www.zejournal.mobi
Samedi, 21 Déc. 2024

La Grande Stratégie de Bachar El Assad

Auteur : Le Kergoat | Editeur : Walt | Dimanche, 08 Mars 2015 - 21h52

C'est un cas d'école. L'affrontement qui se déroule sous nos yeux en Syrie depuis 4 ans sera, à coup sûr étudié et enseigné dans les écoles de stratégie du futur tant il emblématique. Il rassemble en un seul lieu et un seul temps, dans une sorte de tragédie grecque à l'échelle des états, 2 acteurs principaux dont un ne fait aucune faute et l'autre... que des erreurs.

Où l'on voit un petit pays de 180.000 km2 et 22 millions d'habitants, à peine plus grand que le Portugal résister à la première puissance mondiale, et à ses roquettes, qui a juré d'avoir sa peau et à des hordes de barbares venus de tous les coins du monde se battre sous le drapeau de l'Islam.

En Syrie, Bachar El Assad, depuis le début ne joue que des bons coups. Il déploie une stratégie extrêmement intelligente qui ne tombe dans aucun piège et saisit toutes les perches qui lui sont tendues.

A la base de cette stratégie, quelques idées simples, mises en action, permettent à Bachar d'abord de rester la tête hors de l'eau puis... d'avancer vers la victoire.

Voici les ingrédients nécessaires et suffisants à la victoire du régime syrien.

1 - Une bonne information, une bonne analyse.

En géopolitique, l'information ce sont vos yeux. Sans information, vous êtes aveugle. Être informé est indispensable à l'établissement d'une stratégie gagnante.

Dès les premières manifestations de 2011, le régime syrien a su la vérité, à savoir qu'il ne s'agissait pas de manifestations gentillettes comme on a pu en voir en Europe, mais d'une tentative orchestrée de renverser le pouvoir en manipulant l'opinion où, par exemple, comme en Ukraine, des snipers ouvraient le feu pour obliger le gouvernement à répondre et le faire passer pour des assassins.

En Occident, nos média nous ont raconté la fable des manifestations pacifiques réprimées dans le sang par un pouvoir diabolique, qui auraient été suivies d'une radicalisation de l'opposition. C'est évidemment une légende, car dès le début l'objectif était de renverser le pouvoir syrien. Pour le faire les seuls moyens disponibles étaient les islamistes radicaux. Damas devait savoir celà pour survivre. Elle l'a su. Fin de l'histoire.

2 – Une détermination sans faille.

Dès les premiers jours, la détermination du pouvoir syrien a été totale. Les troubles ont commencé en février 2011, fin mars 2011, Bachar El Assad dénonçait "une conspiration" contre son régime. La couleur était annoncée Depuis le début de la crise, la volonté du régime syrien n'a jamais faillie. Se faisant, le pouvoir syrien se crédibilisait auprès de toutes les minorités qui allaient être, par la suite, la cible des islamistes. Il renforçait un soutien populaire limité mais réel comme le montrent les manifestations pro-gouvernementales qui eurent lieu dès le début de la crise. Notons qu'en celà, le pouvoir syrien a été aidé par... ses adversaires ! Les fatwas (appels au meurtre prononcés au nom de l'Islam) lancées contre Alaouites, Chrétiens et Druzes ont aidé ces derniers à choisir leur camp !

Notez ici le décalage existant entre le gouvernement syrien qui avait très correctement appréhendé la réalité et les diplomaties occidentales, France en tête, qui s'étaient auto-intoxiquées en claironnant que "la fin était proche[pour le régime de Bachar]". C'était en 2012, on est en 2015 !

3 – Une capacité à rassembler et mobiliser ses forces.

Si Bachar n'a, à juste titre, fait aucune concession aux terroristes, celà ne l'a pas empêché dans le même temps de trouver des terrains d'entente avec tous ceux qui, en Syrie et ailleurs, pouvaient être ses alliés potentiels.

Un exemple : en avril 2011, soit moins de trois mois après le début des événements, pendant que les journaleux occidentaux nous ânonaient leurs stupidités habituelles sur le "vilain dictateur" en guerre contre les gentils démocrates, Bachar El Assad rendaient à 300.000 Kurdes leur nationalité syrienne. Contrairement à ce qu'écrivait "Libération" à l'époque qui, comme d'habitude n'avait rien compris, il ne s'agissait pas de "lâcher du lest" mais au contraire de renforcer son camp par une alliance capitale. Là encore la stupidité (je reste poli) des adversaires de Bachar qui feront de ces Kurdes leurs ennemis en les agressant alors qu'ils n'avaient rien demandé, va aider Damas.

