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Rockin' Squat : « Beaucoup de Brésiliens souhaitent que le Brésil ne gagne pas »

Auteur : So foot | Editeur : Stanislas | Vendredi, 13 Juin 2014 - 15h44

Rockin' Squat vit depuis plus de dix ans au Brésil. Une situation qui permet au leader d'Assassin, toujours aussi militant, de poser un regard très critique sur les agissements de la FIFA dans son pays d'adoption. Sans oublier de préciser que le Mondial n'est pas la seule source de révolte au pays de Pelé.

Tu vis au Brésil depuis plus de dix ans. Pourquoi ?

La première fois que j'y suis allé, c'était pour jouer. J'ai adoré l'ambiance du pays, la gentillesse et la générosité des gens. J'y suis retourné pour la musique, et de fil en aiguille, je m'y suis installé et aujourd'hui, ma famille est brésilienne. Je suis souvent à Rio pour le boulot, mais je vis à la frontière avec le Paraguay, dans le Pantanal, un état pas du tout touristique et très sauvage, où il y a beaucoup de problèmes avec les indigènes. C'est un endroit où il y a beaucoup d'assassinats d'indiens par les fazendeiros, ces fermiers qui essaient de garder leurs terres. Le gouvernement brésilien a mis en place une loi qui autorise les sans-terre, pour la plupart indigènes, à s'installer sur leur territoire d'origine. Mais les fazendeiros, qui sont installés depuis plusieurs générations, ne sont pas d'accord. Et cela donne des scènes absurdes, avec des gens qui sortent des fusils mitrailleurs et shootent tout le monde, femmes, enfants, vieillards compris. La Coupe du monde n'est pas vraiment le seul problème au Brésil.

Qu'est-ce qui te dépayse le plus, lorsque tu reviens en France ?

Le Brésil m'a rendu beaucoup plus patient. Je ne suis plus pris par le rush, j'ai appris à apprécier l'instant présent. Ce qui me choque à Paris, c'est tout ce stress pour rien. Les gens qui courent tout le temps, qui font la gueule parce qu'ils n'ont pas été servis assez rapidement, parce qu'il y a la queue... Si tu vas au restaurant dans une ville comme Bahia, tu prends ton après-midi, ils peuvent mettre trois heures pour te servir un poisson. Mais je reste français, donc quand je rentre, j'apprécie les bons côtés. On est quand même dans un pays où l'offre culturelle est importante et qui est un semblant de démocratie, même si on peut toujours critiquer. Par exemple, la police n'est pas la même qu'au Brésil, qui était une dictature il y a trente ans. Pendant les manifestations, j'ai vu comment la police militaire pouvait te charger, et même t'abattre simplement parce que tu revendiques. J'ai travaillé sur des programmes avec des détenus, les conditions d'emprisonnement sont incroyables. C'est un autre siècle, ils sont soixante par cellule. Il y a ceux qui dorment pendant que les autres sont debout, et quand ils ont fini de dormir, ils se mettent debout pour laisser les autres s'allonger. Donc oui, on peut critiquer la France, mais il faut relativiser.

La BOPE (Bataillon des opérations spéciales de police), le groupe d'intervention de la police militaire de l'État de Rio, est réputé comme étant particulièrement violent...

Ils sont durs, oui. Mais il faut faire attention avec les stéréotypes. Au Brésil, je me sens beaucoup moins en danger qu'à certains moments en France. C'est un pays, qui contrairement à la France, n'est pas du tout agressif, mais très violent quand ça éclate. Et cela n'éclate jamais pour rien, ce n'est pas de la violence gratuite.

« Les gens qui organisent cette compétition sont les mêmes que ceux qui possèdent les satellites, les armées, et qui contrôlent le monde en général »

Les manifestations qui ont éclaté l'été dernier pendant la Coupe des confédérations ont surpris tout le monde, non ?

