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Lundi, 23 Déc. 2024

Canada : Campagne de peur - Les «extrémistes islamiques» et le rôle douteux des services de renseignement

Auteur : Julie Lévesque | Editeur : Walt | Dimanche, 26 Oct. 2014 - 00h09

Mise à jour : Au moment de traduire ce texte de nouvelles informations ont émergé et nous les portons à votre attention, avant de les étudier de plus près dans un prochain article. Celles-ci portent à croire que les autorités étaient possiblement au courant des deux attaques survenues cette semaine : les autorités policières et les services de renseignement on fait des simulations d’attaques ce mois-ci. Le scénario impliquait une attaque au Québec, suivie d’une attaque dans une autre ville canadienne. Ces exercices suivis d’une attaque réelle et semblable au scénario des exercices ne sont pas sans rappeler les attaques du 11-Septembre 2001 à New York et celles de Londres en 2005, durant lesquels des exercices avaient lieu au même moment. Dans les deux cas, les scénarios étaient identiques aux attaques, soit des avions piratés percutant des édifices et une attaque terroriste dans le métro de Londres. Par ailleurs, le chef du Nouveau parti démocratique, Thomas Mulcair, s’est dit préoccupé par le fait que bien avant que les autorités policières ne rapportent l’incident de Saint-Jean-sur-Richelieu, un député d’arrière-banc ait demandé au premier ministre Harper de faire le point sur « une possible attaque terroriste contre deux membres des Forces armées canadiennes, près de Saint-Jean-sur-Richelieu ». Voir la vidéo avec les caméramen déjà en place (en anglais mais facilement compréhensible).

Avec la mort d’un soldat canadien à Saint-Jean-sur-Richelieu, Québec, le 20 octobre, et la fusillade sur la Colline parlementaire à Ottawa, le 22 octobre, les autorités canadiennes et les médias ont déjà pris une décision, sans preuve à l’appui : ils accusent l’« extrémisme islamique » d’être en cause dans les deux incidents, même si l’on ne sait pratiquement rien sur les deux hommes qui ont agi seul.

Aucune organisation terroriste n’a revendiqué la responsabilité des attaques, mais selon les médias, les deux jeunes hommes s’étaient convertis à l’islam. L’un d’eux, Martin Couture-Rouleau, qui a frappé un soldat avec sa voiture à Saint-Jean, s’était dit-on « radicalisé sur Internet ». Le Edmonton Sun a déclaré que « la famille et les policiers cherchent à savoir pourquoi il a suivi les ordres de tuer de l’État islamique (EI) ». Existe-t-il des preuves qu’il « suivait les ordres de tuer de l’EI »?

Les médias rapportent que les deux individus étaient connus des autorités, lesquelles avaient confisqué leurs passeports de peur qu’ils adhérent à des organisations terroristes à l’étranger. Si les autorités sont allées jusqu’à confisquer leurs passeports, de peur qu’ils commettent des attentats terroristes à l’étranger, n’avaient-ils pas peur qu’ils en commettent ici?

A ce stade-ci, nous ne pouvons que spéculer sur les motifs de ces deux hommes. Et les médias devraient se demander si le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a quoi que ce soit à voir avec ces attaques, puisqu’il est reconnu pour avoir utilisé des informateurs pour infiltrer les organisations musulmanes et proférer des menaces de violence contre des citoyens canadiens. En outre, l’appui clandestin à l’EI des États-Unis et de leurs alliés du golfe Persique depuis le début de l’insurrection syrienne en mars 2011 est un fait connu et documenté.

Toutefois, depuis le premier meurtre le 20 octobre, plutôt que de se méfier des autorités, qui depuis des mois nous mettent en garde contre la « menace terroriste d’origine intérieure », les médias comptent presque exclusivement sur des « experts » de la sécurité, des spécialistes du terrorisme et des responsables des corps policiers afin de fournir des commentaires « faisant autorité ». Ils sont tous d’accord sur la théorie de l’« extrémisme islamiste » et la radicalisation sur Internet.

Il est pour le moins inquiétant que les « experts » en sécurité et en terrorisme ne sachent pas que la cause fondamentale du terrorisme, comme l’ont démontré des études, n’est pas le fondamentalisme islamique ou une idéologie quelconque, mais l’occupation étrangère, sans compter que les terroristes liés à Al-Qaïda sont soutenus secrètement par les services de renseignement de l’Occident.

