle.

Lavrov comme Poutine nous valorisent, nous font monter sur l’échelle de l’humanité alors que les discours de tous les Occidentaux nous rabaissent : ils nous prennent pour des cons. Ils nous méprisent !

La seule critique que peut faire l’Occident c’est de nier en bloc, c’est de prétendre que tout cela c’est du flan, l’Occident ne peut faire face aux analyses et aux arguments qu’en utilisant les outils complotistes c’est à dire en supposant que Lavrov tient un discours qui cache quelque chose d’autre. Et l’Occident est obligé de faire la même chose avec la Chine ; prétendre que la Chine a vocation hégémonique et à partir de là se construire toute une fiction pour justifier d’en faire un ennemi.

Lavrov est convaincu par le fait que la politique antirusse de l’empire américain hors-la-loi se poursuit depuis 1945 et qu’elle continuera avec Trump comme elle l’a fait la première fois. C’est mon analyse, c’est une analyse matérialiste, dialectique, objective, systémique qui repose sur le fait que ce qui produit la politique américaine et occidentale ce ne sont pas les volontés de hommes mais les forces du système capitaliste financiarisé lesquelles butent sur leurs limites endogènes et sont inexorablement condamnées à l’impérialisme.

Bruno Bertez

*

Entretien du ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov avec Mohammed Kim pour le projet Nouveau Monde, Moscou, 14 novembre 2024. Interview destinée à la jeunesse russe qui veut contribuer à faciliter ce qu’elle considère comme un projet de construction d’un monde très différent – Un Nouveau Monde.

Mohammed Kim : Merci d’avoir accepté l’invitation de notre projet Novy Mir. Nous travaillons avec le public Internet. Ce projet porte sur les contours du nouveau monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Il s’adresse à un public jeune. Nous parlons de la manière dont fonctionne le nouveau monde, selon quelles règles, selon quels canons il sera construit.

Sergueï Lavrov : En d’autres termes, vous savez tout cela ?

Question : Non. Nous en discutons avec des experts, avec des personnes qui prennent des décisions. Nous avons fait un «échantillon» sur Internet, pour savoir qui sont leurs héros, lesquels sont intéressants à écouter et lesquels prennent des décisions. Le premier numéro sur la liste est le président russe Vladimir Poutine, et le deuxième sur la liste est Sergueï Lavrov.

Au cours des dernières décennies, notre diplomatie a été à son meilleur, ce qui a été absolument reconnu dans le monde entier grâce au travail de votre équipe et de vous personnellement en tant que leader.

En tant que ministre, mais aussi en tant que diplômé du MGIMO, tout ce qui se passe dans le monde aujourd’hui est-il attendu ou surprenant pour vous ?

Sergueï Lavrov : L’attente ne fait pas partie du métier de diplomate, elle appartient aux politologues. En 1991, lorsque l’Union soviétique a disparu, Fukuyama a solennellement proclamé la «fin de l’histoire» et a déclaré (il a dit qu’il ne s’y attendait pas, mais qu’il en était sûr) qu’à partir de maintenant, la démocratie libérale gouvernerait le monde dans n’importe quel pays. Laissons donc les politologues fantasmer et attendre. Nous devons faire face à des faits très précis. Mais pour qu’ils nous soient acceptables, nous devons tout faire pour renforcer notre position sur la scène mondialeC’est ce que nous faisons, en prouvant notre droit à défendre notre sécurité, nos alliés, les gens qui appartiennent au monde russe et qui sont nos compatriotes.

Nous le faisons actuellement en Ukraine. Vous pouvez voir la réaction de l’Occident. Je n’ai aucune attente. Je ne vais pas l’exprimer, je vais essayer de la formuler. Nous nous occupons d’un cas concret : nous garantissons les intérêts de la politique étrangère de la Russie dans une situation où nos garçons et nos filles combattent dans le cadre d’une opération militaire spéciale.

