Notre impuissance démocratique: on ne peut plus changer de politique, seulement de politiciens
Auteur : Audrey Duperron | Editeur : Walt | Mardi, 04 Nov. 2014 - 20h55
- Source : Audrey Duperron
En Espagne, un nouveau sondage publié par El País a montré que le parti contestataire de gauche Podemos obtiendrait le plus grand nombre de voix si les élections avaient lieu aujourd'hui. Podemos, un parti qui n’a été créé qu’en mars de cette année, est ainsi devenu en quelques mois le plus grand parti du pays, avec 27,7% des intentions de vote, dépassant le parti socialiste PSOE, qui n’a obtenu que 26,2%, et le parti conservateur Partido Popular du Premier ministre Mariano Rajoy, relégué en 3ème position, avec seulement 20,7% des suffrages.
C’est donc un bouleversement total de la scène politique espagnole qui a été dominée pendant des décennies par ces deux partis traditionnels.
Podemos signifie « nous pouvons » en anglais, sans doute un clin d’œil au slogan gagnant de Barack Obama, « Yes, we can » (‘Oui, nous pouvons’).
Son dirigeant est Pablo Iglesias, un professeur de Sciences politiques charismatique et très télégénique. En Espagne, il est devenu populaire en présentant des émissions de télévision, La Tuerka For Apache, et Hispan TV. Pour l’anecdote, ses parents l’ont appelé Pablo pour qu’il porte le même nom que le fondateur du parti socialiste espagnol, Pablo Iglesias. Lui-même se définit comme un supporter du régime d’Hugo Chavez, ou des politiques menées par Cristina Kirchner en Argentine et Evo Morales en Bolivie.
Podemos a grandi sur le mouvement des « Indignados », à l’origine mené par des étudiants madrilènes qui campaient sur la Puerta del Sol et ont inspiré le mouvement mondial « Occupacion ». Aux élections européennes de l’année dernière, le mouvement, qui se revendique anti-austérité, anti-establishment, mais pas europhobe, a raflé 5 sièges au parlement européen.
Dans son programme pour les élections européennes, Podemos affirme entre autres vouloir renforcer le contrôle sur la Banque Centrale Européenne par la création d’instances de surveillance spécifiques, permettre aux citoyens de décider quelles parties des dettes souveraines seront considérées comme légitimes, et lesquelles ne seront pas remboursées, opérer des nationalisations sur les secteurs stratégiques de l’économie, et créer un revenu de base pour tous les citoyens.
Selon le journal catalan Periódico de Catalunya, la montée en puissance éclair de Podemos est le signal que le système des partis espagnols doit retrouver un nouveau souffle :
« La démocratie espagnole n’a jamais connu un phénomène tel que celui de Podemos. Jamais auparavant, un parti politique avec une expérience aussi mince et qui n’a pris part qu’à une seule élection, les élections européennes en mai dernier, n’avait suscité autant d’émotion. Espoir pour beaucoup, et anxiété pour d’autres franges moins nombreuses, mais plus puissantes, de la société. Et jamais la situation politique en Espagne n’a été aussi déplorable qu’elle ne l’est aujourd’hui depuis 1977 [l’année des premières élections libres après la fin du régime de Franco]. La plupart des experts pensent que le système est à bout de souffle et qu’il a désespérément besoin de se réformer en profondeur ».
Mais pour le politologue Ignacio Sánchez-Cuenca, le succès de Podemos s’explique plutôt par l’essoufflement d’un certain modèle démocratique.
Selon lui, les démocraties actuelles évoluent dans «un régime libéral et technocratique qui présente des vestiges de la démocratie ». En d'autres termes, elles se transforment en un type de démocratie dans laquelle les contraintes budgétaires et monétaires découlant de la perte de souveraineté sur les marchés financiers et auprès d'autres entités supranationales (telles que l'UE), impliquent que les citoyens ne peuvent plus changer de politique, mais seulement de politiciens.
Plutôt que de s'intéresser à des alternatives politiques et idéologiques, les citoyens sont limités dans leur choix qui ne porte plus que sur la probité et la compétence des dirigeants. Leur vote ne sert plus à rétablir les déséquilibres économiques, mais à punir les politiciens corrompus et à rétablir l'égalité politique.
Mais tout cela ne justifie pas de remettre les clés de la société dans les mains de Pablo Iglesias et de Podemos, écrit El Pais dans un éditorial : «En d'autres termes, un mouvement qui vit de ses diagnostics catastrophiques, qui discrédite les autres, et qui refuse qu’on l’étiquette de droite ou de gauche pour dissimuler ce qu’il est vraiment : un populisme simple et vulgaire, avec des postures idéologiques communes à d’autres partis apparus dans d'autres parties de l'Europe ».