« L’officier de police veut me pousser à avouer ce que je n’ai pas fait, je ne cède pas. »
Dimanche 26 janvier aux alentours de 18h. La manifestation « Jour de colère » s’achève, les organisateurs appellent à la dispersion.
Je n’ai même pas le temps de sortir saucisson et cacahouètes que j’avais apportés pour l’apéro que les CRS envoient les premières salves de grenades lacrymo après avoir bouclé la place Vauban. La réaction est immédiate : se sentant pris au piège, des centaines de manifestants jusque-là pacifiques courent dans tous les sens, certains se replient face aux gaz lacrymo, d’autres tentent de forcer les barrages de CRS pour échapper à la nasse mise en place par la préfecture de police. De mon côté, j’ai perdu de vue mes amis dans la panique générale et, voulant ne pas me mêler à un groupe particulièrement excité, je me rapproche des lignes de CRS malgré les gaz. Isolé, je suis une proie facile ; aussitôt un groupe de policiers en civil m’a sauté dessus et tiré derrière le cordon de CRS avant même que je comprenne ce qui m’arrive. C’est alors que je subis un véritable passage à tabac : coups de poing, de pied et… de matraque ! Alors que n’ai fait preuve d’aucune rébellion, les agents se défoulent sur moi. J’ai mal partout et particulièrement au bras gauche, j’ai le cuir chevelu ouvert et du sang coule sur mon visage, il est 18h30…
On me fait attendre dans un fourgon cellulaire avant de me conduire dans un bus de la police où je tombe des nues lorsque j’apprends que je suis interpelé pour « violences sur agent dépositaire de la force publique ». Je refuse de signer le PV d’interpellation. Je suis ensuite conduit au commissariat du 5e où je suis assez rapidement mis en cellule avec neuf autres personnes dont deux journalistes qui n’en reviennent pas d’être là non plus. Les heures passent, interminables. On discute, on essaie de dormir malgré le froid et les deux couvertures pour dix. Nous sommes appelés chacun notre tour pour faire notre déposition. 4 heures du matin : c’est mon tour, j’apprends que je suis soupçonné « d’avoir lancé des projectiles sur les forces de l’ordre », lesquels, je ne sais pas mais, de toutes façons, je conteste ces allégations. 11 heures du matin : après avoir réclamé une bonne dizaine de fois un médecin, je finis par en voir un mais il est trop tard pour faire les points de suture qui auraient été les bienvenus. J’ai toujours très mal au bras gauche.
Lundi après-midi : je suis à nouveau convoqué devant un officier. Je comprends alors que j’ai de réels problèmes : il veut me pousser à avouer ce que je n’ai pas fait, je ne cède pas. Il m’annonce alors que ma garde à vue va être portée à 48 heures car les policiers que j’ai blessés sont à l’hôpital et ne pourront être là que le lendemain pour une confrontation ! Je suis raccompagné à ma cellule et commence sérieusement à broyer du noir : je suis visiblement accusé de quelque chose de grave et je ne sais pas de quoi, puisque je ne l’ai pas commis ! Je pense alors au film « L’Aveu » de Costa-Gavras, histoire de bien me plomber le moral. Pour ne rien arranger, mes camarades d’infortune me quittent un à un : certains pour la liberté, d’autre pour une comparution immédiate (qui se tiendra finalement le lendemain après-midi).
Ma deuxième nuit passera plus rapidement : des siestes interrompues par le passage de compagnons de cellule illustrant la France d’après : un dealer sénégalais, des vendeurs de Touw’ Effèle (sénégalais aussi), un Algérien arrêté pour conduite en état d’ivresse et des Géorgiens camés. A minuit, nouvelle visite chez un médecin : celui-ci me met trois jours d’ITT et bande mon bras gauche qui me fait souffrir. Mardi matin, 9 heures : confrontation avec les policiers que j’ai soi-disant blessés. Bien entendu, je n’ai blessé aucun des deux et cela apparaît dans leur déposition. On en vient donc à confronter nos versions. Je résiste aux intimidations et autres pressions policières grâce à la présence de mon avocat, Maître Pichon. Fin de la confrontation, j’ai appris au moins une chose : je suis accusé d’avoir renvoyé une grenade lacrymo sur les CRS. Ensuite, re-cellule puis transfert au dépôt, énième fouille, puis cellule individuelle, entretien avec mon avocat, encore un long moment en cellule avant mon audience qui se tient à 22 heures… Finalement, celle-ci est renvoyée au 11 mars ! D’ici là, j’ai la chance de ne pas être placé en préventive. 23 heures : je respire enfin l’air de la liberté, accueilli par ma femme et mes amis. Un accueil qui réchauffe le cœur après la cinquantaine d’heures éprouvantes que je viens de passer. Ça aurait pu s’arrêter là mais trois jours plus tard une radio de mon bras gauche révèle que j’ai une fracture du cubitus. Oui, les policiers m’ont bastonné au point de me casser le bras ! Me voilà plâtré pour un mois, avec trente jours d’ITT en poche pour la contre-attaque !
- Source : Solidarité pour Tous