La tâche principale est désormais d’atteindre tous les objectifs fixés par le président russe Vladimir Poutine. Vous savez quelles sont les attentes de l’Occident. Ils spéculent sans cesse, disent-ils, arrêtons-nous «ici» maintenant, puis «trêve», dans dix ans nous réfléchirons à qui donner la Crimée et le Donbass. C’est de la divination sur du marc de café. Je ne fais pas cela. Nous avons nos propres tâches. Nous les réglerons.

Question : Nous sommes au front. Il y a une équipe de tournage sur place, nous faisons des reportages depuis là-bas. Ils suivent de près les relations internationales et vos déclarations. Ils vous respectent beaucoup. Les hommes qui se battent au front aujourd’hui veulent comprendre l’image de la Victoire, ce pour quoi ils se battent. Avez-vous une telle image en tant que personne, en tant que ministre ? Quelle est l’image de la Victoire en Russie aujourd’hui ?

Sergueï Lavrov : Nous avons tous la même image de la victoire de la Russie : la victoire. L’image la plus frappante est celle du 9 mai 1945.

Je ne doute pas que nos héros, qui passent aujourd’hui à l’offensive et chassent l’ennemi de nos terres ancestrales, s’inspirent avant tout de l’héroïsme de leurs pères, grands-pères et arrière-grands-pères.

Question : Nous essayons de construire, de comprendre et de sonder les contours de certaines frontières du monde moderne. Pouvons-nous parler de ces contours pour les 10, 20, 25 prochaines années ? À quoi ressemblera le paysage politique ?

Sergueï Lavrov : Cette question ne m’est pas destinée. Nous devons garantir les intérêts de la Russie dans le plein respect de sa Constitution et des tâches fixées par le président Vladimir Poutine, non seulement dans le contexte de l’Ukraine, mais en général dans le cadre du concept de politique étrangère de la RussieCela comprend la promotion du concept de «Grand partenariat eurasien», afin que toutes les structures et tous les pays situés sur le continent eurasien favorisent les contacts, échangent leurs expériences d’intégration, harmonisent leurs projets et mettent en œuvre des tâches d’infrastructure à grande échelle, notamment le célèbre projet de corridor de transport international Nord-Sud. Cela comprend également le projet de connexion des ports indiens aux ports d’Extrême-Orient, la route maritime du Nord.

Nous avons un continent, un don de Dieu, doté de ressources naturelles immenses et très riches, et de civilisations millénaires. Il serait erroné de ne pas profiter de ces avantages concurrentielsC’est le sens de l’idée du Grand Partenariat eurasien, dont nous voyons déjà les premiers pas à travers l’UEEl’OCS et l’ASEAN. Des liens et un dialogue s’établissent entre elles. Le Grand Partenariat eurasien, si nous avançons dans tous les sens, créera une base matérielle, économique et de transport solide pour ce que le président Vladimir Poutine a appelé une nouvelle architecture de sécurité eurasienne.

C’est là notre intérêt. Il a d’ailleurs été dit expressément que cette architecture, ainsi que le Grand Partenariat eurasien, devraient être ouverts à tous les pays et à tous les continents, y compris à la partie occidentale de l’Eurasie qui, jusqu’à présent, par inertie, tente de garantir ses intérêts dans le cadre non pas du concept eurasien (ce qui serait naturel, compte tenu de la géographie), mais du concept euro-atlantique de sécurité, confirmant ainsi qu’elle ne fera rien sans les États-Unis.

Mais ces motivations euro-atlantiques disparaissent peu à peu des positions et des discours de certains dirigeants européens. Il s’agit en premier lieu de la Hongrie et de la Slovaquie. Il y a aussi un certain nombre d’autres hommes politiques qui s’opposent au régime néolibéral qui domine l’Europe et qui commencent déjà à penser qu’il faut compter davantage sur ses propres forces, sur la coopération avec ceux qui sont proches de soi.

L’idée et l’intérêt des Américains sont clairs. Et l’Europe résoudra les problèmes américains en termes de liquidation et d’armement de l’Ukraine contre la Fédération de Russie, et en termes de paiement pour la tragédie du Moyen-Orient.