Notez ici le décalage entre la Syrie qui rend aux Kurdes leur citoyenneté, et certains membres de l'OTAN, les Baltes pour ne pas les citer, qui refusent aux Russophones, pourtant nés en terre balte, un passeport ! Il est vrai que celà ne concerne, en Lettonie par exemple, que 44% de la population ! Je passe également sur le cas de l'Ukraine qui trouva intelligent d'interdire la langue russe ! Et tout ce beau monde donne des leçons !

4 – Une politique opportuniste au sens noble du terme, qui met en valeur ses atouts.

Comme l'explique Luttwak, dans son excellent ouvrage "La Grande Stratégie de l'Empire Byzantin", une grande stratégie passe par, sinon des alliances, au moins une neutralité bienveillante des grandes puissances du monde qui vous entourre.

La Syrie de Bachar ayant les Etats-Unis plus leurs laquais, plus plusieurs pays arabes plus une grande puissance régionale qu'est la Turquie comme adversaires, il était vital pour elle d'avoir sinon l'alliance ou au moins la neutralité des autres puissances qui comptent.

Damas a réussi. Pour celà la Syrie a cultivé son alliance avec l'Iran comme avec la Russie à laquelle elle rendit la pareille en la soutenant lors de l'affaire de la Crimée. Il semble bien qu'en politique internationale, la fidelité paie !

Pour ce qui est des autres pays comme la Chine, la Syrie a juste eu à avancer un argument audible jusqu'à Pékin : la légitimité ! Le gouvernement de la République Populaire de Chine, en politique étrangère est extraordinairement... conservateur ! Pékin n'aime pas le changement ni le désordre, surtout quand il est provoqué par les Américains ! Il restait à Damas à jouer son atout qui est sa légitimité, à ne pas faire d'erreur et... c'était gagné ! En s'assurant l'alliance de l'Iran et de la Russie et la neutralité de la Chine, Damas évitait l'encerclement. Bien joué.

Notez ici, pour l'anecdote que si vous êtes un dictateur ou un "président musclé" du tiers monde ou du monde arabe, mieux vaut avoir Vladimir Poutine comme soutien que les Occidentaux ! Pour vous en convaincre, comparez les sors réservés à Ben Ali, Moubarak et Bachar El Assad ! Ça vous amuse, mais ça ne fait pas rire Sissi, pas l'impératrice mais le nouveau président égyptien, qui semble avoir compris la leçon et flirte (je parle toujours du président égyptien) désormais avec Poutine !

5 – Un travail en profondeur et à l'économie

Là, la stratégie de la Syrie du XXIem siècle rejoint celle de l'Empire Byzantin d'antan. La Syrie a peu de moyens, peu de troupes alors elle les économise en évitant les combats frontaux, en préférant l'encerlement et la contre-guerilla. La carte des opérations est claire. Nous voyons que les forces de Bachar ont encerlé leurs adversaires de l'Armée Syrienne Libre, en attendant que les poches où elles sont bloquées tombent comme des fruits mûrs, avec un minimum de pertes pour la vraie armée syrienne. Il ne restera alors que quelques encablures adossées aux pays qui les soutiennent : la Turquie et Israël. Comme ces deux pays n'interviendront pas directement ces deux encablures tomberont naturellement à leur tour.

En même temps, Bachar El Assad a libéré les pires islamistes pour qu'ils renforcent Daesh où... l'aviation de l'OTAN fait le boulot à la place de Bachar ! Faire faire son boulot par quelqu'un qui, il n'y a pas 4 ans avait juré votre perte, il fallait y arriver. Chapeau l'artiste !

Là, Bachar donne une leçon au monde entier.

6 – Cerise sur le gâteau, Bachar contrôle et manipule, lui aussi, l'information.

Comme me l'avait dit un ami Libanais, il n'y a pas dans les guerres civiles, les bons d'un côté, les méchants de l'autre et l'Occident n'a pas le monopole de la désinformation. Bachar a royalement désinformé la planète en faisant passer l'idée que "la guerre ne pouvait être gagnée par personne" !

Cette idée fausse, cette désinformation syrienne consistant à dire qu'il y a "partie nulle" en Syrie, a d'ailleurs été relayée par nos quatre parlementaires en visite à Damas. En réalité, comme je l'ai indiqué au dessus, Bachar El Assad gagne en ce moment la guerre, mais en ayant le triomphe modeste en faisant croire qu'il ne gagne pas, il évite une réaction de dernière minute de ses adversaires, en particulier Américains qui pourraient dans un ultime sursaut exploser son régime sous les bombes de l'OTAN, ruinant ainsi ses efforts ! La dissimulation, savoir se faire passer pour plus faible qu'on est, fait aussi partie de l'Art de la Guerre. A coup sûr, les origines alaouites de Bachar et l'Histoire de sa communauté minoritaire ont aidé le président syrien dans cette démarche.