Basée sur la recherche du Projet sur la sécurité et le terrorisme de l’Université de Chicago, et financé en partie par la Threat Reduction Agency (Agence de réduction de la menace) du département de la Défense des États-Unis, le professeur Robert A. Pape et James K. Feldman ont écrit un livre en 2010 intitulé « Cutting the Fuse: The Explosion of Global Suicide Terrorism and How to Stop It » (Court-circuit : Comment mettre un terme à l’explosion des attentats-suicides).

Abdus Sattar Ghazali a résumé les conclusions de l’ouvrage en 2010 :

En 2000, avant les occupations de l’Irak et de l’Afghanistan, il y avait 20 attentats-suicides dans le monde, et un seul (contre l’USS Cole) a été dirigé contre les Étasuniens. Au cours des 12 derniers mois, par comparaison, 300 attaques suicides ont eu lieu, et plus de 270 étaient anti-étasuniennes. Nous devons tout simplement faire face à la réalité : peu importe ses bonnes intentions, la guerre actuelle contre le terrorisme ne sert pas nos intérêts. “

Les auteurs ont examiné plus de 2200 attentats-suicides à travers le monde de 1980 à nos jours. Depuis que les États-Unis occupent l’Afghanistan et l’Irak, ayant une population combinée d’environ 60 millions, le nombre d’attentats suicides dans le monde a augmenté de façon spectaculaire, passant de 300 entre 1980 et 2003 à 1800 de 2004 à 2009. En outre, plus de 90 pour cent des attentats suicides dans le monde sont maintenant anti-étasuniens. L’immense majorité des terroristes kamikazes sont originaires de la région locale menacée par des troupes étrangères, ce qui explique pourquoi 90 pour cent des kamikazes en Afghanistan sont les Afghans.

Dans Cutting the Fuse, les auteurs font remarquer : « Avant le 11-Septembre, le débat d’experts sur les causes des attentats-suicides était divisé en grande partie entre deux explications – le fanatisme religieux et la maladie mentale. Après le 11-Septembre, de nouvelles recherches sur les kamikazes ont démontré que pratiquement aucun d’entre eux ne pouvait être diagnostiqué comme souffrant de troubles mentaux. Alors que bon nombre d’entre eux étaient religieux le plus frappant était qu’ils étaient presque tous issus de communautés résistant à une occupation militaire étrangère . “( Abdus Sattar Ghazali, The root cause of suicide terrorism is occupation: New study , OpEd News, 29 septembre 2010)

En 2007, Alexandre Popovic a documenté de manière exhaustive la façon dont les informateurs du SCRS « ont infiltré la communauté musulmane canadienne et contribué à présenter l’islam d’une manière négative ainsi qu’à alimenter les stéréotypes dépeignant les musulmans comme étant essentiellement des extrémistes dangereux ». (Alexandre Popovic, Les manipulations médiatiques du SCRS , 1er septembre, 2007)

L’un des informateurs, Youssef Mouammar, s’était hissé  à la tête de plusieurs organismes, comme la Fondation internationale musulmane du Canada, Pétro Action, l’Institut international de recherche islamique, la Communauté de la nation musulmane du Grand Montréal, la Grande mosquée, Info-islam et la revue Le Monde islamique ».(André Noël,« Un drôle d’espion », La Presse, le 14 Décembre 2001, p. A7, cité dans Alexandre Popovic, Les manipulations médiatiques Du SCRS 1er septembre 2007)

Autrement dit, par le biais de ses informateurs médiatisés, le SCRS fut carrément en position de façonner la perception qu’a l’opinion publique de la communauté musulmane canadienne.

Les deux informateurs en question sont Joseph Gilles Breault, alias «Dr Youssef Mouammar» alias «Abou Djihad», de Montréal, et Mubin Shaikh, de Toronto. Il est à noter que nous n’avons pas affaire ici à de simples hypothèses ou à une enième théorie de la conspiration. D’une part, les deux individus ont chacun reconnu publiquement avoir travaillé sous les ordres du SCRS. D’autre part, leurs multiples interventions médiatiques sont largment documentées au niveau des archives des médias écrits, lesquels sont allés jusqu’à dépeindre les deux informateurs comme des porte-paroles de la communauté musulmane canadienne, voire des «leaders» de celle-ci.

De 1989 à 1994, Youssef Mouammar semble avoir été de toutes les grandes et moins grandes controverses associées de près ou de loin à l’islamisme radical, comme la tentative de coup d’état à Trinidad et Tobago ou la diffusion de propagande haineuse anti-juive [...]