L’Europe est aujourd’hui entraînée dans la mer de Chine méridionale, dans le détroit de Taiwan. L’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne (où elle n’existe pas) y participent à des exercices navals, créent des systèmes de blocs – «trois», «quatre», AUKUS, quad. Tout cela se fait dans le but déclaré de contenir la Chine.

Nos collègues occidentaux ont leurs propres points de vue sur la sécurité eurasienne. Ils se résument à dire que les États-Unis doivent «gouverner» partout. Nous nous opposons à cette approche égoïste et agressive en proposant d’unir les efforts de tous les pays du continent et d’élaborer des principes tenant compte de l’existence de structures s’occupant des questions militaires et politiques telles que l’OCS et l’OTSC. L’ASEAN possède également des éléments de sécurité militaire et politique.

Nous tissons des liens avec eux, en laissant la porte ouverte à tous ceux qui veulent travailler avec nous, non pas sur la base de «règles» que personne n’a vues, mais que l’Occident met constamment en avant comme condition indispensable aux contacts avec ou sans eux, mais sur la base du droit international et de son élément central – l’égalité souveraine des États. C’est ce que nous essayons d’atteindre.

Nous avons encore de nombreux partenaires. Leur nombre ne cesse de croître en dehors du continent eurasien. C’est là que notre activité au sein des BRICS entre en jeu. C’est un autre sujet.

Question : Le thème des BRICS est devenu populaire sur Internet. Le jeune public s’interroge, essaie de comprendre de quelle structure il s’agit, comment elle sera construite. Il existe même une expression : «tout sera BRICS», c’est-à-dire que tout ira bien. C’est une certaine image du nouvel ordre mondial. Vous avez mentionné certaines structures capables d’assurer la sécurité de l’Eurasie. Une telle structure unique peut-elle être construite dans le cadre des BRICS, ou les BRICS ne sont-ils pas du tout axés sur la sécurité, mais plutôt sur l’économie ?

Sergueï Lavrov : Les BRICS sont un ordre mondial qui se fondera sur le principe fondamental de la Charte des Nations unies, à savoir l’égalité souveraine des États. Cette alliance est née naturellement du besoin des économies à la croissance la plus rapide de dialoguer et de voir si elles pouvaient utiliser leurs acquis économiques pour travailler plus efficacement à l’échelle mondiale, en utilisant leurs contacts et leur influence.

Les BRICS, contrairement au G7 et aux autres institutions contrôlées par l’Occident (y compris les institutions de Bretton Woods, l’OMC), sont simplement arrivés à la conclusion suivante : tout ce qui est encore aujourd’hui sous le contrôle des Américains, créé par eux il y a de nombreuses années et «vendu» à tout le monde comme un bien mondial (leurs concepts de mondialisation, d’inviolabilité de la propriété, de concurrence loyale, de présomption d’innocence – que sais-je encore), s’est effondré du jour au lendemain, lorsqu’ils ont voulu «punir» la Russie.

En passant, plus de la moitié des pays du monde sont sous le coup de sanctions. Peut-être pas avec des conséquences aussi inédites que celles qui sont appliquées à la Russie, à la Corée du Nord, à l’Iran et au Venezuela.

La véritable raison pour laquelle ils sont aujourd’hui si littéralement «frénétiques» est que la Chine «contourne» rapidement et avec assurance l’Amérique.

De plus, elle le fait sur la base des normes établies par les Américains dans des institutions telles que le FMI, la Banque mondiale et l’OMC. Et elle «contourne» malgré le fait que les Américains abusent de ces institutions et de ces mécanismes de toutes les manières possibles.

L’administration Biden a mis en avant la tâche de contenir la Chine. Je pars du principe que cela restera également une priorité pour l’administration Trump. Nous sommes la «menace» d’aujourd’hui. Washington ne peut pas permettre à la Russie de prouver qu’elle est un «acteur fort» et qu’elle «sape» la réputation de l’Occident. Ils ne se soucient pas de l’Ukraine. Leur réputation est importante pour eux : ils ont dit qu’il y aurait un tel gouvernement en Ukraine, et puis quelqu’un a soudainement osé s’y opposer. La Russie ? Un grand pays, mais il faut le «remettre à sa place». C’est de cela dont nous parlons, et pas du tout du sort du peuple ukrainien. Ils ne s’intéressent pas au peuple.

