Les deux faces de la politique extérieure d’Obama
Le mystère de l’administration Obama en matière de politique étrangère réside dans le fait que le président poursuit deux stratégies distinctes : une « sur la table » - il agite ses bras et hausse le ton, comme le font les guerriers du « Washington Officiel » dans leurs fauteuils - et l’autre, « sous la table » - il se conduit en réaliste et fait du pied à ses adversaires étrangers.
Depuis le début, Obama s’entoure de nombreux conseillers va-t-en-guerre, comme le secrétaire à la Défense, Robert Gates, la secrétaire d’État, Hillary Clinton, le général David Petraeus, l’assistante du Conseil national de sécurité, Samantha Power, etc.... et lit avec attention la plupart des rapport qu’ils écrivent pour lui. Mais ensuite, il a tendance à traîner les pieds et se croise les bras dès qu’il s’agit d’idées belliciste.
La récente décision d’approuver l’illusoire programme d’entraînement de 500 millions de dollars destiné à des rebelles modérés, en est la parfaite illustration. Obama s’est rallié à la rhétorique hyperbolique contre le président syrien Bachar al-Assad, s’alignant avec les néocons et les interventionnistes libéraux qui exigent son départ, mais il n’a exprimé aucun enthousiasme face à leurs différents plans farfelus visant à renverser le président syrien.
En 2012, Obama a résisté aux plans de Petraeus, Clinton et autres faucons visant à investir de façon significative dans un programme d’entraînement et d’armement des rebelles et à imposer une zone d’exclusivité aérienne sur le territoire sous contrôle des rebelles en Syrie, ce qui aurait impliqué la destruction des défenses aériennes syriennes et d’une partie importante des forces aériennes. Soit un acte de guerre majeur qui aurait provoqué un chaos sanglant comme on l’a vu avec la « stratégie de la protection » avancée par Clinton et Power pour abattre la Libye en 2011, et qui se poursuit encore aujourd’hui.
Le plan Petraeus-Clinton pour la Syrie n’était rien d’autre qu’une « violation majeure de la loi internationale », et aurait résulté en un soutien au terrorisme international, étant donné l’infiltration totale des terroristes dans le mouvement rebelle syrien. Et il n’aurait certainement pas atteint l’objectif d’un « changement de régime » modéré. Très probablement, et de loin, le résultat aurait été pire qu’un bain de sang sectaire avec la victoire certaine d’al Qaida ou autre bande liée aux terroristes.
Dans un moment de candeur, Obama a dit au journaliste du New York Times Thomas L. Friedman, qu’il était insensé de penser qu’une telle force rebelle modérée soutenue par les États-Unis puisse être très efficace. Néanmoins, Obama a finalement cédé à la pression politico-médiatique et a été d’accord pour une mission secrète d’entraînement, et, plus tard, avec le programme de $500 millions qui, selon le Pentagone, enverra « quatre ou cinq » combattants sur le terrain en Syrie.
Au-delà de l’échec évident d’un envoi sur le terrain d’une force modérée significative entraînée par le Pentagone, il y eut un problème supplémentaire : les rebelles modérés entraînés par la CIA ont partagé leur compétence et leur armement avec des groupes de rebelles syriens comme l’Armée de la Conquête contrôlée par le Front Al Nousra/al Qaida et/ou Daech. Nombre d’armes fournies par les Américains ont fini dans les mains de l’Armée de la Conquête qui a utilisé les missiles antitanks TOW contre l’armée syrienne autour de la ville d’Idlib.
Que ce soit volontairement ou non, la politique américaine avançait la perspective d’une victoire terroriste sunnite en Syrie qui pouvait conduire à un bain de sang de chrétiens, d’alaouites, chiites et autres « infidèles », ainsi qu’à pousser des millions de réfugiés syriens supplémentaires en Turquie et en Europe, exportant la déstabilisation du Moyen orient en pleine Europe.
Ainsi, en mettant un terme au programme d’entraînement de 500 millions de dollars, Obama a, finalement, fait face à la réalité « d’un probable désastre humanitaire et stratégique si al Qaeda et/ou l’État Islamique battaient l’armée syrienne d’Assad ». Au cours de sa conférence de presse du 2 octobre, Obama même révélait que la plupart des idées bancales sur une intervention en Syrie n’était qu’un tas de galimatias. Mais Obama ne pouvait pas se résoudre totalement à répudier l’interférence de l’armée américaine, et remplaça le programme d’entraînement soldé par un échec, par un autre schéma consistant simplement à donner des armes et des munitions à quelques chefs rebelles considérés comme fiable dans la bataille contre IS/ISIS, « une approche de compromis que même l’éditorial du très « faucon » New York Times a jugé hallucinante ».
