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Mardi, 30 Avr. 2024

Fin de partie pour Netanyahu et les ambitions de sa clique d’extrême droite

Auteur : Mitchell Plitnick | Editeur : Walt | Lundi, 08 Avr. 2024 - 13h21

Les événements de ces derniers jours laissent penser que la fin de partie israélienne se profile à l’horizon. Les objectifs du gouvernement d’extrême droite de Netanyahou ne se limitent pas à Gaza : il veut s’emparer de toute la Palestine et déclencher une guerre avec le Hezbollah et l’Iran.

Malgré ce qu’il dit en public, le gouvernement Netanyahou sait que le Hamas ne peut être éradiqué par la force, et que toute tentative en ce sens ne fera que radicaliser un nombre bien plus important de personnes, tant en Palestine que dans le monde entier, contre Israël. Ces personnes s’en prendront, de manière violente ou non, à Israël dans les années à venir. Seul un imbécile ne s’en rend pas compte. Et quels que soient les dirigeants israéliens, ce ne sont pas des imbéciles. Quel est donc leur objectif final ?

Ils ont clairement démontré que la libération des otages détenus à Gaza n’était pas leur priorité. Si c’était le cas, ils auraient depuis longtemps conclu un cessez-le-feu pour obtenir la libération des otages, une voie qui s’est déjà avérée efficace, alors que l’assaut d’Israël a déjà entraîné la mort de dizaines d’otages.

Si les objectifs déclarés sont faux – et ils le sont manifestement -, on peut se demander quelle est la finalité réelle d’Israël. Les actions israéliennes ont-elles un objectif non avoué ? Les événements de ces derniers jours suggèrent que nous sommes peut-être en train de voir cette finalité se dessiner.

En l’espace de quelques jours, Israël a pénétré profondément sur le territoire du Liban pour assassiner de manière ciblée un dirigeant du Hezbollah. Il a confisqué une grande partie des terres palestiniennes dans la vallée du Jourdain. Il a détruit le consulat iranien à Damas, tuant sept conseillers militaires iraniens, et il a mené une opération meurtrière visant les véhicules de la World Central Kitchen, tuant six travailleurs humanitaires internationaux et un travailleur humanitaire palestinien.

Ces événements peuvent sembler disparates, reliés uniquement par les actions d’une armée israélienne qui a complètement déraillé, mais qui continue à bénéficier du soutien et de l’impunité des États-Unis et de l’Europe. Mais il se peut qu’il y ait davantage de liens entre eux.

L’extrême droite israélienne saisit une opportunité

Il est largement admis, et à juste titre, que le Premier ministre israélien Benjamin a tout intérêt à prolonger les opérations à Gaza. On craint également qu’Israël n’essaie d’étendre le conflit au Hezbollah, voire à l’Iran, une extension des combats qui pourrait bien pousser les États-Unis à s’en mêler également.

Les récents incidents semblent indiquer qu’Israël accélère ses actions dans cette direction. Et c’est là que nous devons nous pencher sur l’aile droite israélienne, plutôt que de nous concentrer sur les intérêts personnels sans envergure de Netanyahou.

Pendant des décennies, l’extrême droite israélienne a ressenti les contraintes imposées par la dépendance d’Israël à l’égard du soutien militaire et politique des États-Unis, et par l’importance de ses échanges commerciaux avec l’Europe. Ces dernières années, Israël, sous la direction de Netanyahou, s’est efforcé de diversifier ses partenaires commerciaux, et a même cherché à conclure davantage de contrats d’armement et d’accords politiques avec d’autres pays. Mais il n’a pas été en mesure de remplacer les États-Unis et l’Europe en tant que principaux mécènes d’Israël.

Mais aujourd’hui, l’extrême droite israélienne se trouve dans une position de pouvoir jamais approchée auparavant. Elle est au sommet de sa popularité en Israël, en particulier auprès de la jeune génération d’Israéliens. La fenêtre d’Overton de la politique israélienne s’est déplacée plus à droite que jamais, à tel point qu’un leader radical de colons comme Naftali Bennett était considéré comme occupant le centre politique, bien qu’un peu à sa droite.