Vladimir Zelensky, qui se rendait déjà compte que les Occidentaux ne se souciaient pas du peuple, a proposé que l’Occident s’empare de toutes les ressources naturelles de l’Ukraine et les exploite dans son «plan de victoire», et que son pays envoie des policiers et des militaires pour assurer l’ordre en Europe, car les Américains en ont déjà assez de devoir le faire eux même.

Il est prévu de laisser un certain nombre d’Américains sur place, puis les «gauleiters» et les «anciens» (comme ce fut le cas pendant la Grande Guerre patriotique et la Seconde Guerre mondiale) feront le «sale boulot» de contenir les protestations et de réprimer ceux qui veulent se laisser guider non pas par le dogme de Bruxelles (néolibéral, dictatorial), mais par la protection des intérêts nationaux. C’est un processus de grande envergure.

Les BRICS, bien sûr, sont liés à l’Eurasie dans le sens où on y retrouve la Chine, l’Inde, la Russie et le Pakistan. C’est compréhensible.

L’OCS concerne le continent eurasien. L’organisation se développe, élabore des plans et les met en œuvre dans le domaine économique et dans le domaine militaro-politique. Des exercices antiterroristes sont menés. Les services de police coopèrent étroitement par le biais des conseils de sécurité des pays membres. Il existe un aspect humanitaire : l’échange de bonnes pratiques dans le domaine de l’éducation, des programmes culturels et des événements sportifs. Il s’agit d’un processus régional que nous stimulons et encourageons par tous les moyens possibles. Nous sommes également favorables à l’approfondissement de l’intégration au sein de l’Union africaine et de la CELAC et sommes prêts à le faire.

Toutes ces structures sont devenues plus actives. Elles sont de plus en plus conscientes du manque de fiabilité des mécanismes de fonctionnement de l’économie mondiale et des relations internationales proposés par l’Occident et acceptés par tous. Aujourd’hui, les pays occidentaux les abusent cruellement. Personne ne veut être le prochain. Personne ne sait sur quelle jambe se lèvera demain quelqu’un à Washington, qui ne lui sera pas favorable et avec qui il commencera à parler «dans la langue du diktat».

Sans s’opposer aux institutions existantes, le FMI, la Banque mondiale, l’OMC, sans exiger leur fermeture, mais en cherchant une réforme juste de ces structures, au même moment, les pays du Sud et de l’Est, la Majorité mondiale, créent leurs propres mécanismes parallèles de règlements, d’assurances et de chaînes logistiques pour ne pas dépendre de la bourse.

Lors du dernier sommet des BRICS à Kazan, nous avons proposé la création d’une bourse des céréales des BRICS. Tout le monde a réagi positivement à cette proposition. Tout cela est fait pour que les échanges commerciaux se déroulent normalement, sereinement, en utilisant différentes voies, en établissant des liens bancaires qui seraient protégés du diktat et des dommages éventuels de ceux qui contrôlent les structures classiques de l’économie mondiale.

En Eurasie, il existe des intégrations régionales que j’ai mentionnées, comme l’OCSl’UEE, l’ASEAN et les contacts entre elles, en Afrique – l’Union africaine, en Amérique latine – la CELAC. Au niveau mondial, tout le monde voit les BRICS comme une structure flexible et non bureaucratique qui peut harmoniser tous ces processus régionaux. Les principaux pays de l’OCS, de l’ASEAN, de l’Union africaine et de l’Amérique latine sont représentés parmi les membres de cette association, y compris le monde arabe (c’est un élément important), ou parmi les pays qui coopèrent traditionnellement avec elle dans le format «BRICS plus/outreach».