En substance, ces incohérences entre les paroles et les actes d’Obama reflètent la nature schizophrénique de sa personnalité, à la fois « sur » « et « sous » la table. Alors que « sur la table », Obama continue de fulminer contre la décision d’Assad et de la Russie de renforcer le soutien au gouvernement, l’Obama « sous la table » semble reconnaître que l’entrée des Russes dans la guerre n’est pas la catastrophe que le « Washington Officiel », y compris lui-même et ses conseillers, avaient prédite. Effectivement, malgré sa rhétorique enflammée et celle de son entourage, il y a une relation logique entre les intérêts fondamentaux d’Obama en Syrie et ceux du président Vladimir Poutine.
Obama a résisté à l’idée d’engager des centaines de milliers de soldats étasuniens dans une autre guerre totale au Moyen Orient qui pourrait bien se terminer par la victoire d’IS et des exécutions massives d’« infidèles » à Damas, ou voir al-Qaida transformer la Syrie en un nouveau quartier une nouvelle base d’organisation d’attaques terroristes en Occident.
Les perspectives d’une victoire terroriste sont plus incertaines si le soutien aérien russe et l’aide iranienne au sol peuvent aider l’armée syrienne à repousser les avancées de l’EI et de l’Armée de la Conquête qui est contrôlée par al-Nousra/alQaida.
Ainsi, l’évolution logique d’un Obama « sur la table » serait de coopérer avec Poutine pour une initiative de paix qui prendrait le dessus sur la rhétorique « Assad doit partir », et favoriserait une coopération concrète avec la Russie pour la mise en place d’un partage politique du gouvernement entre Assad et les sunnites modérés qui ont profité des largesses américaines et sont, ainsi, sensibles aux pressions de Washington. Plus important encore, Obama pourrait finalement prendre des mesures sérieuses à l’égard de l’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie et Israël quant à leur soutien aux rebelles extrémistes syriens, et planter, finalement, un clou dans la théorie selon laquelle le soutien au terrorisme est inséparable des actes terroristes.
Mais cet Obama « sur la table » semble avoir peur des répercussions politiques à l’intérieur s’il effectuait une avancée aussi rationnelle, et il continue de fulminer contre « Assad le dictateur brutal et sauvage qui largue des barils pour massacrer des enfants innocents », comme si c’était « les seules armes diaboliques », et comme si Assad visait d’innocents enfants, alors qu’il n’y a aucune preuve. Une telle croisade propagandiste ne sert qu’à justifier pourquoi le mantra du doute répété par Obama : « Assad doit partir ! » Il a, également, peur du sénateur néocon John Mac Cain, l’ancien candidat républicain à la présidence qu’il a vaincu en 2008, mais qui continue d’être invité à toutes les émissions télé d’information pour reprocher au président de ne pas s’être engagé davantage dans les conflits syrien, ukrainien et autres sur la planète.
Obama et ses propres néocons
En outre, Obama se voit encerclé par ses propres néocons comme Ashton Carter, le secrétaire à la Défense, et les interventionnistes, comme l’ambassadrice aux Nations Unies Samantha Power. Il doit réaliser que de tels idéologues n’abandonneront pas leur volonté d’un « changement de régime ».
On peut clairement reprocher à Obama ses recrues, que ce soit la peu judicieuse « équipe de rivaux » du début de sa présidence, ou l’actuel mélange de « non-êtres » pour la plupart et de « neocons-allégés » de son second mandat. Mais la faible qualité de ces responsables montre aussi à quel point le banc démocratique de politique étrangères est étroit après trente ans et demi de repli face aux accusations républicaines et médiatiques de « mollesse démocrate non américaine ».
Aujourd’hui, les démocrates ne sont pas capables de formuler un argument de politique étrangère qui sépare les vrais intérêts américains des aventures impérialistes. Ils acceptent généralement le discours « néocon » sur les « mauvais garçons », puis, soit ils approuvent une nouvelle opération de « changement de régime », comme Obama et d’autres l’ont fait en Libye en 2011, soit ils traînent les talons pour freiner ou stopper le plan le plus dangereux.
La grande majorité des « experts » démocrates en politique étrangère, qui ont survécu politiquement, sont devenus soit des « moi aussi », caisses de résonnance des « néocons » républicains (comme Hillary Clinton), soit ont adopté un « humanitarisme » militant favorisant les coups ou la guerre au nom des « droits de l’homme » (comme Samantha Power).
Il y a bien des démocrates de l’establishment, comme le vice-président Joe Biden et le secrétaire d’État John Kerry, qui sont probablement mieux avisés, mais ils ont pris l’habitude de s’accommoder des pressions néocons et faucon-libérales. Biden et Kerry ont, tous deux, ignoré leurs meilleurs jugements pour voter en faveur de la guerre d’Irak en 2002, et ils ont reproduit le discours dur néocon sur la Syrie et l’Ukraine.
