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Jeudi, 21 Nov. 2024

L’Iran et Israël par Thierry Meyssan

Auteur : Thierry Meyssan | Editeur : Walt | Mercredi, 09 Oct. 2024 - 13h48

Nous commettons une grave erreur en pensant que tout l’Iran est opposé à la colonisation de la Palestine par Israël. Un groupe d’Iraniens, certes minoritaire, espère toujours relancer le commerce avec les Occidentaux au prix d’une entente avec le régime génocidaire de Benyamin Netanyahou.

Le pro-USA président Hachemi Rafsandjani est devenu l’homme le plus riche de son pays en faisant du trafic d’armes avec Elliott Abrams. Par la suite, il a envoyé des soldats iraniens se battre sous commandement de l’OTAN en Bosnie-Herzégovine. Enfin, il a participé à la révolution colorée qui tenta de renverser son successeur, le président Mahmoud Ahmadinejad.

La plupart d’entre nous pensent que la République islamique d’Iran est avant tout tournée contre Israël. C’est ne pas comprendre l’enseignement de l’imam Khomeiny et ignorer les nombreuses relations entre les deux pays.

Rouhollah Khomeiny était un anti-impérialiste dans un pays qui a d’abord souffert du Royaume-Uni, puis des États-Unis.
On l’ignore en Occident, mais pendant la Première Guerre mondiale, l’Iran a subi une terrible famine qui a décimé le tiers, voire la moitié, de sa population en en faisant l’une des principales victimes de ce conflit [1]. Cette catastrophe n’a presque pas été étudiée en Occident et n’est généralement pas mentionnée dans les ouvrages sur la Grande Guerre. Quoi qu’il en soit, les Iraniens sont persuadés que ce génocide a été causé par la réquisition des récoltes pour nourrir l’armée britannique contre les Ottomans et les Russes.
Par la suite, en 1953, le Royaume-Uni s’associa avec les États-Unis pour renverser le Premier ministre Mohammad Mossadegh qui avait nationalisé les pétroles au détriment de l’Anglo-Persian Oil Company et imposer le nazi Fazlollah Zahedi pour lui succéder [2].
Ce dernier instaura alors une police politique sadique, la SAVAK [3], avec l’aide d’un groupe de sionistes révisionnistes délégués par Yitzhak Shamir, alors responsable d’une branche du Mossad israélien.

La police politique du Shah, la SAVAK, était dirigée par Teymour Bakhtiar, mais ses officiers étaient d’anciens membres de la Gestapo allemande et des sionistes révisionnistes israéliens.

C’est pourquoi, les écrits de l’ayatollah Khomeiny sont toujours d’abord tournés contre les États-Unis et le Royaume-Uni (« le grand et le petit Satan »), Israël n’étant présenté que comme l’expression des Anglo-Saxons et non pas comme un pouvoir indépendant.

Cependant, les liens étroits de l’Empire perse avec Israël n’ont jamais cessé. Aujourd’hui encore, l’oléoduc Eilat-Ashkelon, construit en 1968 avec le Shah, reste exploité par une société détenue pour moitié par Israël et pour l’autre moitié par l’Iran. Toute publication sur les propriétaires de cet oléoduc, est punie de 15 ans de prison en Israël [4].

Ces points étant posés, il convient de rappeler l’importance de l’affaire Iran-Contras dans l’histoire de la République islamique.

Cette opération des services secrets états-uniens a été conçue par le SS-Hauptsturmführer, Klaus Barbie, qui avait organisé la dictature de Hugo Banzer en Bolivie et le cartel de Medellín. Il s’agissait d’approvisionner en armes les mercenaires pro-US qui luttaient contre la révolution se réclamant d’Augusto Sandino (les « sandinistes »). Cependant, Barbie fut arrêté et extradé vers la France. Le colonel Oliver North, qui dirigeait une équipe secrète d’assassins au sein du Conseil de sécurité nationale, reprit le dossier en main. Il imagina une opération beaucoup plus complexe : faire libérer les civils états-uniens pris en otage durant la guerre civile libanaise en échange d’armes à la République islamique d’Iran afin qu’il se défende durant la guerre imposée par l’Iraq et qu’il renverse le président Saddam Hussein. Ces armes auraient été prélevées par Israël sur celles que lui fournissaient les États-Unis et transférées en Iran. Mais une partie d’entre elles seraient parvenues aux Contras nicaraguayens. Ce projet obtint le soutien de l’assistant du secrétaire d’État, le sioniste révisionniste Elliott Abrams.