Nous avons maintenant créé une catégorie de pays partenaires. Plus de 30 États souhaitent se rapprocher des BRICS. C’est une tendance sérieuse qui permet à ce niveau, lors des sommets de l’association, de discuter des questions d’harmonisation du travail de la majorité mondiale dans tous les domaines : dans l’économie, la politique, la finance et la sphère humanitaire.

Question : Est-il exact de dire que les BRICS constituent aujourd’hui une plateforme d’intégration prête à accueillir les organisations que vous avez mentionnées ? S’agit-il d’un développement institutionnel ? Y aura-t-il un siège au sein des BRICS (dans un pays neutre) ou n’y a-t-il pas encore de discussions de ce type à ce stade ?

Sergueï Lavrov : Les BRICS ne sont pas une plateforme. Il s’agit d’une association naturelle dans laquelle les plateformes d’intégration régionale voient un allié et un moyen d’harmoniser leurs projets au niveau mondial.

Il n’est pas question de bureaucratisation des BRICS. Tout le monde est impressionné par la flexibilité. Chaque année, le pays qui préside le groupe change selon l’alphabet. Il remplit les fonctions de secrétariat, d’organisateur de divers événements, etc. Je suis sûr que c’est la meilleure option pour cette période assez longue.

Question : Le sommet des BRICS à Kazan est effectivement un événement historique (près de 30 chefs d’États y ont participé). Peut-on le comparer en termes d’ampleur à certains événements historiques – Téhéran, Vienne ? Le président russe Vladimir Poutine a évoqué le système westphalien des relations internationales et le système de Yalta. Il s’agit d’une sorte de nouvelle étape. Peut-on nommer cette étape ?

Sergueï Lavrov : Citez l’étape des BRICS. Mais tous les exemples que vous venez de citer concernent autre chose. Il s’agissait de réunions où le monde était divisé (comme on dit) «selon des concepts». Chacun voulait défendre autant de droits que possible dans les systèmes émergents, y compris Yalta. Et l’Union soviétique y est parvenue. Mais il s’agissait toujours d’une «division du monde».

Les BRICS ne vont pas diviser le monde. Il s’agit d’une association de pays qui veulent vivre sur les terres qu’ils ont héritées de Dieu et de leurs prédécesseurs, comme c’est la coutume dans leurs grandes civilisations. Il s’agit de la Chine, de l’Inde, de l’Iran, de la Russie et de nombreux autres États. Ils ne veulent pas que quelqu’un leur dicte comment faire du commerce, ni leur interdise de se lancer dans la culture des ressources naturelles, comme c’est le cas en Afrique.

Nous venons de tenir à Sotchi la première conférence ministérielle du Forum de partenariat Russie-Afrique. La grande majorité des participants ont déclaré qu’ils ne pouvaient plus supporter une situation où tout ce que la nature leur a donné – les réserves les plus riches, y compris les terres rares, l’uranium et bien plus encore – ils l’extraient avec l’aide de sociétés occidentales. Et ils transportent tout dans leurs usines de traitement, et toute la valeur ajoutée et le profit restent là-bas. C’est du pur néocolonialisme.

C’est un sujet que Russie Unie promeut activement en coopération avec ses partis frères dans les pays du Sud global. En février de cette année, le congrès fondateur du mouvement interpartis «Pour la liberté des nations !» a été convoqué. Son objectif est de lutter contre les pratiques modernes du néocolonialisme. En juin de cette année, Russie Unie a organisé à Vladivostok un événement interpartis consacré à cette tâche. Un forum permanent a déjà été créé. Il s’appelle «Pour la liberté des nations !». De nombreux partis africains et autres y sont représentés. Il est important que les Africains soient maîtres de leurs richesses et de leur destin.

En 2023, j’ai été chargé de représenter le président russe Vladimir Poutine au sommet des BRICS à Johannesburg. Il y a eu toute une histoire de ravitaillement en carburant de l’avion pour le vol de retour. Il s’est avéré que presque toutes les entreprises qui ravitaillent en carburant d’aviation n’appartiennent pas à l’Afrique du Sud. Au Brésil, la même situation s’est produite lors de ma visite là-bas. Il était impossible de faire le plein. Bien sûr, c’est ennuyeux.