Pourtant, avant le 7 octobre, l’extrême droite n’était pas encore assez puissante en Israël pour faire basculer le pays dans son camp fasciste. Ses tentatives se sont heurtée à une réaction de colère tenaces dans tout le pays – les manifestations fréquentes que nous avons tous vues.

Mais l’attaque du Hamas a radicalement changé la donne. Pour les partisans de la ligne dure du Likoud, du Pouvoir juif et du Sionisme religieux, une occasion en or s’est présentée.

Le pays était galvanisé par la colère, la haine et la peur. C’était l’opportunité pour principaux dirigeants du gouvernement de faire tout ce qui était en leur pouvoir pour détourner la responsabilité des résultats cataclysmiques de l’attaque du Hamas de leur propre incompétence, pourtant largement responsable du succès sanglant des attaquants. Ils allaient agir de toutes les manières possibles pour canaliser la colère et la soif de sang du pays vers Gaza, de peur qu’elle ne se retourne davantage en interne et que les Israéliens ne demandent des comptes à leurs dirigeants pour leurs échecs.

Netanyahou serait évidemment tout acquis à tout ce qui pourrait non seulement lui permettre de rester au pouvoir, mais aussi lui donner l’occasion de rétablir son pouvoir sur Israël (bien qu’il ait réussi à gâcher cette occasion). Mais pour le groupe le plus important d’idéologues d’extrême droite, il s’agissait d’une occasion de mettre enfin à l’épreuve leur “solution”, à savoir une violence débridée et écrasante.

C’est ce raisonnement qui est à l’origine de l’assaut contre Gaza. Rendre Gaza inhabitable, anéantir l’infrastructure civile de Gaza et tuer des dizaines de milliers de Palestiniens à Gaza n’est pas seulement l’expression de la violence ou de la rage. C’est la tentative de la droite israélienne de “gagner” la guerre de 1948. Une tentative pour “résoudre” le “problème palestinien” en éradiquant le mouvement national palestinien.

Le Hamas en est venu à représenter la résistance armée à l’occupation israélienne, à la dépossession et au déplacement des Palestiniens. Comme toujours, il faut rappeler au monde qu’un peuple occupé a droit à la résistance armée, et que la question de savoir si le Hamas ou d’autres groupes ont toujours agi dans les limites de ce droit est une autre question. Gaza est l’endroit où réside la population la plus résiliente du mouvement national palestinien, la région où, quels que soient ce qu’Israël lui ait infligé au fil des décennies, la détermination palestinienne demeure.

En détruisant Gaza et en resserrant son emprise – et, plus tard, en intensifiant la violence – sur la Cisjordanie, l’extrême droite israélienne entend mettre fin aux débats sans fin sur la solution à deux États en rendant la question sans objet. C’est bien sûr ce que l’expansion des colonies et les diverses “mesures de sécurité” tentent de réaliser depuis des années, mais le 7 octobre a été l’occasion d’accélérer ce processus, comme l’extrême droite l’a toujours souhaité.

Quand les puissances mondiales regardent ailleurs

Israël avait les coudées franches. le président américain soutenait pleinement ses actions, comme aucun président auparavant. La Russie est bien trop occupée en Ukraine pour aider les Palestiniens ou même son allié syrien. L’Europe a suivi en grande partie l’exemple américain et connaît déjà des divisions quant à son implication en Ukraine. La Chine ne s’implique pas aussi directement dans les conflits étrangers. Tous ces éléments se sont combinés pour offrir à Israël l’occasion la plus favorable jamais eue d’aller jusqu’au bout, avec un minimum d’interférence de la part des puissances extérieures.

