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Numéro Zéro : quand Umberto Eco se paye les médias

Auteur : OJIM | Editeur : Walt | Samedi, 30 Mai 2015 - 17h13

Ce n’est pas notre habitude de parler d’un auteur à succès. Mais dans le cas présent Umberto Eco, avec qui nous partageons la passion de la vérité, se paye la tête d’une presse industrielle que nous méprisons. Silvia Cattori

Comme tout bon livre, Numéro Zéro, le dernier ouvrage d’Umberto Eco, offre plusieurs niveaux de lecture. On peut en effet le lire comme un roman à suspense efficace, mais également comme un pamphlet cinglant contre les médias et plus particulièrement contre la presse écrite. À travers le récit des pérégrinations d’une poignée de pieds nickelés journalistiques, recrutés par un homme d’affaires véreux pour lancer un journal au service des intérêts d’un riche commanditaire naviguant entre criminalité et monde des affaires, l’auteur d’Au nom de la Rose démonte avec habileté et humour les travers et les mauvaises pratiques des médias ainsi que leurs liens souvent incestueux avec les pouvoirs du temps.

Numéro Zéro : quand Umberto Eco se paye les médias

L’action se déroule à Milan au début des années 1990, période emblématique du règne du coruscant Silvio Berlusconi, président du conseil italien mais aussi propriétaire d’un empire médiatique tout entier dévolu à sa cause et à sa promotion. Les personnages tragi-comiques sont des demis soldes du journalisme, prêts à toutes les compromissions pour gagner un peu d’argent et de notoriété, rassemblés sous le patronage d’un entrepreneur sans moral ni éthique, qui, dés le début donne le ton de son projet : « Des nouvelles à donner en ce monde, il y en a une infinité, mais pour quelle raison signaler qu’il y a eu un accident à Bergame et taire qu’il y en a eu un autre à Messine ? Ce ne sont pas les informations qui font le journal, mais le journal qui fait l’information. »

Une satire des médias

Manipulations, extorsions, complotisme, diffamation, conflits d’intérêts, sensiblerie… Umberto Eco décrit ainsi un à un les maux qui, selon lui, rongent la presse italienne (et bien au delà) et lui ont fait perdre peu à peu toute indépendance et toute crédibilité, réduisant les journaux à de simples plaquettes publicitaires ou à des leviers de propagande et d’influence aux mains des politiques, des hommes d’affaires et des mafieux, lesquels, en Italie comme ailleurs, sont souvent assez étroitement liés. La critique est acide mais le ton enjoué, parfois même drôlatique, notamment au travers du personnage de Braggadocio, journaliste paranoïaque, révisionniste et hystérique enquêtant sur la disparition de Mussolini dont il dénie la version officielle, convaincu que celui-ci a échappé à la mort grâce à l’utilisation d’un sosie avant d’être exfiltré par le Vatican. Au travers de ce personnage baroque et excessif, on lira évidemment une critique des « théories complotistes » de plus en plus répandues, notamment via internet et les réseaux sociaux. Une dénonciation cependant plus nuancée qu’il n’y paraît puisque la fin du roman, avec l’évocation du dossier « Gladio » (une organisation paramilitaire mêlant, dans les années 70/80, services secrets, francs-maçons et activistes politiques) démontrera que les « complotistes » touchent souvent du doigt, parfois malgré eux, des réalités et des vérités qui ne paraissent « absurdes et délirantes » que tant qu’elles ne sont pas validées par les « gros » médias officiels.

Fatigue du sens…

Peu importe du reste dans la mesure où, selon Eco, le public lui-même est devenu imperméable aux révélations les plus scandaleuses, blasé qu’il est par la félonie et la corruption de ses dirigeants, s’habituant à tout et n’étant plus réellement concerné que par l’étroitesse de sa vie personnelle et quotidienne, ses impôts et ses vacances. « Plus jamais de clair obscur dans le baroque, c’est bon pour la Contre-Réforme, les trafics émergeront à l’air libre, comme si les impressionnistes les peignaient : corruption autorisée, le mafieux officiellement au Parlement, le fraudeur du fisc au gouvernement, et en prison, les seuls voleurs de poules albanais », conclut l’anti-héros principal qui ne croit même plus à l’utilité de fuir puisque ce système s’étend désormais partout.

Umberto Eco nous offre ici un constat froid et lucide, presque désespéré, dressé d’une plume alerte et ironique, correspondant parfaitement à la mission qu’il assigne à la littérature : « produire des lecteurs pessimistes, les obliger à réfléchir, à penser ». Mission accomplie !


- Source : OJIM

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