Contact fut donc pris avec un député iranien, Hassan Rohani, que les services états-uniens connaissaient de l’époque du Shah. Il les introduisit auprès du président du Majlis (parlement), Hachemi Rafsandjani. L’opération fut si importante que les commissions versées à ce dernier lui permirent de devenir l’homme le plus riche de son pays.

Malgré toutes les enquêtes officielles qui ont été conduites sur cette ténébreuse affaire, les choses les plus importantes restent secrètes. Quoi qu’il en soit, il est clair qu’Hassan Rohani (devenu président de 2013 à 2021) et Hachemi Rafsandjani (devenu président de 1989 à 1997) ont été des collaborateurs de l’équipe d’Oliver North et d’Elliott Abrams.

En 2006-2007, Elliott Abrams —toujours lui— co-dirigea avec Liz Cheney (fille du vice-président Dick Cheney) le Groupe de la politique et des opérations de la Syrie ; une institution transversale de l’administration Bush fils, disposant d’un budget ultra-secret. Elle supervisa l’aide à l’opposition iranienne et à tous ceux qui luttent contre le « régime des mollahs » où qu’ils soient.

Le sioniste révisionniste Elliott Abrams n’a pas seulement semé la terreur en Amérique latine, il a aussi influé sur la politique iranienne, porté au pouvoir l’actuelle coalition de Benyamin Netanyahou et employé durant des années l’actuel ministre des Affaires européennes français, Benjamin Haddad.

Oliver North n’est plus actif, mais Elliott Abrams a organisé la dernière campagne électorale de Benyamin Netanyahou, son alliance avec les kahanistes (Force juive d’Itamar Ben-Gvir et le Foyer juif de Bezalel Smotrich) pour reformer le courant des sionistes révisionnistes (du fasciste Zeev Jabotinsky [5]) et sa transformation des lois constitutionnelles israélienne (ce que l’opposition et de très nombreux commentateurs ont qualifié de « coup d’État »).

Les Iraniens ne souhaitent pas détruire leurs rivaux. Aussi ont-ils pris l’habitude, lorsque deux groupes entrent en conflit, de créer une commission chargée de les réconcilier. Comme elle n’y parvient généralement pas et, qu’au contraire, elle entre elle-même en conflit avec une autre institution, ils en créent une quatrième et ainsi de suite. En définitive, ils obtiennent un organigramme très complexe dans lequel la moindre décision suppose une dizaine de signatures que nul ne parvient jamais à réunir toutes. Le système s’est ainsi bloqué lui-même.

En 1993-1994, les Gardiens de la révolution envoyèrent des soldats se battre aux côtés de l’OTAN en Bosnie-Herzégovine. Ils venaient au secours du président Alija Izetbegovi?. Il n’y avait pas alors d’opposition entre la République islamique du président Hachemi Rafsandjani et les Anglo-Saxons. L’Arabie saoudite et la Légion arabe d’Oussama ben Laden participaient à cette opération conjointe.

En 2005, une vaste campagne de presse fut engagée contre le nouveau président iranien, l’anti-impérialiste Mahmoud Ahmadinejad. L’agence Reuters inventa une déclaration du président Mahmoud Ahmadinejad pour faire accroire qu’il souhaitait rayer Israël de la carte. Cette fausse citation suscita une condamnation du Conseil de sécurité des Nations unies avant que l’on se rende compte de l’intoxication et que Reuters rédige un démenti [6]. Le président Ahmadinejad avait simplement dit que l’État d’Israël, comme l’Union soviétique, serait balayé par le temps, pas que sa population devrait être jetée à la mer. Peu importe : la fausse citation figure aujourd’hui dans de nombreux livres comme un fait établi.
C’est aussi à cette époque que les Anglo-Saxons commencèrent une campagne visant à faire accroire que l’Iran souhaitait se doter de l’arme nucléaire pour écraser Israël. Ils espéraient ainsi justifier une attaque de l’Iran après celles de l’Afghanistan et de l’Iraq [7]. Or, c’est le Shah qui souhaitait se doter d’une bombe atomique ; un projet solennellement abandonné par l’imam Rouhollah Khomeiny, en 1988, et jamais relancé depuis.