Pour toutes ses raisons, Bachar El Assad, donne aujourd'hui, une leçon de stratégie au monde entier et dans des décennies on analysera encore sa victoire dans les écoles de guerres du monde entier.

Et Daesh dans tout ça ?

Je passerai moins de temps sur Daesh, le véritable adversaire de Bachar, l'Armée Syrienne Libre... et squelettique devrais je ajouter ne vaut pas grand chose. D'ailleurs la débandade est commencé et ses combattants rejoignent désormais les Islamistes.

Disons juste que Daesh, en matière de stratégie globale est pire que tout ce qu'on a vu jusqu'ici dans l'Histoire et ne manque jamais une occasion de faire une ânerie (je reste poli). Je parle de stratégie géopolitique, sur le terrain même Daesh arrive à tenir en s'appuyant sur le ressentiment anti-chiites des populations et une capacité réelle à bien gérer les territoires conquis.

Aucune capacité opportuniste.

Comme jadis les Nazis, Daesh arrive à s'aliéner tous les pays qui l'entourrent, même lorsque ceux ci ne peuvent pas s'encadrer. Daesh aurait pu négocier un pacte de non-agression avec les Kurdes, qui après tout n'ont aucune envie de reprendre autre chose que leur territoire, et ne demandaient pas mieux, il n'en a rien été. Et Daesh se retrouve ainsi comme les Nazis d'antan obligé de se battre sur deux fronts et même trois : face aux pouvoirs syriens et irakien et face aux Kurdes.

Les Nazis avaient réussi à s'allier au moins avec quelques pays de second ordre (en matière de puissance) : Hongrie, Finlande et Croatie par exemple. Daesh n'a même pas eu l'idée de négocier au moins une paix froide avec la Jordanie et au contraire par ses actes barbares attise la réaction de cette dernière ! M. de Talleyrand, s'il était encore parmi nous aurait dit "C'est pire qu'un crime, c'est une faute" !

Daesh n'a plus aucun allié. Et ça, sur la durée, ça ne pardonne pas.

Pas de travail en profondeur.

Les Empires ou état criminels qui ont tenu au XXème siècle avaient au moins la capacité de mobiliser leurs troupes autour d'une image du monde, d'un rêve fut-il fantasmatique : celui de la race pour les Nazis, de l'émancipation de la Classe Ouvrière pour les Communistes staliniens ou Khmers Rouges, Daesh mobilise autour de quoi ? Revivre au milieu des dromadaires comme le Prophète au VIIem siècle ? Casser des sites archéologiques ? C'est minable. Certes quelques déglingués rejoignent aujourd'hui Daesh sur cette idée. Certes les victoires militaires de Daesh redore son blason et attire des paumés de partout, mais dès les premières défaites, il n'y aura plus grand monde ! Vous auriez envie, vous, de mourir, pour pouvoir casser un site archéologique ? Personne ne mobilise durablement sur une thématique aussi pourrie !

Une communication vaseuse.

Je ne crois pas du tout à ce que disent certains analystes que la "communication de Daesh" est excellente ! Montrer des horreurs ça ne mobilise pas durablement autrement que contre vous. Les Soviétiques ont tenu 70 ans en décrivant un monde à l'avenir "radieux" pas en, affichant leurs horreurs : Katyn et autres. Là quel est l'avenir ? Couper la tête à ses ennemis et les faire brûler vifs ? Avec ça vous allez mobiliser les foules durablement en votre faveur ? J'en doute.

La Guerre Civile Syrienne comme toute guerre civile aura un gagnant et un perdant. Comme pour la guerre civile européenne qui sévit entre 1939 et 1945, le gagnant sera celui qui a su avoir une stratégie, une vision de l'avenir, tenir, rassembler et nouer des alliances.

Pour ne pas conclure.

Certes, je peux me tromper. Un élément peut surgir que je n'ai pas vu, dont je n'ai pas saisi l'importance. Si quelqu'un qui me lit voit lequel, je serai heureux qu'il me l'indique, moi-même, je ne le vois pas, et je ne vois pas ce qui, à ce niveau peut empêcher le succès total de Bachar El Assad et... la ridiculisation des diplomaties occidentales.


- Source : Le Kergoat

Cela peut vous intéresser

Commentaires

Envoyer votre commentaire avec :



Fermé

Recherche
Vous aimez notre site ?
(230 K)
Derniers Articles
Articles les plus lus
Loading...
Loading...
Loading...