Changement de cap turc sur la Syrie : Renverser Assad n'est plus une priorité !
Après plusieurs années d'une politique belliqueuse envers la Syrie, la Turquie semble actuellement sans aucune stratégie claire et décisive. Certes, il ne sera pas question d'une visite prévue prochainement par le président turc à Damas, mais Ankara est obligée d'adopter une nouvelle approche, sur fond des changements qui ont eu lieu dans la région au cours de cette dernière année.
Cette confusion turque est due à plusieurs facteurs :
- Le lancement de la coalition internationale contre Daesh (EI) et la guerre ouverte menée par l'Iran contre ce même groupe terroriste, ce qui a embarrassé Ankara qui a adopté une ligne dure envers son voisin syrien pendant des années.
- Le sort incertain de l'unité et de la force de l'Union européenne. Ankara n'a plus confiance à une possible adhésion à l'UE. Elle cherche à s'arracher un statut régional et international, et réalise qu'un tel acquis passe obligatoirement par l'Otan.
- La montée en force d'un courant extrémiste turc qui soutient l'esprit de Daesh, parallèlement à l'émergence d'un courant athéiste en Turquie, en Iran et en Arabie Saoudite, qui considère que la religion est la source de tous les problèmes de la région.
Des négociations difficiles entre l'Iran, les Etats-Unis et l'Arabie Saoudite et une tentative d'entente avec le gouvernement de Bagdad sur l'Irak.
Toutefois, la Turquie se trouve face à une autre confusion : d'une part, les Saoudiens et les Américains essaient de convaincre Ankara d'adhérer à leur stratégie en Syrie, en Egypte, en Irak et de s'accorder sur une vision stratégique sur l'Iran. Ceci signifie que l'Occident et l'Arabie réclament de la Turquie de renoncer à sa stratégie unilatérale adoptée dans les dossiers chauds.
De l'autre, les Russes et les Iraniens ont pris des initiatives concrètes envers la Turquie. La Russie s'est dit prête à faire de la Turquie un passage obligatoire du gaz, à préparer un accord stratégique qui élargit le rôle de la Turquie en Asie centrale et protège son rôle primordial dans la région arabe.
Quant à l'Iran, il a maintes fois affiché son approbation sur la mise en place d'une alliance bilatérale turco-iranienne, à la base d'accords liés au secteur vital, à la Syrie et à l'Irak. Une alliance qui obligera l'Occident de prendre en compte sa force décisive dans le traitement des dossiers de la région.
Les Iraniens ont fait savoir à Recep Tayep Erdogan qu'il ne peut bâtir une alliance avec Israël parce qu'il perdra tout le monde arabe et une grande partie du monde islamique.
Pratiquement, l'Iran a invité la Turquie à faire partie de l'axe de la résistance, qui regroupe des alliés au Liban et en Palestine. Mais la réponse d'Erdogan était intransigeante : Tout est discutable après le départ de Bachar el-Assad ! Face à cette obstination turque, l'Iran a fait savoir que son offre ne durera pas pour longtemps.
Depuis la demande iranienne précitée, plusieurs changements ont poussé les dirigeants turcs à revoir leur position :
- Les services de renseignements et sécuritaires turcs sont convaincus de l'impossibilité de renverser le président syrien. Ankara a reçu plusieurs signes diplomatiques que l'Occident et les pays arabes acceptent de coexister avec l'idée du maintien d'Assad au pouvoir.
- Le contrôle par Daesh (Etat islamique, EI) de grandes parties de territoires irakiens et la proclamation du califat, basé sur l'animosité avec la Turquie.
- Les défaites des Frères musulmans en Egypte, en Tunisie, en Libye, en Syrie ainsi que les crises dont souffre le Hamas en Palestine.
Les Turcs étaient aussi les premiers à avoir capté le message iranien à travers la participation du dirigeant éminent des gardiens de la révolution iranienne, le général Qassem Souleimani, aux combats en Irak. De plus, leur refus de participer à la coalition internationale contre Daesh n'a pas changé la stratégie des grandes puissances.
Pendant ce temps, les Iraniens ont prêté main forte aux kurdes d'Irak (nord). Ils ont arraché un engagement verbal de la part des kurdes de renoncer à l'idée de l'indépendance totale de l'Irak. Face aux grands efforts iraniens déployés en Irak, les Turcs savent que le rôle de Daesh ira decrescendo dans la prochaine période.
Dès la fin de la sécurisation de la capitale Bagdad et la mise en place d'un système sécuritaire et militaire avec les kurdes, les turcs ont commencé à agir différemment. Le Premier ministre Ahmad Davutoglu est allé à Bagdad, profitant de la nomination de Haidar Abadi pour prôner un langage différent.
Davutoglu a insisté auprès des dirigeants irakiens sur :
- L'importance de combattre l'esprit wahhabite qui cherche à éliminer tout le monde.
- L'ouverture d'une nouvelle page dans les relations avec l'Irak, de façon à mener tous les contacts nécessaires avec les différentes provinces en passant par le centre de décision, soit la capitale Bagdad.
- La disposition à développer le niveau de coopération économique avec l'Irak et à mettre une nouvelle vision sur la relation avec les pays voisins, notamment l'Irak et l'Iran.
Au sujet de la crise syrienne, des observateurs estiment que la visite d'Oglu en Irak est un signe que la Turquie traite désormais la question syrienne avec réalisme. Ankara ne parle plus de la chute de Bachar el-Assad comme condition à tout dialogue syrien interne, ni à tout dialogue entre la Turquie, la Syrie et l'Irak. « Nous devons toutefois nous entendre sur une modalité qui empêche le maintien d'Assad au pouvoir dans la prochaine période », a nuancé Davutoglu devant Abadi.
- Source : Al-Akhbar