Vallaud-Belkacem : le triomphe de l'allégé
Alors qu'en 40 ans un élève de CP a perdu 6 heures de français, Najat Vallaud-Belkacem veut alléger les programmes scolaires. Brighelli s'en esbaudit fort.
Nous vivons le triomphe du light. Camemberts à 0 %, blanquette pauvre accordée à notre sédentarisme, et, désormais, programmes scolaires allégés, nous promet Mme Vallaud-Belkacem dans une fracassante interview sur France info.
Merveilleuses promesses. Notre tour de taille va se désépaissir, et le cerveau des enfants, menacé d'explosion par la faute des méchants pédagogues dans mon genre qui y entassent des savoirs inutiles, reprendra le format adéquat à la consommation de TF1 et de Coca-Cola. L'Eden, c'est à nouveau demain.
32 semaines maigres
Que dit exactement le ministre (8 minutes 50 après le début de l'interview) ? "On va cette année quand même rénover les programmes. Lorsque vous interrogez les enseignants, l'une des choses qui pèsent le plus sur leur quotidien d'enseignants, c'est d'avoir des programmes trop lourds, qu'ils n'ont pas le temps de finir dans l'année..." Diable !
Allégeons ! Taillons par exemple dans les programmes d'histoire - de nombreux profs d'histoire de gauche sont favorables à cet allègement. On gardera la décolonisation, on virera à nouveau Louis XIV et Napoléon. Taillons dans les programmes de maths. On étalera à nouveau l'apprentissage des quatre opérations de base sur quatre ans. Taillons dans les programmes de Français. L'usage des tablettes numériques, que l'on achètera en masse de façon à faire perdre du temps aux enseignants et gagner de l'argent aux fournisseurs chinois, permettra bientôt à chacun d'arriver à la Méconnaissance absolue, ce nirvana des pédagogies modernes. L'Ignorance, c'est la Force !
Au passage, cela permettra d'anéantir des milliers de postes, comme au cours des années 1980-2010, sans se faire remarquer. Régis Soubrouillard, dans Marianne, rappelle qu'il y a quarante ans, un élève de CP bénéficiait de 15 heures de français contre 9 en 2002 - en attendant que Najat Vallaud-Belkacem allège encore les programmes.
Montaigne pris en otage
"Des têtes bien faites plutôt que des têtes bien pleines" : on connaît la formule de Montaigne. Ce que visait le philosophe bordelais, c'était le gavage de la Sorbonne et des sorbonnicoles, comme disait avant lui Rabelais. Cela ne visait nullement l'acquisition de savoirs encyclopédiques - ceux-là mêmes que Montaigne avait casés dans sa tête et dans sa "librairie". Mais on a voulu y lire - les pédagos ne sont pas à un contresens près - la condamnation de la transmission. Le petit Montaigne aurait-il su "construire ses savoirs tout seul", conformément à la loi Jospin de 1989 ? Il n'en avait pas la prétention, ses Essais jouent sur les exempla antiques, cette sagesse des hommes du temps jadis patiemment assimilée. Contrairement aux idées reçues des chronobiologistes qui nous gouvernent, les enfants ont d'étonnantes capacités d'absorption. Les programmes scolaires de la IIIe République laissaient peu de temps aux "rythmes scolaires", aux récrés qui n'en finissent pas et à l'apprentissage du "vivre ensemble". Les écoliers étaient en classe du lundi matin au samedi soir, jeudi excepté. Trois mois de vacances, certes, moissons et vendanges obligent, mais trois jours de repos à la Toussaint, trois jours en février. Ils n'en mouraient pas, contrairement à ce que sont prêts à affirmer les hôteliers alpins qui décident du rythme des vacances depuis trois décennies.
Montrons-nous positif
Mme Vallaud-Belkacem, je suis un enseignant en plein exercice, mais je prendrai sur mon temps de sommeil pour vous aider à mettre sur pied des programmes cohérents, de la maternelle à l'université. Invitons quelques grandes compétences - je vous donnerai des noms, vous n'en avez guère parmi vos amis, et la commission que vous avez mise en place ne compte aucun instituteur, ni aucun professeur. Je vous présenterai des praticiens, des gens de terrain, pas des idéologues fous, qui vous expliqueront comment on fait rentrer dans les têtes les plus hermétiques des faits et des notions parfois complexes.
Le temps scolaire est un temps long, dites-vous. Eh bien, au lieu de préparer l'échec déjà acquis de François Hollande en 2017, préparons la génération qui sera au pouvoir en 2040. Vous devez tout à l'école de la République, vous l'avez dit et redit, et Manuel Valls aussi : tenez-vous vraiment à être les derniers à en avoir bénéficié ? Alléger les programmes, c'est offrir sur un plateau les postes à venir aux héritiers qui auront à la maison de quoi compléter ce que l'école ne leur donne déjà plus. Pour les autres, ceux qui demeureront illettrés, on aura toujours Doux ou Gad pour leur donner des poulets à occire, et Pôle Emploi pour leur offrir l'occasion d'apprendre à lire en faisant la queue.
Au passage, je me permets de vous signaler, madame le ministre, qu'en cuisine, l'ennemi n'est pas le gras, auquel on doit ce merveilleux concept, l'onctueux. L'ennemi du gastronome, c'est le lourd. L'indigeste. L'imbuvable. Ou pire encore, le fade.
PS. L'Express se demandait la semaine dernière si Michel Onfray, sous prétexte qu'il a dit sur France Inter des choses sensées sur le travail que ne fait plus l'école et qui ne se fait plus à l'école, n'était pas "le fils naturel de Jean-Paul Brighelli et de Farida Belghoul". Je m'empresse de démentir : Onfray, comme tout auteur, est fils de ses propres oeuvres - et je n'ai jamais couché avec Farida Belghoul... Simplement, il dit des évidences ("Et si, à l'école, au lieu de la théorie du genre et de la programmation informatique, on apprenait à lire, écrire, compter , penser ?" a-t-il osé tweeter), ce qui a eu pour effet de mettre la Gôche bien-pensante en émoi. Rue 89 a immédiatement dégainé son prêt-à-penser et ses anathèmes. "Un Finkielkraut-bis !", s'étrangle Arrêt sur images. Ma foi, pourquoi pas ? Créons un, deux, trois, de nombreux Finkielkraut, et de nombreux Onfray - Brighelli se suffit pour l'instant à lui-même.
- Source : Jean-Paul Brighelli