Lorsque les Américains imposent de telles sanctions, ils ne comprennent pas qu’ils seront obligés d’en avoir peur à un moment donné pour éviter des «punitions secondaires». Les gens normaux développent et renforcent inévitablement le ressentiment envers leur souveraineté violée. Donald Trump l’a intuitivement senti lorsqu’il a déclaré que l’utilisation du dollar comme arme était la plus grande erreur de l’administration Biden, car ce faisant, ils créent le terrain, les conditions pour abandonner le dollar.

Autrefois, la quasi-totalité des échanges commerciaux au sein des BRICS se faisaient en dollars. Aujourd’hui, ce chiffre est inférieur à 30%. C’est un indicateur sérieux.

Question : La Russie peut-elle être le fer de lance du mouvement pour la libération des États qui souffrent encore des séquelles du colonialisme ? Le moment est-il venu d’adopter une déclaration contre les formes modernes de colonialisme ? Est-il possible de mener à bien ce travail dans les BRICS ? Faut-il dire clairement au monde moderne que le colonialisme est «tout» ?

Sergueï Lavrov : Tout d’abord, le colonialisme n’est pas «tout». Malheureusement, tous les territoires qui étaient les possessions coloniales des pays occidentaux n’ont pas encore été libérés. Leur libération a été exigée par l’Assemblée générale des Nations unies en 1960. En violation de ses résolutions, la France, la Grande-Bretagne et un certain nombre d’autres États occidentaux refusent de libérer ce qu’ils ont conquis au cours des guerres coloniales.

Mais il n’est pas nécessaire de créer une structure particulière maintenant. Je viens de mentionner qu’à l’initiative du parti Russie Unie, le mouvement Pour la Liberté des Nations ! a été créé précisément pour lutter contre les pratiques néocolonialistes modernes (c’est écrit dans la charte et proclamé en février de cette année).

Le colonialisme a encore quelques «rechutes» sous la forme de petits États insulaires, principalement en Afrique et autour de celle-ci. Mais la décolonisation s’est déroulée comme un processus global. Cependant, plus tard, lorsque l’Afrique a obtenu son indépendance, il est devenu évident qu’il y avait une indépendance politique, mais (un simple exemple) ils ne pouvaient pas ravitailler l’avion de leur invité.

Lors du sommet Russie-Afrique de 2023, le président ougandais Yousan Museveni a donné l’exemple du marché mondial du café. La majeure partie du café est cultivée et récoltée en Afrique. Le marché mondial du café est estimé à environ 450 milliards de dollars. Moins de 20% se trouve en Afrique. Le président Museveni a déclaré qu’en Allemagne seulement, en raison de la transformation, de la torréfaction, du conditionnement et de la vente, les revenus de l’industrie du café sont plus élevés que dans toute l’Afrique. Ce sont des pays qui semblent libres et dont l’économie est en grande partie achetée par les anciennes métropoles. Lorsque le Zimbabwe a décidé, il y a des décennies, de nationaliser les terres des agriculteurs blancs, il a été puni par de lourdes sanctions.

La décolonisation au sens large a eu lieu. Mais la véritable possibilité de disposer de sa liberté et de ses ressources est différente. C’est là qu’entre en jeu le néocolonialisme.

Lors de la première conférence ministérielle du Forum de partenariat Russie-Afrique à Sotchi et du sommet Russie-Afrique en 2023 à Saint-Pétersbourg, des tendances que l’on peut appeler le «deuxième réveil» de l’Afrique se sont déjà clairement manifestées. Après avoir brisé les chaînes du colonialisme (c’était la soumission brutale des peuples par les métropoles occidentales), ils ont compris qu’il fallait désormais briser les «chaînes» de la dépendance économique. Ce processus va s’amplifier.