Après avoir soutenu ouvertement le terrorisme anti-israélien et lancé des appels au meurtre des opposants du Front islamique du Salut, un parti islamiste algérien aujourd’hui dissout, Mouammar envoie des communiqués de menaces d’attentats aux armes biochimiques contre le métro de Montréal.(Ibid.)

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) et le SCRS mettent les Canadiens en garde contre « la réelle menace terroriste » depuis des mois, mais disent maintenant qu’ils ont été « pris par surprise » par les deux récents attentats commis par des individus qu’ils surveillent d’assez près pour leur confisquer leurs passeports.

À Montréal, des policiers accompagnée d’imams ont rencontré des personnes travaillant dans des quartiers à forte concentration ethnique et musulmane et leur ont demandé de « demeurer vigilants » et de rapporter « toute activité suspecte » parce qu’ils « s’attendent à ce qu’il se passe quelque chose ».

Cette méthode consistant à s’appuyer sur des civils pour « espionner » leurs concitoyens n’est pas sans rappeler le ministère de la Sécurité d’État de l’Allemagne de l’Est, la Stasi. « L’une de ses tâches principales était d’espionner la population, notamment à travers un vaste réseau de citoyens devenus informateurs, et de lutter ouvertement ou clandestinement contre toute opposition, y compris en détruisant secrètement les dissidents sur le plan psychologique ».

Les Canadiens doivent garder à l’esprit que les attaques sont utilisées comme prétexte pour des mesures de sécurité propres à l’État policier et à l’intégration de la sécurité des frontières canado-étasunienne. Le tireur d’Ottawa a d’ailleurs été identifié par des sources étasuniennes avant même que les autorités policières canadiennes ne l’aient identifié officiellement. Cela soulève de sérieuses questions sur l’ampleur de l’intégration des services de renseignement des deux pays. The Week rapportait :

Les policiers canadiens n’ont toujours pas identifié officiellement le suspect, mais des sources étasuniennes ont dit à Reuters qu’il s’agit de Michael Zehaf-Bibeau, un Canadien de 32 ans s’étant récemment converti à l’islam. Il serait né et aurait grandi au Québec, et aurait plus tard passé du temps en Libye et dans diverses régions du Canada en tant que travailleur. Son père serait Bulgasem Zehaf, un homme d’affaires québécois qui semble avoir combattu en 2011 en Libye, et sa mère Susan Bibeau, vice-présidente, d’une section de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. (Michael Zehaf-Bibeau: the gunman behind the Ottawa shootings, The Week, 23 octobre 2014)

Sachant que la plupart des complots terroristes aux États-Unis sont orchestrées par le FBI, comme l’a démontré l’importante recherche de Mother Jones, cette intégration entre les deux pays est loin d’être rassurante.

Il faut aussi rappeler que l’OTAN a une histoire de terrorisme sous fausse bannière. L’Opération Gladio, l’armée secrète de l’OTAN, était une opération clandestine visant à éviter la montée du communisme en Europe et a été utilisée pour commettre des attentats terroristes contre la population et attribués aux communistes. Le but ultime était que les citoyens se tournent vers l’État pour demander davantage de sécurité et qu’ils rejettent le communisme. (Voir aussi Tony Cartalucci : Canadian Terror Wave: a Modern-Day Gladio)

Ces deux derniers jours, en plus des demandes de mesures de sécurité accrues, nous assistons clairement la glorification de l’armée canadienne, laquelle participe à des bombardements illégaux au Moyen-Orient depuis de nombreuses années au nom de la démocratie et d’autres faux prétextes. Loin d’être une solution au terrorisme, les Forces canadiennes font partie du problème. Le bombardement de la Libye, pour ne citer que l’exemple le plus récent, a contribué à alimenter le terrorisme dans la région.

Enfin, demandons-nous pourquoi il si facile pour les extrémistes d’utiliser Facebook et d’autres médias sociaux pour proférer des menaces de mort et apparemment radicaliser les jeunes esprits fragiles, alors que jusqu’à tout récemment, les « modérateurs de [Facebook] devaient interdire les images d’allaitement maternel si les mamelons sont exposés »?

Mais surtout, les médias canadiens doivent questionner la politique étrangère du Canada et l’implication militaire d’Ottawa dans les guerres des États-Unis au lieu de se concentrer sur « individus radicalisés ».


- Source : Julie Lévesque

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