Mais Biden et Kerry représentent probablement le courant démocrate le plus réaliste, le plus en accord avec l’Obama « sur la table ». Biden s’est opposé à la guerre injustifiable, mais sanglante, en Afghanistan, « brusquement déclenchée » en 2009 ; Il s’et aussi battu contre les désirs d’intervention militaire en Libye et en Syrie de la secrétaire d’État Clinton. De son côté, Kerry en tant que secrétaire d’État, a assuré la négociation d’Obama sur le nucléaire iranien, une approche à laquelle Clinton s’était opposée.
Le réalisme en matière de politique étrangère de Biden et Kerry est, au mieux, inconsistant. Les deux ont couru avec l’équipe neocon/faucon-libéraux dans l’escalade de la tension avec la Russie concernant l’Ukraine, et Kerry s’est rué sur les accusation dangereuses contre Assad quant à l’attaque au gaz sarin du 21 août 2013, dans la banlieue de Damas, et contre la Russie qui aurait abattu le vol de la Malaysia Airline 17, dans l’est de l’Ukraine.
Pas même un progressiste comme le sénateur Bernie Sanders, lui-même, n’exprime clairement des alternatives sensées aux discours des néocons/faucons-libéraux, bien qu’il ait voté contre la guerre d’Irak et ait, généralement, favorisé des actions moins agressives à l’étranger. Mais aucune personnalité importante du Parti démocratique n’a conçu une stratégie globale pour une politique étrangère américaine non impérialiste, une incohérence qui contribue à expliquer les aspects contradictoires de l’approche du monde par Obama.
Alors que l’idéologie dominante chez les Républicains reste le néo-conservatisme, la première approche des Démocrates est « l’interventionnisme libéral », mais il n’y a pas réellement beaucoup de différence entre les deux d’un point de vue pratique. De fait, le néocon Robert kagan a déclaré que cela ne lui posait aucun problème de se qualifier lui-même d’ « interventionniste libéral ».
Interventionnistes libéraux
Les néocons et les interventionnistes libéraux préfèrent une stratégie de « changement de régime » comme ligne directrice de la politique étrangère étasunienne, plutôt qu’une « révolution de couleur » ou l’invasion au nom du « devoir de protection ». Ils s’appuient, aussi, lourdement sur une « communication stratégique » ou « stratcom », un mélange de « psy-ops » (Opérations psychologiques), propagande et relations publiques, pour mettre le peuple américain et l’opinion publique internationale sur la bonne voie.
C’est pourquoi, une fois développé le thème de propagande, tel que accuser Assad de l’attaque au sarin et la Russie d’avoir abattu le MH-17, « il n’y a aucune révision ou correction, même quand la preuve conduit dans une direction différente. Le discours erroné doit être maintenu, car il est utile en tant qu’arme « stratcom » pour discréditer et affaiblir un adversaire au yeux du public ».
Même quand Obama est tout à fait au courant, il colle à la « stratcom », au mieux pour battre un ennemi. Obama peut abandonner les fausses allégations dans les discours futurs, mais il ne se rétractera pas sur ce qu’il a dit avant. Il faut noter qu’ il a peu parlé ou pas parlé sur l’affaire du sarin et l’incident du MH-17 après les avoir initialement brandis comme armes de propagande respectivement contre Assad et Poutine.
Ainsi, au lieu de dire la vérité vraie au peuple des États-Unis, Obama remplace juste les vieilles lignes d’attaque par des nouvelles. Ses derniers commentaires sur les Russes en Syrie ont résonné comme une jubilation prématurée quant à la perspective d’un marasme russe en Syrie, préparant un « je vous l’avais bien dit », comme si prouver qu’on a raison est plus important que résoudre la crise.
Mais Obama veut-il vraiment que l’offensive soutenue par les Russes contre al-Qaeda/al-Nousra et l’EI échoue et que les terroristes gagnent ?
Ce résultat donnerait sans doute du grain à moudre aux think-tanks et aux éditoriaux dans les médias, mais une victoire terroriste serait une catastrophe humanitaire pour le peuple syrien, et un désastre stratégique pour l’Occident qui voit déjà l’Europe sous la pression du flot de réfugiés. On pourrait penser qu’une approche plus mature et responsable verrait les États-Unis et l’Europe faire leur possible pour aider les Russes à réussir à faire acte d’autorité envers les pays qui aident al-Qaida et l’EI, et faciliter des négociations de paix sérieuses entre Assad et des politiques sunnites modérés. Peut-être que l’Obama « sous la table » évoluera dans cette direction dans les semaines à venir, mais l’Obama « sur la table » semble plus effrayé de commettre un faux pas social qui offenserait le « Washington Officiel ». Il semble avoir plus peur de cette critique, qu’il ne se soucie de sauver des vies et d’apporter la paix en Syrie.
(Robert Parry est un journaliste d’investigation connu pour ses enquêtes sur l’affaire « Iran-Contra » pour The Associated Press et Newsweek dans les années 1980. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont une trilogie sur la famille Bush).
- Source : Robert Parry