La Russie, contrairement aux pays occidentaux, investit en Afrique de manière à stimuler la production de biens dont les Africains ont besoin. Par exemple, nous fournissons des engrais. Un certain nombre de pays africains ont les conditions pour les produire eux-mêmes. Nous les aidons dans ce sens. Il existe de nombreux exemples similaires de localisation de ce dont ils ont besoin et de ce que nous avons. C’est une philosophie différente. Peu importe que l’on hisse la «bannière» avec l’inscription «À bas le néocolonialisme» ou que l’on continue tout simplement à travailler. On ne peut plus arrêter le mouvement dans cette direction.

Question : Vous avez dit que l’arrivée au pouvoir de Donald Trump n’aura pas d’impact sur la politique américaine en Ukraine. Restez-vous de cet avis ou faut-il encore tenir compte du fait que le président américain Donald Trump est nommé à la tête de l’administration, ainsi que des candidatures et des noms de ceux qui ont évoqué à plusieurs reprises la lassitude vis-à-vis de l’Ukraine et la nécessité de cesser de dépenser de l’argent pour ce pays ? Au point que Donald Trump a parlé du retrait des États-Unis de l’OTAN. Que pensez-vous des perspectives de résolution de la situation autour de l’Ukraine lorsque l’administration Trump arrivera au pouvoir ?

Sergueï Lavrov : L’attitude de principe de Washington à l’égard des affaires ukrainiennes et européennes ne changera pas dans le sens où les États-Unis chercheront toujours à garder sous leur contrôle tout ce qui se passe dans l’espace proche de l’Union soviétique et, bien sûr, de l’OTAN. L’Union européenne est désormais l’équivalent de l’Alliance sur le plan militaro-politique. Je ne me permets pas de deviner comment cela se fera, comment ils imagineront la mise en œuvre de leurs fonctions de «contrôle» dans les nouvelles conditions (cela peut se faire de différentes manières). Mais je n’ai aucun doute qu’ils voudront garder ces processus sous leur contrôle.

Certains commencent désormais à regarder la situation ukrainienne d’un œil plus lucide et disent que «beaucoup a déjà été perdu et ne peut être récupéré», alors essayons en quelque sorte de «geler».

Question : Donald Trump a déclaré : «Résolvons ce problème en 24 heures».

Sergueï Lavrov : Ce n’est pas de cela que je parle. Je ne veux pas y prêter attention. Ceux qui prétendent aujourd’hui changer radicalement de position et vouloir arrêter la guerre disent toujours : «agissons sur la ligne de contact», «une trêve de dix ans», «on verra plus tard». Mais ce sont les mêmes accords de Minsk, mais dans un nouveau «paquet». Pire encoreLes accords de Minsk auraient été définitifs si quelqu’un avait pris la peine de comprendre qu’il en était ainsi.

Pour être honnête, il s’agissait d’une petite partie du Donbass. Tout s’est effondré parce que Vladimir Zelensky (et avant lui Piotr Porochenko) ont catégoriquement refusé d’accorder à cette partie du Donbass, qui serait restée ukrainienne, un statut spécial sous la forme du droit de parler sa langue maternelle. L’Occident a «avalé» tout cela, malgré nos nombreux rappels des causes profondes de ce conflit, y compris non seulement l’implication de l’Ukraine dans l’OTAN, mais aussi l’extermination législative et délibérée de tout ce qui était russe.

Nous n’aurons même pas le temps d’énumérer sur nos antennes les lois qui interdisent l’éducation, les médias, les événements culturels et tout simplement l’utilisation de la langue russe dans la communication quotidienne. Personne n’y prête attention.

Parmi ceux qui expriment aujourd’hui (comme ils l’écrivent) des «idées révolutionnaires» dans le camp des républicains sur la manière de mettre fin au conflit ukrainien, personne n’a mentionné nulle part que la population ukrainienne doit retrouver le droit de parler, d’étudier, d’instruire ses enfants et de recevoir des informations en russe. Nous l’avons répété à maintes reprises et nous le faisons encore. Aucun des «architectes» du «règlement ukrainien» en Occident n’y prête la moindre attention. De mon point de vue, cela signifie (à la question de la similitude des objectifs de toute administration) qu’ils sont heureux d’affaiblir la Russie et son influence, d’affaiblir le monde russe, car en fin de compte, tout ce qui se passe repose sur le désir de supprimer la Russie en tant que concurrent.