Son ambition s’étend bien au-delà de Gaza. Il y a deux semaines, Israël a volé huit cent hectares de terres palestiniennes dans la vallée du Jourdain, en Cisjordanie. Le ministre des finances, Bezalel Smotrich, les a déclarées “terres d’État”, et ce le jour même où le secrétaire d’État américain Antony Blinken est arrivé en Israël pour s’entretenir avec M. Netanyahou.

Le moment choisi n’était pas fortuit. Smotrich voulait voir si les États-Unis réagiraient. Ils ne l’ont pas fait. En effet, les terres annexées font partie de la zone entourant la colonie de Ma’ale Adumim qui coupe la Cisjordanie en deux, rendant la création d’un État palestinien viable encore plus complexe qu’auparavant. Alors que la solution des deux États est depuis longtemps sans espoir, M. Biden continue à en parler comme d’un fantasme utile. Aujourd’hui, il vient de démontrer une fois de plus à quel point elle est illusoire.

Ce vol de terres va de pair avec l’escalade de la violence israélienne, les raids quotidiens et l’impunité accordée aux colons pour leurs pogroms dans les villages palestiniens, entraînant l’abandon de bon nombre d’entre eux. Une nouvelle escalade en Cisjordanie est très probable une fois qu’Israël en aura fini avec Gaza.

L’opportunisme régional israélien

Mais la droite opportuniste ne s’arrête pas à la Palestine. Ses incursions à l’intérieur du Liban ont suscité de vives inquiétudes, même à Washington, qui craint une explosion régionale. Jusqu’à présent, le Hezbollah a voulu éviter une escalade majeure avec Israël. Mais il a refusé de se redéployer au nord du fleuve Litani, comme l’y oblige la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies après la guerre de 2006, et il continue de tirer des roquettes, principalement sur des cibles militaires, dans le nord d’Israël, en solidarité avec Gaza. Là aussi, le problème disparaîtra dès qu’Israël mettra fin à sa campagne génocidaire.

Pourtant, à mesure qu’Israël tue des combattants du Hezbollah et des civils libanais, le Hezbollah pourrait se sentir contraint d’engager un conflit plus musclé avec Israël. Les incursions israéliennes dans les régions du nord-est du Liban semblent destinées à déclencher l’affrontement entre Israël et Hezbollah.

L’objectif ultime d’amener le Hezbollah à combattre plus directement Israël est double : premièrement, éliminer la capacité du Hezbollah à affronter Israël et, deuxièmement, attirer enfin l’Iran dans un conflit direct. C’est très probablement ce qui a motivé l’attaque du consulat iranien à Damas en début de semaine.

Cette idée ne semble pas avoir échappé à la Maison Blanche. Elle s’est montrée étonnamment prompte à désavouer toute connaissance ou implication dans l’attaque israélienne à Damas, mais elle ne l’a pas été autant à essayer de couvrir Israël dans cette affaire.

L’Iran, quant à lui, n’est pas prêt à laisser les États-Unis s’en tirer aussi à si bon compte. Après tout, Washington les accuse régulièrement d’être responsables des actions de leurs alliés, que Téhéran y soit pour quelque chose ou non. De même, l’Iran tient les États-Unis pour responsables et, à chaque fois qu’ils riposteront, ils risquent donc de s’en prendre aux forces américaines dans la région, à des citoyens ou à des sites israéliens à l’étranger, voire aux deux à la fois.

Israël savait forcément que l’attaque contre Damas aboutirait à ce résultat. L’excuse invoquée pour justifier l’attaque du consulat, à savoir qu’il était utilisé à des fins militaires, n’est pas très convaincante. Les consulats servent régulièrement de base aux militaires et aux services de renseignement pour leurs activités et leurs réunions, entre autres. Et ce n’est pas pour autant qu’ils sont des cibles légitimes.

Non, il s’agissait d’une provocation délibérée, destinée à susciter une réaction iranienne et à pousser les États-Unis à s’impliquer davantage dans une agression contre l’Iran.

