Ca sent le Pathé dans les salles obscures
A l’occasion de l’ouverture de sa nouvelle salle, le cinéma Pathé Wepler impose première et seconde classe et augmente sensiblement ses tarifs. Etonnant, non ?
« Ah non, ça va pas être possible ! On ne communique plus, on a déjà beaucoup donné… » Une directrice de com qui ne communique pas ou plus : il y a décidemment quelque chose qui ne tourne pas rond au Pathé Wepler, le beau multiplexe Place de Clichy, au cœur du 18e arrondissement de Paris. En cause, la double tarification dans la plus grande salle du complexe, avec les fameux sièges « Premium ». En gros, la salle a été complètement rénovée, équipée avec tout plein de gadgets technos avec des noms compliqués : un dolby Atmos (55 haut-parleurs, pourquoi pas 412 ?), une projection numérique 4K et la possibilité de passer les films – comme Le Hobbit de Peter Jackson - en 48 images seconde avec le procédé HFR. Amis du rire, sachez néanmoins que seuls quelques films pourront se savourer pleinement dans cette belle salle. Pour la technologie HFR, le fan pourra voir Le Hobbit 2 et 3, et peut-être également les deux suites d’Avatar, en gros un à deux films par an. C’est peu… Pour le dolby Atmos, encore peu usité, il y aura le calamiteux Die hard 5, Mama, film d’horreur produit par Guillermo Del Toro, Star Trek 2 et le thriller de Danny Boyle, Trance, en juin prochain.
Rebaptisée Pathé +, la salle - comparée à une « Formule 1 » par François Ivernel, PDG des Cinémas Gaumont-Pathé - est également dotée de deux sortes de fauteuils. Les basiques, rouges, situés devant l’écran, et sur les côtés. Et les marrons, les Premium, imitation cuir, inclinables, plus larges de 6 centimètres, en plein milieu de la salle, du 9e rang jusqu’au fond de la salle ; en gros les meilleures places. Un détail, les sièges Premium coûtent deux euros de plus que les sièges standards. La place Premium revient donc à 14, 20 €, et la modique somme de 16, 20 euros en cas de relief ! C’est un concept…
Lutte des classes ou lutte des places ?
Je tente de parlementer avec Claudine Félix, responsable de la communication de Pathé-Gaumont, et je m’aperçois que deux équipes télé, LCI et FR3, font le pied de grue et attendent sagement la fin de séance de Django unchained. Je me faufile avec les JRI et nous arrivons à la porte du nirvana technologique tandis que retentit la musique de fin du Tarantino. Si d’après François Ivernel les spectateurs sont ravis, ceux que nous allons croiser ne le sont pas vraiment. Une vieille dame a choisi le siège Premium, mais n’a pas vraiment vu la différence. Une autre déclare : « Le temps sont déjà difficiles, je ne suis pas prête à payer plus cher ». Un homme, en se marrant : « La lutte des places remplace la lutte des classes. » J’obtiens donc des réponses aussi variées que « Nul », « Pas besoin de confort en plus », « »Sans grand intérêt ». Un jeune garçon, accompagné de sa copine, résume : « On s’est assis sur les Premium mais on a pas payé les deux euros supplémentaires. On a la désagréable impression d’être sur une balançoire, ce n’est pas tellement agréable. Je ne suis pas convaincu par le concept. C’est comme la 3D, il est hors de question de payer un supplément, alors que le ciné est déjà hors de prix ! Qui va pouvoir se payer ça ? Nous sommes en crise et le Pathé augmente ses tarifs : je ne sais pas si c’est le bon timing… »
N’écoutant que mon courage (et les leçons de journalisme de mon rédac chef’ bien aimé), je m’écroule dans un fauteuil Premium. C’est loin d’être la révélation du siècle. Le truc est assez moche, rigide et quand je le mets en position inclinée, mes genoux percutent le siège devant moi. Le son me paraît équivalent à celui de n’importe quelle salle (Django n’est pas en dolby Atmos !) mais je découvre avec joie un gag à la toute fin du générique, quand les trois esclaves déclarent « Who’s that nigger ? », Tarantino n’a pas pu s’empêcher d’en rajouter une couche… Dans mon souvenir, le cinéma Etoile de la Porte des Lilas est beaucoup mieux conçu (ratio taille de l’écran-profondeur de la salle, nombre de sièges, inclinaison de la pente et fauteuils plus confortables), le son est au moins aussi bon dans la salle Pathé Imax Quai d’Ivry. Et si le Pathé Wepler propose des sièges Duo (avec supplément, siouplaît), ils sont bien mieux pensés et réalisés au MK2 Bibliothèque.
Une pratique qui pourrait se développer ?
Le patron de Pathé-Gaumont semble un peu ennuyé par la controverse autour de cette première classe et du double tarif. « Il n’y a pas de première et deuxième classe. On est assis dans la meilleure salle de France aujourd’hui. Qu'ils soient Premium ou non, tous les fauteuils sont confortables, avec davantage de place pour les jambes. Mais nous avons voulu proposer davantage de services comme la réservation numérotée et le siège inclinable.» Pas vraiment convaincant… Ce qui est sûr, c’est que Pathé Gaumont étudie avec attention sa salle Pathé + et le taux de fréquentation des Premium. Après Caen en avril, une troisième salle de ce type devrait ouvrir dans le 15e arrondissement, à Beaugrenelle. Avec cette double tarification si le suppositoire passe en douceur Place de Clichy. « Ce n'est pas impossible, mais nous manquons encore de recul pour l'affirmer. » Cette pratique pourrait donner des idées à d’autres exploitants, notamment le très opportuniste Luc Besson qui planche sur un nouveau concept de réservations et de prestations à prix divers pour sa salle de Tremblay-en-France. Mais déjà les voix de spectateurs mécontents s’élèvent et des pétitions circulent sur le Net. Si ce système de première et seconde classe existe déjà au théâtre, aux concerts, il était assez répandu au cinéma dans les années 60. Le voir ressurgir alors que la crise fait des ravages semble au mieux curieux, au pire une aberration.
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Marc Godinjeu, 14/02/2013 - 01:15Suivre @@bakchich