Les Américains ont longtemps proclamé qu’il ne devrait pas y avoir un seul État sur Terre qui soit plus influent que les États-Unis. C’est ce qui se passe. Mais leur attitude à l’égard de la langue russe (l’un des droits de l’homme les plus importants) est très révélatrice.

Question : L’administration Trump a déjà nommé Elon Musk. Y a-t-il un «terrain» pour une réflexion nouvelle ?

Sergueï Lavrov : Il n’y aura pas d’attentes ni de suppositions. Nous jugerons sur la base de cas concrets.

Question : En Ukraine, la question de la légitimité du pouvoir est aujourd’hui très importante. Les médias ont annoncé que des élections étaient possibles en mai 2025, au cours desquelles Vladimir Zelensky ne serait plus élu ou serait réélu. Les élections résoudront-elles la question de la légitimité et la Russie pourra-t-elle négocier avec un tel gouvernement après cela ?

Sergueï Lavrov : Je ne sais pas. Les élections peuvent être organisées de différentes manières. Vous voyez comment elles ont été «organisées» en Moldavie. On ne peut juger de la légitimité de tel ou tel processus électoral que lorsqu’on comprend ce qui s’est passé et qu’on voit comment il a été organisé.

Question : Mais il ne peut y avoir d’accord de paix avec le régime actuel de Zelensky, est-ce que nous comprenons bien ?

Sergueï Lavrov : Le président russe Vladimir Poutine a déclaré à plusieurs reprises que nous n’avons jamais refusé de négocier. Il est clair que ce n’est pas Vladimir Zelensky qui décidera. Ils nous appellent à négocier et à tout bouleverser, ils disent que c’est l’Ukraine qui veut négocier et que la Russie refuse.

Vladimir Poutine a déclaré à plusieurs reprises que Vladimir Zelensky devrait au moins abroger le décret datant de deux ans qui interdit les négociations avec le gouvernement de Vladimir Poutine. Je ne m’attarderai même plus sur ce sujet.

Question : Lors d’une réunion du Club international de discussion Valdaï, le président Vladimir Poutine a présenté un rapport complet et bien étayé sur l’évolution des relations entre les présidents de la Fédération de Russie et des États-Unis. Il a cité George H. W. Bush et George W. Bush. Une certaine partie du monde a le sentiment qu’il est possible de rétablir les contacts entre les administrations russe et américaine. Compte tenu de votre connaissance de Donald Trump, existe-t-il une base pour rétablir ces contacts ?

Sergueï Lavrov : C’est même étrange d’entendre une telle question. Le président Vladimir Poutine a déclaré lors d’une réunion du Club international de discussion Valdaï qu’il était toujours prêt à communiquer. Nous ne l’avons pas interrompu : «la balle est dans l’autre camp».

Question : Aujourd’hui, la Russie a pris un tournant mondial vers l’Est, renforçant des puissances comme la Chine et l’Inde dans les 10 à 20 prochaines années. Avons-nous la même direction avec la Chine et l’Inde, et pouvons-nous dire que la Russie (étant donné que la Chine et l’Inde peuvent avoir des contradictions en général) peut être un médiateur entre ces puissances qui gagnent en puissance, y compris en puissance économique ?

Sergueï Lavrov : Nous avançons dans la même direction. Il s’agit de renforcer la souveraineté nationale, de compter sur nos propres ressources, en priorité dans l’intérêt du développement et de tirer le meilleur parti possible des relations d’égalité et mutuellement avantageuses avec nos voisins et partenaires. Dans ce sens, la Russie, l’Inde et la Chine demeurent un triangle important, institutionnalisé par Evgueni Primakov à la fin des années 1990.


- Source : Bruno Bertez

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