D’aucuns pourraient trouver absurde que l’extrême droite israélienne, qui n’a pas fait preuve de grandes compétences en termes de réflexion stratégique, ni même de professionnalisme au sein d’un gouvernement, puisse élaborer de tels plans.

Mais l’analyse est juste. Israël est cependant parvenu à cette situation non pas à dessein, mais plutôt en tirant parti des occasions qui se présentaient à lui. Le 7 octobre a été la clé, offrant à la droite israélienne la chance dont elle a toujours rêvé – utiliser une force massive et débridée pour régler une fois pour toutes le conflit centenaire entre le sionisme et le nationalisme palestinien. Au fur et à mesure que l’offensive se poursuivait, l’occasion d’affronter l’ennemi juré de la région, l’Iran, s’est présentée et reste présente, bien que plus discrètement, car Israël n’a pas l’avantage d’une force écrasante contre un ennemi sans défense, comme c’est le cas à Gaza.

Si Joe Biden a réagi vivement à l’assassinat des travailleurs humanitaires de la World Central Kitchen, on peut espérer que lui-même, ou ceux qui le conseillent, reconnaissent le danger qu’Israël représente à travers ses divers agissements. La rapidité avec laquelle Washington a nié toute implication dans l’attentat de Damas pourrait laisser penser que quelqu’un à la Maison Blanche sait ce qui se trame. La demande de cessez-le-feu à Gaza formulée par Joe Biden pourrait, espérons-le, indiquer qu’il tente de contrer les efforts déployés par Israël pour entraîner les États-Unis dans une guerre régionale.

La tentative opportuniste de Netanyahou de déclencher une guerre plus étendue dans l’espoir de vaincre enfin les Palestiniens et l’Iran n’est pas un acte que d’autres dirigeants israéliens auraient cautionné. Benny Gantz, Yair Lapid, et même un personnage aussi à droite sur la question palestinienne que Gideon Sa’ar ne sont pas du genre à vouloir risquer des répercussions permanentes et majeures sur les relations entre les États-Unis et Israël, ainsi qu’une guerre régionale qu’Israël n’est absolument pas sûr de gagner.

Mais M. Biden a également su saisir avec cynisme une opportunité, bien que potentiellement positive, en exploitant le dégoût de l’Europe et de l’opinion publique américaine face à l’assassinat gratuit de travailleurs humanitaires par Israël pour enfin proférer une véritable menace à l’encontre de M. Nétanyahou. D’ores et déjà, Israël a été contraint d’accepter d’ouvrir les frontières de Gaza à l’aide humanitaire (on se demande comment Biden et Blinken concilient cet accord avec leurs affirmations ridicules selon lesquelles Israël ne violait pas le droit international en bloquant l’aide humanitaire).

Reste à savoir si M. Biden est réellement disposé à préserver les intérêts nationaux américains et à éviter d’être entraîné dans la guerre régionale souhaitée par les dirigeants actuels d’Israël. On peut raisonnablement espérer que Washington en est conscient, ce qui a motivé l’évolution de ces dernières semaines vers un rejet des torts sur Netanyahou et un appel aux Israéliens à l’évincer – un appel clairement pris en compte par Benny Gantz.

Joe Biden a clairement fait comprendre que les souffrances des Palestiniens n’avaient aucune importance à ses yeux. Mais lorsque des Européens blancs et des Américains d’origine canadienne sont tués, il n’a d’autre choix que de réagir. On peut espérer qu’il en sera de même pour maintenir les États-Unis à l’écart d’une guerre régionale qui ne saurait être déclenchée sans espoir qu’Israël n’y entraîne les États-Unis. La seule façon de l’arrêter est de mettre fin au génocide à Gaza.

Photo d'illustration: Une affiche de campagne à Tel Aviv où figurent, de gauche à droite, Itamar Ben-Gvir, Benjamin Netanyahou et Bezalel Smotrich. (Photo : Jamal Awad)


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