Oui, ce n'est pas un peuple qui est habitué à manifester. Mais il y a une nouvelle génération qui, grâce à internet, est beaucoup plus au courant des façons de se faire entendre. Parce que les premières manifestations n'étaient pas faites par les gens des favelas, c'étaient des professeurs, des biologistes, qui protestaient contre l'augmentation du prix du ticket de bus. Ensuite, à Rio, la vraie prise de conscience a eu lieu lorsque l'État a voulu détruire le musée indigène pour construire un parking pour le Maracanã. Là-dessus, Cabral, le gouverneur de Rio, s'est comporté comme une merde, on l'a chopé dans des histoires de corruption, donc le peuple a squatté pendant plus de deux mois devant sa maison. En plus, il habite à Leblon, un des quartiers les plus touristiques de Rio, au bout d'Ipanema. Cocktails Molotov, affrontements avec la police, cela ne s'est jamais arrêté et le peuple s'est fait entendre.

La déclaration de Platini n'a pas dû arranger les choses...

Romário, qui est maintenant député, est un des rares politiciens à tenir un discours qui va dans le sens du peuple. Il explique que la FIFA vient au Brésil, et monte un État dans l'État. Elle met le pays à l'amende, lui donne des directives, lui dit quelles lois voter et comment calmer la population pour qu'on lui déroule le tapis rouge, qu'elle se fasse des milliards d'euros et qu'elle reparte. Et la réflexion de Platini est nulle. Son analyse, le ton qu'il prend, c'est tout simplement : « Nous, les nantis, on est au-dessus du peuple. » Mais nous, les gens du peuple, qui sommes proches de la rue, on ne croit pas du tout en la FIFA. On ne les écoute plus depuis très longtemps. Platini est une grosse tête de con qui ne mérite pas de venir au Brésil, je n'ai aucun respect pour lui. Le mec parle « d'éclats sociaux », n'importe quoi ! À un moment, il faudrait que la FIFA comprenne que là où ils organisent leurs Coupes du monde, ce n'est pas chez eux.

« Beaucoup de Brésiliens souhaitent que le Brésil ne gagne pas »

Cela peut vraiment péter dans la rue, pendant la compétition ?

Je ne pense pas. La Coupe du monde est un événement tellement important, mondialement, que de toute façon, les gens qui organisent cette compétition sont les mêmes que ceux qui possèdent les satellites, les armées, et qui contrôlent le monde en général. Ils sont financièrement, politiquement, militairement, tellement puissants, que de toute façon, les sites sur lesquels aura lieu la compétition seront verrouillés. L'argent va là. Si c'est parti en couille à Rio, c'est parce qu'ils ont nettoyé toute la Zona sur, le quartier touristique. Ils ont fait sauter tous les plus grands trafiquants, qui contrôlaient les favelas proches, et ils ont installé l'UPP (Union de police pacificatrice) pour mettre la main sur des quartiers qui leur échappaient. En faisant en sorte que par la suite, les pauvres ne reviennent plus dans ces quartiers où le mètre carré vaut très cher. Un peu comme ce qui a été fait à la Goutte d'or, à Paris. On préfère vendre les appartements à des bobos, plutôt que d'avoir un ghetto en plein Paris. À Rio, c'est Eike Batista, un magnat de l'immobilier, qui paie l'UPP. Ce n'est pas le gouvernement qui finance sa propre police. Ce sont des agents immobiliers qui paient la police nationale militaire, ça laisse imaginer ce qu'il y a derrière... Et le peuple brésilien est conscient de ça, c'est pour cela que ça ne passe pas.

Est-ce qu'une victoire du Brésil à la Coupe du monde peut suffire à calmer le peuple ?

Beaucoup de Brésiliens souhaitent que le Brésil ne gagne pas. Parce que si le Brésil gagne, la pilule va passer. C'est quand même dingue qu'au pays du football, une partie du peuple ne soit pas content d'avoir la Coupe du monde.

 

Rockin' Squat s'est lancé depuis début juin dans la production de documentaires sur le Brésil. Dans ce premier épisode, intitulé « Atrás da Copa » (« Derrière la Coupe »), le leader d'Assassin nous fait découvrir les dessous de l'organisation du Mondial. Et mieux comprendre la révolte qui gronde au pays du football.


- Source : So foot

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