En 2009, les États-Unis tentent une révolution colorée lors de la réélection du président nationaliste Mahmoud Ahmadinejad. Washington s’appuie alors clairement sur l’ancien président Hachemi Rafsandjani. Ils parviennent finalement, en 2013, à négocier avec des envoyés du guide suprême, l’ayatollah Ali Khameni, l’éviction du groupe d’Ahmadinejad de l’élection présidentielle et la désignation d’Hassan Rohani.

En 2011, le responsable du contre-espionnage iranien chargé de lutter contre l’infiltration du Mossad qui fut nommé était… un agent israélien. Il est resté en poste jusqu’en 2021 et vit maintenant en Israël. Il s’était entouré d’une équipe d’une vingtaine de personnes qui se sont enfuies avec lui en Israël. Ce sont eux qui ont organisé les assassinats des scientifiques nucléaires et le vol des archives exhibées par Benyamin Netanyahou.

La famille du nouveau ministre des Affaires étrangères iranien, Abbas Araghchi, attend avec impatience que Téhéran conclue un accord avec les États-Unis et que l’embargo commercial soit levé. Elle possède la plus grande société de vente internationale de tapis iraniens.

Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner si une source iranienne a informé Israël des lieux et des moments où il pouvait assassiner un à un les dirigeants du Hezbollah. D’autant, qu’actuellement, le guide suprême négocie avec l’administration Biden avec l’idée d’arriver à un accord avant le 5 novembre, date de l’élection présidentielle états-unienne. C’est-à-dire que les pro-USA sont aujourd’hui plus puissants que jamais à Téhéran.

Le problème principal de l’Iran n’est pas l’opposition entre conservateurs et rénovateurs, comme le prétend la presse occidentale (le conservateur Mahmoud Ahmadinejad était partisan de la liberté de porter le voile et la barbe, tandis que le rénovateur Mir Hossein Moussavi était contre la liberté des homosexuels), mais dans la paralysie des institutions. Il existe certes un courant anti-juif en Iran comme il a existé un parti nazi, mais la communauté juive est représentée au Majlis (parlement). La vie politique iranienne s’explique plutôt de manière sociologique : la bourgeoisie de Téhéran et d’Ispahan tire sa richesse du commerce international et aspire donc à l’abolition des frontières, tandis que le petit peuple des campagnes se souvient de la famine qui décima leurs familles sous le regard inflexible des Anglo-Saxons.

Ce qu’il faut retenir :

• Une petite minorité iranienne est favorable aux Occidentaux et à Israël. Le président Rafsandjani avait envoyé des soldats se battre sous commandement de l’OTAN en Bosnie-Herzégovine.
• Il n’y a pas d’impossibilité de tenir un discours anti-israélien tout en faisant des affaires avec Tel-Aviv : actuellement encore les deux États exploitent en commun un oléoduc indispensable à l’économie israélienne.
• Les pro-Israël ont exercé des fonctions importantes dans la République islamique. Il n’est pas étonnant que ce soit des officiels iraniens qui aient trahi Hassan Nasrallah.

Notes:

[1] The Great Famine and Genocide in Iran : 1917-1919, Mohammad Gholi Majd, University Press of America (2013).

[2] « CIA declassifies more of "Zendebad, Shah !" – internal study of 1953 Iran coup », National Security Archives, February 12, 2018.

[3] « SAVAK : A Feared and Pervasive Force », Richard T. Sale, Washington Post, May 9, 1977. Debacle : The American Failure in Iran. Michael Ledeen, Vintage (1982).

[4] « Israël et l’Iran exploitent ensemble le pipeline Eilat-Ashkelon », Réseau Voltaire, 2 janvier 2018.

[5] Zeev Jabotinsky est un fasciste au sens plein du terme. Il fut allié de Benito Mussolini et installa sa milice, le Betar, en banlieue de Rome sous sa protection. Jusqu’à sa mort, il soutint l’Axe face aux Alliés.

[6] « Comment Reuters a participé à une campagne de propagande contre l’Iran », Réseau Voltaire, 14 novembre 2005.

[7] « Qui a peur du nucléaire civil iranien ? », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 30 juin 2010.


- Source : Réseau Voltaire

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